Production bio versus sécurité alimentaire
La pandémie de coronavirus nous a soudain révélé ce qui serait de toute manière apparu progressivement à nos yeux durant ces prochaines années: la disponibilité de nos ressources devient globalement problématique en regard de la demande d’une population mondiale toujours en croissance… La subite agression de l’Ukraine par son voisin russe a confirmé cette prise de conscience douloureuse de manière extrêmement brutale. Ce constat alarmant concerne l’essentiel de nos ressources: l’énergie, le bois, les métaux, les composés industriels de toutes sortes et aussi la production agricole, notamment les céréales et les oléagineux.
La situation alimentaire mondiale était déjà très problématique avant ces récents événements révélateurs de la pénurie. Avant le printemps 2020, c’était en effet 10% de la population mondiale (800 millions de personnes) qui souffrait de malnutrition chronique et quelque 40 millions d’êtres humains en situation de famine, induisant une co-mortalité énorme chez les femmes et les enfants. Actuellement, avec la raréfaction de l’accès à la nourriture et la hausse consécutive des prix des denrées alimentaires de base, la situation se détériore rapidement et de manière très alarmante au niveau mondial! En effet selon les récentes données de la FAO (Food and Agriculture Organisation), la Russie et l’Ukraine ont été ensemble à l’origine de 29% des exportations mondiales de grains en 2021. Bien évidemment les productions agricoles de ces deux acteurs majeurs seront revues à la baisse, voire nulles pour la récolte 2022… Ce qui ne sera pas sans effet délétère sur les approvisionnements des pays importateurs, notamment dans la zone du Sahel et au Moyen-Orient.
Même dans les pays riches occidentaux et aussi chez nous en Suisse, la pénurie se fait sentir. Nos grands distributeurs suisses sont tiraillés en ce moment entre l’opportunité de développer leurs chiffres d’affaires alimentaires, car la demande est là, et la difficulté croissante d’accès aux matières premières et aux ressources. Globalement, la production alimentaire suisse est de l’ordre de 50% de nos besoins, ce qui est en soi une belle réussite pour un petit pays montagneux comme la Suisse. Le complément est importé par nos distributeurs et leurs entreprises de transformation pour ajuster leur offre à la demande indigène. Mais il ne suffit plus d’avoir un pouvoir d’achat très élevé pour accéder librement à la ressource lorsque celle-ci fait vraiment défaut. Dans le contexte actuel, les importations deviennent plus chères ce qui oblige nos distributeurs à «investir sur les prix», entendez par là à devoir payer plus cher les productions alimentaires de base: céréales, pommes de terre, fruits et légumes, viande, lait, etc.
Dans ce contexte, la production agricole bio, telle que proposée par le cahier des charges de la fédération Bio Suisse, semble devoir être questionnée. En effet, bien que très vertueux à tous points de vue, ce mode de production n’en est pas moins peu efficace avec des rendements de l’ordre de 20 à 30% inférieurs à la production conventionnelle comme celle d’IP-Suisse (la coccinelle), par exemple. De plus l’assemblée des délégués de Bio Suisse a pris en novembre 2021, plusieurs décisions allant en direction d’un durcissement important du cahier des charges, rendant la production bio encore plus compliquée et surtout moins efficace.
Si la pression sur nos ressources alimentaires devait perdurer, ce qui semble très vraisemblable, alors le modèle de Bio Suisse aurait bien de la peine à se développer au-delà de son niveau actuel, qui reste très modeste avec 11% de part de marché en Suisse. En effet, il est clairement en porte-à-faux avec le besoin de sécurité alimentaire qui devient à nouveau un thème majeur pour notre société. En regard de la péjoration actuelle de la sécurité alimentaire mondiale, encore renforcée ces derniers mois par des tensions géopolitiques majeures aux portes de l’Europe, les défis restent énormes et le bio, selon le cahier très restrictif de Bio Suisse, pourrait bien rester confiné à un marché de niche pour un pays riche. ■
La production alimentaire suisse est de l’ordre de 50% de nos besoins, ce qui est en soi une belle réussite pour un petit pays montagneux comme le nôtre