Tatyana Franck, une mission à New York
La Genevoise d’origine dirige depuis le début du mois de mars le French Institute Alliance Française (FIAF), après avoir piloté durant sept ans Photo Elysée. Pour la première fois, elle accueille un média suisse à l’intérieur de ses nouveaux bureaux américains
Quelques semaines à peine après avoir déposé ses valises à New York, Tatyana Franck nous a donné rendez-vous au dernier étage du French Institute Alliance Française. Si elle nous avouera plus tard s’être bien acclimatée au brouhaha de la ville, certaines coutumes helvétiques lui sont restées, à l’image du traditionnel quart d’heure vaudois.
«Depuis son arrivée, elle enchaîne les rendez-vous et n’a presque jamais de temps libre. Vous avez de la chance de tomber le bon jour», s’amuse son assistante, qui patientera avec nous le temps de l’attente. Positionné sur la 50th Avenue, à côté du Carnegie Hall, le bureau de Tatyana Franck surplombe une partie des immeubles new-yorkais. A quelques pas de Central Park, sur les hauts de Manhattan, la FIAF a pour but de faire rayonner la culture et la langue de Molière.
A New York, l’Alliance française bénéficie d’un rayonnement hors du commun et d’une attractivité que d’autres villes ne connaissent pas. Tout en restant indépendant. Les missions confiées à l’ancienne directrice de Photo Elysée consistent principalement à lever des fonds et à rendre le lieu dynamique. C’est d’ailleurs l’une des raisons de son retard. Tatyana Franck ne cesse de courir les galeries d’art et les grandes adresses newyorkaises pour se créer un réseau.
Casser les codes
En déambulant dans les locaux, la présidente dégage un certain charisme. Elle dicte le ton lors de rapides échanges avec les collègues, lance sa veste sur le porte-manteau et s’empresse de boucler un coup de fil urgent en quelques secondes. Une fois les dernières formalités du jour réglées, la jeune femme peut enfin s’asseoir et s’autoriser un café pour évoquer sa nouvelle vie.
En arpentant toutes sortes de galeries, la nouvelle figure du FIAF espère trouver à la fois des artistes et des soutiens pour mettre en place de nouveaux projets. «Ici, on peut réaliser beaucoup de rêves. Ce qui est incroyable aux Etats-Unis, c’est que les gens veulent que tu réussisses. Il est donc relativement facile d’obtenir des contacts ou des rendez-vous avec des personnes qui disposent de moyens, mais ont surtout l’envie de financer un projet.» En passant d’un budget de 6 millions à 12 millions, Tatyana Franck évolue désormais dans une autre dimension. En côtoyant les patrons des marques tricolores les plus prestigieuses (notamment LVMH, BNP Paribas et L’Oréal), la curatrice s’est transformée en femme d’affaires. Mais pas question pour elle de rester dans l’entre-soi des hautes sphères de la métropole.
«Je veux mettre en avant la pluridisciplinarité. Nous devons donner une image plus jeune de la FIAF en commençant par mettre l’accent sur les réseaux sociaux», avance-telle. Mais comment s’y prendre pour s’attaquer à un public plus large? «Il faut casser les codes de l’art pour que tout le monde se sente concerné. On peut attirer une autre clientèle en laissant une place à l’humour par exemple.» Cette approche moderne de l’art, Tatyana Franck en a fait son cheval de bataille depuis son arrivée. Dans la galerie de la FIAF, on peut retrouver depuis la mi-avril des oeuvres d’Inès Longevial, jeune artiste spécialisée dans l’autoportrait, suivie par plus de 350 000 personnes sur Instagram. Avec ce genre d’exposition, l’ex-directrice de l’Elysée souhaite bousculer les habitudes et mettre en avant la nouvelle génération.
En plus de sa salle d’exposition, l’antenne new-yorkaise de l’Alliance française réserve d’autres lieux de créativité et de rencontres. On trouve notamment un restaurant, un théâtre de 300 places, une bibliothèque, une école maternelle ainsi que la Skyroom, une grande salle de réception permettant d’organiser des événements privés. Après deux ans de pandémie, Tatyana Franck s’attelle désormais à un nouveau défi: retrouver un public et dépoussiérer la maison. Avant elle, c’est une figure de la culture newyorkaise qui a incarné l’établissement. Membre de l’équipe de campagne de Jacques Chirac dans les années 1990, Marie-Monique Steckel a tenu d’une main de maître le FIAF après une vingtaine d’années passées à la tête de France Télécom en Amérique du Nord.
Pas facile de passer après cette «baronne» de la culture qui a fait venir les plus grands noms de la scène française sur le parquet de la Cinquantième Avenue. De Jane Birkin à Gérard Depardieu en passant par Isabelle Huppert, tous ont accepté de venir jouer entre les murs de l’Alliance française. «Vous savez, je ne crois pas que faire venir des artistes à New York sera le défi le plus difficile de mon mandat. Tout le monde rêve de pouvoir, un jour, venir jouer ici.» Sûre d’elle, Tatyana Franck est prête à incarner ce pavillon français de la Grosse Pomme tout en gardant un oeil sur les activités de son pays natal.
«Il n’est pas question de refermer complètement le livre suisse» TATYANA FRANCK
«Il n’est pas question de refermer complètement le livre suisse, dit celle qui a aussi dirigé les Archives Claude Picasso à Genève. J’ai envie de faire des partenariats avec tous les pays francophones et de ne pas rester cantonnée aux frontières de la France», avance-t-elle en soulignant ne pas exclure de collaborer avec le pôle muséal lausannois de Plateforme 10 ou le Grand Théâtre de Genève dans le futur. Avant de refermer son chapitre lausannois pour de bon, Tatyana Franck sera de retour dans la capitale vaudoise les 18 et 19 juin à l’occasion de l’inauguration du bâtiment commun de Photo Elysée et du Mudac. Histoire de boucler la boucle pour de bon. ■