La progression salariale selon l’expérience, seulement pour les cadres?
Les personnes qui travaillent dans le domaine des services notamment, où les salaires sont déjà très bas, ne voient pratiquement aucune progression par rapport au moment de l’embauche. Le commerce de détail de l’alimentation en est le meilleur exemple: les salaires que touchent les vendeuses en fin de carrière ne sont que faiblement supérieurs à ceux de leurs collègues qui entrent dans la profession. En 2018, le salaire médian d’une vendeuse de 20 ans travaillant à plein temps était de 4319 francs. Celui d’une vendeuse de 60 ans s’élevait à 4666 francs. Cela ne représente que 8 francs de plus par année de vie et de travail.
Les salarié-e-s ordinaires sont cependant les seuls à ne pas être récompensés pour leur expérience et leur fidélité. Les cadres dans le commerce de détail en revanche ont le plaisir de voir leur rémunération augmenter avec le temps. Cela concerne d’abord les cadres inférieurs et moyens. Dans le commerce de détail, ce sont souvent des personnes qui ont fait un apprentissage et qui gravissent ensuite les échelons dans l’entreprise. Mais elles n’atteignent pas les mêmes salaires que les cadres supérieurs ou les employé-e-s titulaires d’un diplôme universitaire ou d’une haute école spécialisée. Les cadres qui ont fait des études touchent non seulement des salaires nettement plus élevés, mais leurs rémunérations mensuelles augmentent en moyenne d’environ 320 francs par année!
Ces différences sont la plupart du temps justifiées par la performance. On entend souvent dire que les compétences des managers s’améliorent avec l’âge. A l’inverse, on reproche aux vendeuses en fin de carrière de ne pas être plus performantes que les jeunes. Ces deux affirmations sont discutables sous plusieurs angles. D’une part, le personnel de la vente d’un certain âge peut lui aussi mettre à profit son expérience lorsqu’il s’agit par exemple de conseiller des cliente-s ou de travailler en équipe. D’autre part, on peut vraiment se demander si l’expérience d’un-e cadre en fin de carrière justifie vraiment les grandes différences de salaire par rapport à ses collègues plus jeunes, qui ont peutêtre pour eux d’autres atouts comme la familiarité avec les nouvelles technologies.
Mais ce qui contredit plus fondamentalement encore l’argument de la performance, c’est le fait qu’il soit pratiquement impossible de déterminer objectivement quelle est la contribution d’un individu au succès d’une organisation complexe basée sur la répartition du travail, comme le sont les entreprises de commerce de détail. Sans le travail des vendeuses, les managers ne pourraient pas réaliser un seul franc. Et sans la direction de l’entreprise, il serait impossible de travailler dans la vente. Cette interdépendance empêche d’imaginer le succès des entreprises sans les managers ou les vendeuses, mais aussi de mesurer directement leur contribution respective.
Ces différences de rémunérations sont beaucoup plus tributaires du pouvoir: les managers plus âgés sont aux commandes. Ils peuvent avoir une influence importante sur leurs salaires. Quant aux personnes qui sortent d’une université, elles peuvent simplement partir pour une autre entreprise si leur salaire n’est pas correct.
Il n’est par ailleurs pas facile pour les entreprises de contrôler la qualité d’un travail intellectuel. En proposant des salaires qui augmentent chaque année, les employeurs espèrent donc fidéliser les universitaires et les inciter à être performants. En revanche, les jeunes qui ont un CFC en poche n’ont souvent ni pouvoir dans l’entreprise, ni une position avantageuse sur le marché du travail.
Les grandes chaînes de supermarchés notamment profitent du fait que les vendeuses, mais aussi les cadres promus en interne sans diplôme universitaire, ne quittent pas si facilement leur emploi. Elles savent que les salaires, les conditions de travail et les perspectives de promotion sont souvent encore moins bons ailleurs dans la branche que chez elles.
De plus, grâce aux systèmes modernes de caisse et de logistique, elles peuvent plus facilement surveiller le travail des vendeuses et les rappeler à l’ordre au besoin, ce qu’elles ne peuvent pas faire avec le travail des universitaires occupant des postes plus élevés. Plus besoin donc de motiver le personnel de vente en augmentant les salaires.
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Les managers plus âgés sont aux commandes et peuvent avoir une influence importante sur leurs salaires