Le Temps

«Je vois Kharkiv comme une ville du futur: connectée, intelligen­te et innovante»

- PROPOS RECUEILLIS PAR B. M.

Le maire Ihor Terekhov compte convaincre les investisse­urs étrangers des «nombreux atouts» de Kharkiv pour la transforme­r en pôle industriel et technologi­que

Avec sa veste de sport, ses jeans bien coupés et ses petits bracelets aux poignets, Ihor Terekhov soigne son look de maire branché. Les canons tonnent encore au loin, mais il rêve de relever Kharkiv de ses ruines et de transforme­r cette ville de 1,5 million d’habitants, avant la guerre, en pôle technologi­que futuriste. Ihor Terekhov voit grand et veut obtenir le soutien des investisse­urs étrangers. Elu en octobre dernier avec 50,6% des voix, il a bénéficié de la popularité de son prédécesse­ur Hennadiy Kernes, décédé en décembre 2020 et dont il était l’adjoint. Le nom de son parti, Kharkiv réussit, résume son objectif: effacer les blessures de la guerre, reconstrui­re en mieux et attirer les investisse­urs.

Comme de nombreux habitants, il n’a pas affiché son opposition anti-russe. Certains, à Kiev, le lui ont reproché, mais il s’en défend: «J’oeuvre concrèteme­nt pour le bien-être des habitants de Kharkiv. Pas besoin de hurler des slogans nationalis­tes», affirme Ihor Terekhov lors de cette interview menée dans l’abri antiatomiq­ue secret où il a pris ses quartiers.

N’est-ce pas trop tôt pour parler de reconstruc­tion?

Kharkiv n’a jamais cessé de travailler, même au plus fort de la menace lorsque les forces russes ont pénétré brièvement dans la banlieue début mars. La voirie a continué de fournir ses services. Des fleurs ont été plantées, les rues nettoyées et j’ai moi-même été le premier à reboucher le cratère d’un obus. La ville proprement dite est désormais à l’abri des tirs de l’artillerie russe même si, comme dans tout le reste de l’Ukraine, les missiles peuvent l’atteindre. Leur chute indiscrimi­née entravait le rétablisse­ment de la normalité. Aujourd’hui, les citoyens de Kharkiv sont de retour. Quelque 2000 d’entre eux réinvestis­sent chaque jour leur ville après avoir fui la guerre. Tous veulent vivre.

Qu’imaginez-vous pour Kharkiv?

Planifier le développem­ent de la ville, c’est aussi imaginer, au-delà de la reconstruc­tion, une ville du futur: connectée, intelligen­te et innovante. Lors du Forum des maires organisé sous l’égide des Nations unies à Genève, j’ai reçu le soutien d’homologues du monde entier mais aussi de Lord Norman Foster, architecte. Ce dernier m’a proposé de m’aider à concevoir un plan directeur. Londres aujourd’hui doit beaucoup au plan directeur élaboré en 1943, en pleine guerre. Je veux mettre l’accent sur les infrastruc­tures de transport et les flux de personnes, de marchandis­es et d’informatio­ns. Cela passe concrèteme­nt par des transports en commun innovants, la constructi­on de nouvelles gares, la création de grandes avenues, le déplacemen­t des quartiers résidentie­ls vers la périphérie, l’élaboratio­n de nouvelles

«La guerre nous permet de repartir de zéro»

IHOR TEREKHOV, MAIRE DE KHARKIV

écoles, université­s et instituts technologi­ques, l’aménagemen­t de zoos et de parcs. Tout cela sans détruire le patrimoine de la ville.

Quels sont les atouts de la ville pour y parvenir?

Kharkiv est une ville jeune et dynamique. Elle bénéficie déjà d’un savoir-faire technologi­que dans des domaines de pointe comme l’aéronautiq­ue, la physique et l’ingénierie. Le Nobel a récompensé trois de ses chercheurs: c’est d’ailleurs à Kharkiv qu’eurent lieu certaines des premières tentatives de fission nucléaire en 1932. Il s’y trouve un pôle industriel avec de nombreuses fabriques de tanks (Morozov Design Bureau – KMDB, Malyshev), d’avions (Antonov) et d’appareils photos. Elle dispose d’un aéroport et d’infrastruc­tures confortabl­es. C’est l’étoile de Vostok Ukraine [l’Ukraine de l’Est, ndlr]. Et dans la concurrenc­e, ou plutôt la rivalité amicale qu’elle entretient avec Kiev, elle a l’avantage d’être nettement moins chère.

Qui pourrait financer ces projets?

Les investisse­urs sont déjà là. Ils ne veulent pas attendre la fin de la guerre. Nous allons aussi bénéficier de prêts et de financemen­ts de la part des grandes institutio­ns internatio­nales comme certains programmes des Nations unies. La ville n’a pas de souci à se faire, mais ce sera plus difficile pour la région. Ma mission est de créer les conditions-cadres qui permettron­t de tels investisse­ments: un climat de confiance, une dynamique positive et l’assurance d’une bonne gestion avec la transparen­ce nécessaire.

A vous entendre, la guerre offre des opportunit­és à Kharkiv…

Elle nous permet de recommence­r de zéro et de mettre en place des processus plus transparen­ts pour bâtir pour le long terme. Surtout, elle a réuni tous les habitants de Kharkiv autour d’un nouvel état d’esprit et consolidé le désir d’indépendan­ce des citoyens de la ville vis-à-vis de Moscou. ■

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