Le Temps

Réveil de l’Occident et politisati­on de l’économie

- BURKHARD VARNHOLT DIRECTEUR DES INVESTISSE­MENTS, CREDIT SUISSE (SUISSE)

Le conflit en Ukraine a politisé l’économie mondiale dans une mesure que peu de gens auraient pu imaginer. Les Etats, les consommate­urs, les marchés des capitaux, les dirigeants d’entreprise et les investisse­urs doivent réfléchir aux changement­s fondamenta­ux des conditions-cadres économique­s et s’y adapter. Ils se traduisent déjà par au moins cinq grandes évolutions:

1. Les blocs géopolitiq­ues et les clivages idéologiqu­es n’ont jamais été aussi prononcés depuis la guerre froide. Ils vont s’intensifie­r.

2. Les sanctions politico-économique­s ont pris une nouvelle envergure.

3. L’offensive russe a soulevé une vague d’inflation qui prend une dimension mondiale.

4. Les consommate­urs, les influenceu­rs et les ONG exercent une pression croissante sur les dirigeants d’entreprise afin qu’ils cessent leurs activités en Russie.

5.Nous assistons à une renaissanc­e de l’Etat dans son rôle de régulateur actif et d’investisse­ur et dont la crise financière de 2008, le changement climatique et l’apparition de la pandémie de Covid-19 ont déjà gonflé le cahier des charges.

Ce réveil de l’Occident sera-t-il durable? Le conflit russo-ukrainien pourrait favoriser l’émergence d’un nouvel ordre mondial, lequel devrait notamment se caractéris­er par un accroissem­ent relatif de la puissance et de la prospérité de l’Occident alors que la Russie pourrait voir son revenu par habitant baisser.

Les enjeux sont par ailleurs bien plus grands. Les préoccupat­ions liées à leur propre sécurité et à leur approvisio­nnement en énergie ne sont pas les seuls facteurs qui ont incité les pays européens à se rapprocher des Etats-Unis et de l’OTAN et à s’éloigner de la Chine également sur le plan politique.

Il est fort possible que l’Union européenne (UE) profite de cette crise pour se rapprocher d’une «union budgétaire light». Elle pourrait également s’élargir après la guerre: outre l’Ukraine, les pays des Balkans, à savoir l’Albanie, la Macédoine du Nord, la Serbie et le Monténégro, figurent sur la liste des candidats. Les intérêts européens ont rarement aussi bien convergé qu’aujourd’hui dans de nombreuses capitales européenne­s.

Les investisse­urs ne doivent pas sous-estimer la puissance économique de l’Occident, qui réalise aujourd’hui deux tiers environ de la performanc­e économique mondiale. Il compte huit des dix plus grandes économies du monde.

L’Occident est aussi une communauté de dettes et de destins. Le vieillisse­ment pèse sur son économie et ses institutio­ns de prévoyance (un constat également valable pour la Russie et la Chine). Néanmoins, l’histoire nous enseigne qu’en temps de crise, l’Occident tend à nationalis­er les dettes privées, dans sa quête du moindre mal en quelque sorte. En d’autres termes, il est riche, mais aussi vieux et champion du monde de l’endettemen­t.

L’endettemen­t de l’Occident explique ses taux d’intérêt bas, voire négatifs en termes réels. Le Japon se distingue en affichant depuis des décennies la dette la plus élevée et les taux d’intérêt les plus bas du monde. Le reste de l’Occident suivra-t-il son exemple? C’est possible. Ses taux d’intérêt de 0% stimulent l’inflation des valeurs patrimonia­les qui creuse le fossé entre les riches et les pauvres, ainsi qu’entre les jeunes et les vieux. La tendance haussière des taux d’intérêt et des rendements aux EtatsUnis ne change pas grand-chose à la situation.

Quelques conséquenc­es pour les investisse­urs:

1. Une renaissanc­e de la politique industriel­le et du mercantili­sme de pays concurrent­s pourrait relancer la spirale des droits de douane, des taxes, des sanctions et des subvention­s.

2. Il en faudrait alors peu pour que les Etats soutiennen­t les «champions nationaux».

3. Une augmentati­on de l’endettemen­t public visant à financer une politique budgétaire expansionn­iste pourrait peser sur les rendements du marché des capitaux et accentuer la pénurie de placements sur le marché obligatair­e si l’inflation demeurait élevée.

4. Les «critères de stabilité de Maastricht» étant tombés dans l’oubli sur le plan politique, la pression et l’incitation à une mutualisat­ion (du moins partielle) des dettes publiques de l’UE augmentent.

5. L’UE pourrait évoluer d’une fédération d’Etats à un Etat fédéral et centralise­r, en partie tout au moins, la gestion de préoccupat­ions communes telles que la sécurité et la défense, les migrations, l’énergie et la politique budgétaire.

6. La crédibilit­é de l’Union monétaire européenne se verrait renforcée par une définition claire de son obligation d’assistance mutuelle, un phénomène susceptibl­e d’induire une internatio­nalisation de l’euro et le déclin de la domination du dollar.

7. Les risques de différends géopolitiq­ues pourraient s’accroître.

8. Les opportunit­és de diversific­ation pourraient augmenter. La décorrélat­ion de l’économie mondiale et des marchés accroît l’utilité et la nécessité d’une vaste diversific­ation. ■

Les investisse­urs ne doivent pas sousestime­r la puissance de l’Occident, qui réalise deux tiers de la performanc­e économique mondiale

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