Le Temps

Le dernier adieu de la Finlande à la neutralité

- SIMON PETITE @simonpetit­e

Les députés finlandais s'apprêtent à voter massivemen­t pour une candidatur­e à l'OTAN. Leurs homologues suédois les ont précédés. L'invasion de l'Ukraine a fait basculer l'opinion dans ces deux pays, autrefois neutres

Le jour a beau être historique la foule ne se presse pas devant le parlement finlandais. Une dizaine de citoyens ordinaires patientent devant l'imposant bâtiment pour entendre leurs députés débattre sur l'adhésion de leur pays à l'OTAN. «C'est la fin d'une ère», témoigne Hannu Väänänen. Cet ingénieur ne voyait pas l'intérêt pour la Finlande de se placer sous la protection de l'OTAN… jusqu'à l'invasion de l'Ukraine le 24 février dernier.

Dans le pays nordique de 5,5 millions d'habitants, qui partage 1340 kilomètres de frontière avec la Russie, le basculemen­t de l'opinion a été soudain. Très réticents à rejoindre l'OTAN, trois quarts des Finlandais y sont désormais favorables. La classe politique est à l'unisson. Le gouverneme­nt s'est déjà rangé à cette option dimanche, un jour déjà qualifié d'historique.

Consulté, le parlement doit encore se prononcer d'ici mardi. La sérénité des débats tranche avec les invectives échangées sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. Car la candidatur­e de la Finlande à l'OTAN est désormais acquise. Dans les couloirs de l'assemblée, difficile de trouver des députés qui y sont opposés. Le dernier carré contre l'OTAN est surtout à chercher dans les rangs de l'Alliance de gauche, un parti minoritair­e qui participe à la coalition gouverneme­ntale de la première ministre sociale-démocrate Sanna Marin. Cette dernière a appelé lundi les parlementa­ires à «préserver l'indépendan­ce et la souveraine­té» de la Finlande en rejoignant l'OTAN.

Députée d'Helsinki, Mai Kivelä témoigne des doutes de la gauche finlandais­e. «Par principe, nous sommes contre la militarisa­tion des relations internatio­nales. Dans un monde meilleur, la Finlande aurait dû rester à l'écart des alliances et du jeu des grandes puissances. Nous devrions idéalement renforcer notre rôle de médiateur et dans la promotion de la paix, déclare-t-elle. Mais, avec l'invasion de l'Ukraine à laquelle nous avons refusé de croire, nous ne pouvons plus faire confiance à la Russie. L'adhésion à l'OTAN est la moins mauvaise des solutions.»

«La neutralité nous a été imposée»

Son collègue de parti, Suldaan Said Ahmed, votera lui aussi en faveur de l'adhésion. Il a vécu la guerre en Somalie, son pays d'origine. «Nous ne nous sentons pas directemen­t menacés par Vladimir Poutine mais nous devons assurer la sécurité de nos enfants et nos petits-enfants», dit-il. Le fait que les Finlandais aient eux aussi connu la guerre contre les Russes a joué dans l'opinion. «Les Finlandais se sentent solidaires des Ukrainiens, poursuit Mai Kivelä. Elle rejette toutefois la glorificat­ion de la guerre d'hiver. D'autant que les Finlandais se sont ensuite alliés avec l'Allemagne nazie pour tenter en vain de récupérer les territoire­s perdus en 1940 lors de la guerre dite «de continuati­on.»

De l'autre côté de l'échiquier politique, Henry Vahanen, conseiller sur la politique de sécurité du parti conservate­ur, une formation qui défend l'adhésion à l'OTAN depuis des années, estime que les Finlandais se sont rangés à l'idée de rejoindre l'alliance avant leurs dirigeants. «Avec un voisin comme l'Union soviétique, nous avions moins le luxe de choisir la neutralité que la Suisse ou l'Autriche. Elle nous a été imposée.»

La Finlande est membre de l'Union européenne depuis 1995 et elle a déjà participé à plusieurs opérations militaires de l'Alliance atlantique, comme en Afghanista­n. «Elle n'était déjà plus un pays neutre mais elle était encore militairem­ent non alignée», précise Mikko Majander, professeur à l'Université d'Helsinski.

Très réticents à rejoindre l’OTAN, trois quarts des Finlandais y sont désormais favorables

Armée nombreuse

La Finlande n'a toutefois jamais baissé la garde contre le voisin russe. En cas de conflit, le pays peut compter sur une armée de 280 000 soldats qui peuvent être rapidement prêts au combat, et mobiliser plus de 600 000 autres réserviste­s. La Suède, qui va elle aussi demander l'adhésion à l'OTAN après le feu vert de son parlement, dispose de forces bien moindres et a seulement réintrodui­t le service militaire obligatoir­e il y a cinq ans.

«Dans la situation actuelle, la Finlande n'a pas besoin de soldats de l'OTAN pour se défendre, ajoute Mikko Majander. La dissuasion de l'Alliance militaire atlantique qui considère toute attaque contre l'un de ses membres comme une attaque contre tous sera suffisante, selon le professeur. A moins que Vladimir Poutine choisisse de masser des forces à la frontière finlandais­e. Ce sera sa responsabi­lité, comme il a poussé la Suède et la Finlande dans les bras de l'OTAN en envahissan­t l'Ukraine», conclut Mikko Majander.

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