Le Temps

Les combines en série d’un pharmacien au grand coeur

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Jugé pour escroqueri­e par métier et faux dans les titres au préjudice de plusieurs caisses maladie, le patron d’une officine de la rive droite plaide l’altruisme. Onze autres personnes, des employés et des clients, comparaiss­ent pour avoir trempé dans cette histoire

Pas moins de 12 personnes ont pris place depuis ce lundi sur le banc des prévenus du Tribunal correction­nel de Genève. Dans le rôle principal de cette drôle d’affaire, le patron d’une pharmacie de la rive droite, dépeint comme le «Robin des Bois» de la profession par son avocate, Me Yaël Hayat. A ses côtés, six employés et cinq clients qui ont participé ou profité de la magouille consistant à facturer aux caisses maladie des médicament­s prescrits mais non remis et à les remplacer par d’autres produits non remboursés. Ce petit manège aurait duré plus de dix ans et porté sur environ 2,5 millions de francs.

L’audience a démarré par une attaque en règle de l’acte d’accusation, qualifié d’incomplet et de lacunaire par une défense unanime. «Le flou artistique total», selon la formule de Me Olivier Adler, qui mériterait un renvoi à son expéditeur. Pour l’expéditeur en question, le procureur Vincent Delaloye, qui a hérité de cette procédure en bout de course, il serait illusoire et techniquem­ent impossible de vouloir tout préciser dans pareil dossier. Le Ministère public évite au final de devoir se remettre à l’ouvrage, mais une suspension lui est accordée pour apporter moult ajouts à ses reproches.

Echange de produits

Des reproches qui visent en premier lieu le patron de la pharmacie. Né en Egypte il y a 72 ans, sensible très tôt à la détresse des plus pauvres, généreux avec l’Eglise copte et le parrainage des enfants défavorisé­s, le prévenu est demeuré charitable. Après des études en Suisse, il s’est établi ici et s’est montré bienveilla­nt avec de nombreux clients, surtout des compatriot­es, tout en faisant gonfler son chiffre d’affaires. L’homme doit répondre d’escroqueri­e par métier et de faux dans les titres (les tickets de caisse) pour avoir imaginé ce système frauduleux et longtemps indétectab­le.

En résumé, ceux qui débarquaie­nt chez lui avec des ordonnance­s bien fournies pouvaient recevoir gratuiteme­nt – à la place de ces médicament­s dont ils n’avaient pas forcément besoin – des produits d’hygiène ou des substances non prises en charge. Des choses qu’ils n’auraient jamais achetées s’ils avaient eu à les payer de leurs poches et dont la vente procurait des marges plus intéressan­tes (ce point est contesté) pour le pharmacien.

Grâce à ce tour de passe-passe, un client, qui se voyait prescrire des quantités industriel­les d’antiacides par son médecin, aurait à lui seul trompé son assurance maladie à hauteur de quelque 187 000 francs. Un autre, le frère du précédent, pour l’équivalent de 74 000 francs. Tous deux nient et évoquent une simple avance. Certains des médicament­s facturés aux caisses et non délivrés servaient aussi à régler les quotes-parts. Ce petit trafic était consigné dans un cahier et les bénéficiai­res disposaien­t d’avoirs en compte à la pharmacie pour effectuer ces achats.

«Rendre service»

En 2016, l’enquête met un terme à ce petit commerce parallèle. Le patron passe plus de trois mois en détention provisoire à Champ-Dollon avant d’être libéré sous de multiples conditions, dont l’interdicti­on de se rendre sur son lieu de travail. «C’est ma femme qui a dû s’occuper de la pharmacie. Beaucoup de clients ne sont plus venus car, disaient-ils, le gentil monsieur n’est plus là», explique le prévenu à la présidente Françoise Saillen Agad.

Le patron l’assure: «Je ne faisais pas cela pour m’enrichir, mais parce que ces gens étaient dans le besoin. Ce n’étaient pas de bons clients, c’étaient des personnes invalides, malades, des réfugiés. Ils n’avaient pas les moyens de s’acheter un mouchoir. J’ai seulement voulu leur rendre service. J’ai commencé quand une femme africaine voulait des médicament­s contre la malaria qui n’étaient pas remboursés. Elle m’a demandé de faire l’échange avec d’autres figurant sur l’ordonnance. J’étais face à un dilemme, et j’ai pensé que c’était une nécessité médicale.» Et si les employés ont participé au système mis en place, c’était de leur propre chef. «Personne n’a été obligé et personne ne m’a fait part d’un malaise.»

«Je ne faisais pas cela pour m’enrichir, mais parce que ces gens étaient dans le besoin» LE PRÉVENU PRINCIPAL

Quand le tribunal lui demande ce qu’il pense de toute cette affaire aujourd’hui, le patron répond: «C’est très regrettabl­e. J’ai beaucoup perdu et j’ai mis tous ces gens dans la difficulté alors que je voulais simplement faire le bien.» En plus du procès pénal, le pharmacien doit aussi affronter une procédure devant le Tribunal arbitral des assurances. Celle-ci est actuelleme­nt suspendue. «Je conteste leurs chiffres, cela ne tient pas.»

Ce trop-plein de philanthro­pie va occuper les juges toute la semaine. Certains des protagonis­tes contestent avoir participé à ces manigances. Tous devraient être fixés sur leur sort le 25 mai, date prévue pour la lecture du verdict. ■

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