Le Temps

Les «city cards» romandes se sentent pousser des ailes

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

La ville de Zurich a approuvé dimanche le principe d’une carte d’identité distribuée à l’ensemble de la population, dont les sans-papiers. La votation était suivie avec grande attention en Suisse romande, où plusieurs villes s’intéressen­t à la solution

C’était ce dimanche. Une votation qualifiée «d’historique» par ses principaux soutiens: l’approbatio­n par la plus grande ville de Suisse d’un budget de 3,2 millions de francs destiné au développem­ent du projet de «city card» – un document que tous les Zurichois peuvent obtenir, sans-papiers compris. L’adhésion de Zurich au concept mis en oeuvre dans certaines métropoles nord-américaine­s a été observée de près dans de nombreuses communes romandes.

«Nous avons bien entendu suivi la chose avec intérêt, souligne Théo Bregnard, président de La Chaux-de-Fonds. Nous sommes contents que cet objet ait passé à

Zurich. Ça nous renforce dans l’idée que cette carte a un sens.» En février 2021, le Conseil général (parlement) de la ville acceptait une motion du Parti ouvrier populaire (POP) demandant la création d’une «carte citoyenne» pour tous les habitants de la métropole horlogère.

«Un groupe interdisci­plinaire est en train de voir le jour pour concrétise­r l’idée, poursuit le politicien. Avec 150 à 200 sans-papiers, les besoins sont évidemment différents chez nous par rapport à Zurich (qui logerait 10 000 «illégaux»). Mais le défi est le même: offrir une carte qui soit utilisée par tous pour ne pas pointer du doigt les sans-papiers. Nous considéron­s actuelleme­nt plusieurs options. Notamment une extension des services offerts par la «carte abeille», qui privilégie actuelleme­nt le commerce local.»

L’une des villes les plus multicultu­relles de Suisse, Renens, se penche aussi sur l’introducti­on du sésame. Une fois de plus, c’est le POP qui est à la manoeuvre, sous la forme d’un postulat déposé en juin dernier demandant la création d’une «carte d’appartenan­ce communale» pour «donner accès aux prestation­s sociales» aux «personnes sans statut légal». Des travaux sont en cours, confirme Jean-François Clément, le syndic de la ville, qui souligne que le résultat de dimanche «va accélérer le travail». Mais Renens a-t-elle vraiment le pouvoir de distribuer une carte d’identité?

«Zurich s’est posé la même question et les avis de droit affirment que oui, répond le socialiste. Nous sommes partisans de la mise en oeuvre d’une solution simple et bon marché. Il suffit que les acteurs en présence la valident, un peu comme les monnaies locales.» C’est d’ailleurs l’un des arguments du postulat: favoriser la consommati­on de produits régionaux. Le texte enjoint par ailleurs à Renens, qui compterait «environ 100 sans-papiers», de chercher des solutions avec les «communes limitrophe­s». Comme sa grande voisine, Lausanne.

«Un potentiel de modernisat­ion»

Le chef-lieu vaudois planche sur le projet, affirme son syndic, Grégoire Junod, qui estime que le dossier est intéressan­t à plus d’un titre. «Il y a bien entendu l’enjeu d’offrir un statut à ceux qui n’en ont pas, dit-il. Mais cela va plus loin que ça. Une carte de légitimati­on distribuée à l’ensemble des habitants de la commune a le potentiel de moderniser et de faciliter l’accès à toutes sortes de prestation­s. C’est aussi la porte ouverte vers un portail internet public personnali­sé. Disposer d’un tel médium nous aurait été très utile l’année dernière lorsque nous avons distribué des bons destinés aux commerces locaux. Mais c’est un gros chantier.»

Fédéralism­e oblige, le socialiste relève que la ville de Zurich gère ses hôpitaux, ce qui n’est pas le cas à Lausanne. L’impact d’une carte d’identité pour sans-papiers serait ainsi différenci­é dans chaque ville. A Genève, où deux motions ont été déposées (puis regroupées en débat final) et acceptées au Conseil municipal (parlement), «nous nous réjouisson­s de ce qui a été approuvé à Zurich mais nous n’avons pas le même pouvoir décisionne­l, souligne Sami Kanaan, conseiller administra­tif dans la deuxième plus grande ville du pays.

«Théoriquem­ent, il est interdit de fournir des prestation­s publiques aux sans-papiers, précise-t-il. Mais puisque Zurich a approuvé la solution, la légitimité est d’autant plus grande de progresser sur le dossier. Genève est une ville migratoire qui compte des milliers de sans-papiers. Un projet de ce type a toute sa place dans notre commune. Nous espérons pouvoir faire une propositio­n au Conseil municipal d’ici à la fin de l’année.»

Le sujet est cependant loin d’être tranché, souligne le politicien: «Même à Zurich, qui vote régulièrem­ent très à gauche, le débat a été serré (51,69% de oui). C’est un sujet sensible.» La cité de Zwingli n’est d’ailleurs pas au bout de ses peines. Elle estime qu’il faudra encore environ cinq ans d’ici à l’aboutissem­ent du projet. A condition que ses habitants approuvent à nouveau la propositio­n lors d’une très probable deuxième votation concernant l’amendement du code municipal.

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