Le Temps

Neutralité, Europe: le Conseil fédéral doit parler

- FRANÇOIS NORDMANN

Parmi les reproches adressés ces derniers jours au Conseil fédéral l’un des plus fondés a trait au fait qu’il s’exprime trop peu, voire pas du tout sur les événements et la crise que nous traversons. Certes on ne saurait vouloir que le gouverneme­nt commente au jour le jour l’évolution de la guerre. Mais l’opinion publique est en droit de savoir quelle orientatio­n le Conseil fédéral compte suivre et quelles conséquenc­es les turbulence­s actuelles peuvent avoir pour la population. Les risques de black-out et de pénuries notamment en matière d’approvisio­nnement énergétiqu­e et alimentair­e ont été mentionnés, mais il devrait faire l’objet d’un examen constant. Dans le domaine de la politique étrangère, le besoin de mise à jour se fait sentir tout particuliè­rement.

Le rapport sur la vision de la Suisse en 2028 indiquait clairement que la gestion pragmatiqu­e, au jour le jour, ne suffisait plus: l’évolution de l’environnem­ent politique, l’analyse des changement­s en cours et la déterminat­ion des défis et des opportunit­és doivent conduire à un réajusteme­nt de la politique étrangère et de ses concepts. Le débat s’est noué sur la définition de la politique de neutralité, sur le point de savoir si elle permettait la livraison d’armes et de munitions à un belligéran­t, sur le maintien même de la neutralité.

A l’heure où la Finlande et la Suède décident de rejoindre l’OTAN, que signifie ce statut hérité des guerres du XIXe siècle et qui a fait ses preuves de manière plus ou moins convaincan­te au cours des guerres du

XXe siècle? On imagine mal un Petitpierr­e ou un Graber attendant de disposer d’un rapport de l’administra­tion pour prendre position au moment opportun dans un débat aussi crucial pour la sécurité du pays. La guerre en Ukraine peut encore nous réserver des surprises: ce n’est pas une raison pour se taire. La guerre d’usure peut devenir l’un de ces «conflits gelés» dont le Kremlin paraît friand – impasse prolongée et que la diplomatie ne parvient pas à résoudre.

Où en serons-nous dans six mois, soit au début de l’hiver? Enhardis par la débâcle de l’armée russe devant Kiev et maintenant au Donbass, les responsabl­es américains en viennent à souhaiter un échec de la Russie, au point qu’elle n’aura plus la capacité de recommence­r à s’en prendre à ses voisins. Dans l’intervalle cependant, la vie économique de l’Ukraine, privée de ses ports, ne cesse de se dégrader. Si le blocage se perpétuait, sans percée définitive, jusqu’au 21 janvier 2025 – jour de l’assermenta­tion du prochain président des Etats-Unis… Le retour de Trump, ou de l’un de ses proches, aurait de graves conséquenc­es sur la guerre, le soutien à l’Ukraine, l’engagement des Européens.

Le Conseil fédéral n’a pas à se livrer à de telles spéculatio­ns en public, et il est prématuré de fixer dès à présent les paramètres d’un retour à la paix. Mais la Suisse s’étant rapprochée de la communauté de valeurs des pays d’Europe de l’Ouest, quels sont les effets de ce changement de cap? Que représente­nt encore des institutio­ns internatio­nales qui ont failli si ouvertemen­t – le droit internatio­nal, l’ONU, l’OSCE, et par quoi les remplacer pour éviter d’être livrés au pur rapport de force? La volonté de cultiver des rapports privilégié­s avec toutes les grandes puissances, y compris la Chine et la Russie, telle que la décrivait le rapport «Vision 2028», est-elle encore actuelle? Et bien sûr, notre alignement sur l’Europe n’entraîne-t-il pas la nécessité d’en finir avec la crise dans nos relations avec l’UE?

Un an après l’interrupti­on brutale et non provoquée des négociatio­ns sur l’accord institutio­nnel, le Conseil fédéral n’a pas grandchose à montrer pour fruit de ses efforts. Les conséquenc­es économique­s de l’érosion des accords sectoriels bilatéraux sont pires que prévu. Le Conseil fédéral ne se penchera que dans le courant de l’été sur le dossier, qui réclame pourtant son urgente attention. Le maintien d’un dialogue de façade et sans avancées comporte le risque d’une rupture dommageabl­e. ■

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