L’inflation, otage d’un combat idéologique
Contrairement à ce qui a été dit, l’inflation, ce n’est ni le pétrole, ni l’Ukraine, ni la Russie, ni les difficultés d’approvisionnement qui sont la cause de la hausse durable et généralisée des prix des biens et services.
Tous les pays sont en effet soumis, certes à des degrés divers, aux effets de ces phénomènes, mais l’inflation n’est, par exemple, que de 2,5% en Suisse en avril, 2,1% en Chine et 0,8% au Japon, c’est-à-dire beaucoup moins que dans la zone euro (7,5%) et aux Etats-Unis (8,3%). Est-ce que les banquiers centraux ne s’inspirent pas des mêmes théories?
Forte domination démocrate
L’idéologie joue un rôle démesuré dans les arcanes du pouvoir monétaire et dans la communication des banques centrales.
La Réserve fédérale américaine emploie 416 économistes à son siège de Washington. Dans cette communauté de banquiers centraux, les démocrates dépassent largement les républicains. Le rapport est de 48,5 à 1, indique le professeur Steve Hanke, sur la radio WABC, dans un débat avec Larry Kudlow, l’ancien conseiller économique principal de Donald Trump. Steve Hanke, professeur d’économie à l’Université Johns Hopkins, démontre que la Fed ne s’inspire que du keynésianisme, cher aux démocrates. Sur le plan monétaire, cette approche entend agir sur l’économie par le biais des taux d’intérêt.
En réalité, la banque centrale américaine abhorre le monétarisme cher au Prix Nobel Milton Friedman. Pour les représentants de ce dernier courant, l’inflation est toujours un phénomène d’origine monétaire, le fruit d’un excès de création monétaire par rapport aux besoins de l’économie. Exprimant mieux que quiconque l’idéologie keynésienne qui sied à la Fed, Jerome Powell, son président, a même affirmé, en février 2021, qu’il fallait «désapprendre» le monétarisme. Le propos n’est pas, ici, de prétendre à un complot démocrate, mais de souligner un biais idéologique, l’hostilité envers le monétarisme dans la principale banque centrale.
La question de l’agrégat monétaire M2
Une anecdote renforce le propos. Le Suisse Karl Brunner (1916-1989), l’un des plus grands experts monétaires de l’histoire, qui a enseigné aux EtatsUnis et en Suisse, est considéré comme celui qui a introduit en 1968 le terme de monétarisme dans le vocable courant de l’économie. Steve Hanke rappelle qu’en 1982 le célèbre économiste suisse a donné un exposé à Caracas expliquant pourquoi la Fed, en refusant de comprendre que l’inflation était un phénomène monétaire, était «une grande machine de désinformation». A la suite de ce discours, le grand Karl Brunner a été interdit d’entrée au siège de la Fed.
L’expérience montre qu’en réalité l’augmentation excessive de monnaie se traduit par une hausse des prix dans les dix-huit à vingt-quatre mois plus tard. Depuis février 2020, la masse monétaire M2 (argent en circulation, comptes courants et dépôts d’épargne) s’est accrue de 18,7% sur base annuelle aux Etats-Unis, soit bien au-delà des 6% qui auraient permis d’atteindre la cible de renchérissement définie par les autorités, soit de 2%, explique Steve Hanke. Le renchérissement de 8,3% n’est donc pas surprenant outre-Atlantique. Ni d’ailleurs la performance relativement bonne de la Suisse, du Japon et de la Chine, des pays dont les autorités pratiquent des politiques monétaires plus conservatrices. A la fin mars 2022 par exemple, l’agrégat monétaire M2 s’élève à 1095,6 milliards de francs en Suisse, selon la BNS. Il est à peine supérieur aux 1089 milliards de francs de l’année précédente. Au Japon, le taux de croissance de M2 se limite à 3,5%, selon le site d’information CEIC.
L’histoire se répète
En s’appuyant sur leur keynésianisme, les économistes de la Fed ont annoncé en décembre dernier que l’inflation serait de 2,6% en 2022, avant de réviser leurs attentes à 4,3% en mars. Ils ont donc incroyablement tardé à faire un diagnostic correct et encore davantage à commencer à modifier leur politique.
Aujourd’hui, même si la Fed bloquait violemment la croissance de M2, il faudrait attendre deux ans avant que l’effet se lise dans les prix. Il serait donc étonnant que la hausse annuelle des prix passe en dessous de 6% avant 2024, d’autant plus que la banque centrale américaine n’est pas près d’embrasser le monétarisme.
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