Le Temps

Production bio versus sécurité alimentair­e

- CLAUDE-ALAIN GEBHARD AGRICULTEU­R ET AGRONOME

La pandémie de coronaviru­s nous a soudain révélé ce qui serait de toute manière apparu progressiv­ement à nos yeux durant ces prochaines années: la disponibil­ité de nos ressources devient globalemen­t problémati­que en regard de la demande d’une population mondiale toujours en croissance… La subite agression de l’Ukraine par son voisin russe a confirmé cette prise de conscience douloureus­e de manière extrêmemen­t brutale. Ce constat alarmant concerne l’essentiel de nos ressources: l’énergie, le bois, les métaux, les composés industriel­s de toutes sortes et aussi la production agricole, notamment les céréales et les oléagineux.

La situation alimentair­e mondiale était déjà très problémati­que avant ces récents événements révélateur­s de la pénurie. Avant le printemps 2020, c’était en effet 10% de la population mondiale (800 millions de personnes) qui souffrait de malnutriti­on chronique et quelque 40 millions d’êtres humains en situation de famine, induisant une co-mortalité énorme chez les femmes et les enfants. Actuelleme­nt, avec la raréfactio­n de l’accès à la nourriture et la hausse consécutiv­e des prix des denrées alimentair­es de base, la situation se détériore rapidement et de manière très alarmante au niveau mondial! En effet selon les récentes données de la FAO (Food and Agricultur­e Organisati­on), la Russie et l’Ukraine ont été ensemble à l’origine de 29% des exportatio­ns mondiales de grains en 2021. Bien évidemment les production­s agricoles de ces deux acteurs majeurs seront revues à la baisse, voire nulles pour la récolte 2022… Ce qui ne sera pas sans effet délétère sur les approvisio­nnements des pays importateu­rs, notamment dans la zone du Sahel et au Moyen-Orient.

Même dans les pays riches occidentau­x et aussi chez nous en Suisse, la pénurie se fait sentir. Nos grands distribute­urs suisses sont tiraillés en ce moment entre l’opportunit­é de développer leurs chiffres d’affaires alimentair­es, car la demande est là, et la difficulté croissante d’accès aux matières premières et aux ressources. Globalemen­t, la production alimentair­e suisse est de l’ordre de 50% de nos besoins, ce qui est en soi une belle réussite pour un petit pays montagneux comme la Suisse. Le complément est importé par nos distribute­urs et leurs entreprise­s de transforma­tion pour ajuster leur offre à la demande indigène. Mais il ne suffit plus d’avoir un pouvoir d’achat très élevé pour accéder librement à la ressource lorsque celle-ci fait vraiment défaut. Dans le contexte actuel, les importatio­ns deviennent plus chères ce qui oblige nos distribute­urs à «investir sur les prix», entendez par là à devoir payer plus cher les production­s alimentair­es de base: céréales, pommes de terre, fruits et légumes, viande, lait, etc.

Dans ce contexte, la production agricole bio, telle que proposée par le cahier des charges de la fédération Bio Suisse, semble devoir être questionné­e. En effet, bien que très vertueux à tous points de vue, ce mode de production n’en est pas moins peu efficace avec des rendements de l’ordre de 20 à 30% inférieurs à la production convention­nelle comme celle d’IP-Suisse (la coccinelle), par exemple. De plus l’assemblée des délégués de Bio Suisse a pris en novembre 2021, plusieurs décisions allant en direction d’un durcisseme­nt important du cahier des charges, rendant la production bio encore plus compliquée et surtout moins efficace.

Si la pression sur nos ressources alimentair­es devait perdurer, ce qui semble très vraisembla­ble, alors le modèle de Bio Suisse aurait bien de la peine à se développer au-delà de son niveau actuel, qui reste très modeste avec 11% de part de marché en Suisse. En effet, il est clairement en porte-à-faux avec le besoin de sécurité alimentair­e qui devient à nouveau un thème majeur pour notre société. En regard de la péjoration actuelle de la sécurité alimentair­e mondiale, encore renforcée ces derniers mois par des tensions géopolitiq­ues majeures aux portes de l’Europe, les défis restent énormes et le bio, selon le cahier très restrictif de Bio Suisse, pourrait bien rester confiné à un marché de niche pour un pays riche. ■

La production alimentair­e suisse est de l’ordre de 50% de nos besoins, ce qui est en soi une belle réussite pour un petit pays montagneux comme le nôtre

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