Le Temps

A l’Eurovision, la double victoire de l’Ukraine

Le groupe ukrainien Kalush Orchestra remporte une 66e édition très politique de l’Eurovision. Le Suisse Marius Bear se classe à la 17e place

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

Meurtris par des semaines de guerre, les Ukrainiens ont gagné dans la nuit de samedi à dimanche une petite raison d’exulter. Le pays envahi par la Russie en février dernier a en effet remporté le concours Eurovision de la chanson. La victoire du groupe Kalush Orchestra, dont la musique entremêle folklore et hip-hop, a une forte valeur politique, comme en attestaien­t les toutes premières réactions. «Notre courage impression­ne le monde, notre musique conquiert l’Europe», a ainsi exulté le président Volodymyr Zelensky. Le continent lui répond par la voix de la présidente de la Commission européenne. «Ce soir, votre chanson a gagné nos coeurs, s’est réjouie Ursula von der Leyen. Nous célébrons votre victoire partout dans le monde. L’Union européenne est avec vous.»

Les votes reflètent également la dimension politique de la prestation ovationnée des Ukrainiens, favoris depuis le début de la compétitio­n. S’ils n’ont pas réussi à séduire le jury, qui les a exclus pour une place du podium, le plébiscite du public les a propulsés à la première place. Les téléspecta­teurs leur ont attribué pas moins de 439 points pour un score final de 631. Sans oublier le maximum des douze voix que leur ont offertes de nombreux pays de l’Est, anciennes nations satellites de l’Union soviétique, comme la Pologne, la Moldavie, la Lettonie, la Roumanie ou encore la Lituanie. L’Ukraine remporte ainsi sa troisième victoire à l’Eurovision après celles de 2004 et de 2016, soit deux ans seulement après l’annexion de la Crimée par la Russie. «Ce vote européen lors d’un festival pop démontre que la Russie ne peut pas gagner la guerre culturelle», a commenté Jacopo Iacoboni, du quotidien turinois La Stampa.

L’édition 2023 devrait donc théoriquem­ent se tenir en Ukraine, mais le conflit plonge l’organisati­on dans l’incertitud­e. «Nous ferons tout notre possible pour accueillir les participan­ts et les invités de l’Eurovision à Marioupol, libre, tranquille, restaurée», a néanmoins déjà réagi Volodymyr Zelensky. La cité côtière du sud-est du pays, et notamment son aciérie assiégée, a par ailleurs fait l’objet d’un message du Kalush Orchestra qui aurait pu leur valoir l’éliminatio­n. «S’il vous plaît, aidez l’Ukraine et Marioupol! Aidez Azovstal!» est l’appel à l’aide lancé par le chanteur Oleh Psiuk. Les messages politiques sont interdits à l’Eurovision mais l’organisate­ur du concours, l’Union européenne de radio-télévision, qui avait banni la Russie au lendemain du début de l’invasion de l’Ukraine, a compris que la déclaratio­n avait «une nature plus humanitair­e que politique».

Des drapeaux qui flottent

Des drapeaux ukrainiens flottaient parmi le public comme sur scène lorsque les vainqueurs ont rejoint les présentate­urs pour recevoir leur prix. Dans le parterre, des drapeaux anglais et espagnols, respective­ment à la deuxième et troisième place. Et, plus discret, la croix blanche sur fond rouge: la Suisse, représenté­e par le chanteur appenzello­is Marius Bear, s’est classée à la 17e place avec 78 points. «J’ai tout donné, a réagi le chanteur appenzello­is au terme de la soirée. Merci pour votre amour. Cet événement est ce que j’ai fait de plus incroyable. Je resterai un fan de l’Eurovision pour le reste de ma vie.»

L’Italie, représenté­e par le duo de chanteurs Mahmood et Blanco, et le pays organisate­ur de cette édition, a conquis la sixième place. La scène turinoise a également été enflammée par les rockeurs romains de Maneskin, vainqueurs de l’édition passée et venus présenter leur nouveau single, Supermodel. Le quatuor a félicité le Kalush Orchestra et n’a pas hésité à colorer de politique son message. «Cela signifie bien plus qu’une victoire bien méritée, ont-ils écrit sur leurs réseaux sociaux. Dans les heures sombres, la musique réussit toujours à apporter la lumière et à rapprocher tout le monde.» Or au lendemain de l’événement ayant réuni des millions de téléspecta­teurs européens, les premières pages des médias restaient occupées par le conflit. «L’Ukraine n’était pas ici pour gagner, mais pour hurler, regrette le journal La Stampa. Le Kalush Orchestra sort de l’Eurovision et entre dans la guerre.» ■

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