Trevor Noah, l’humour triomphant
Né en Afrique du Sud d’un père suisse et d’une mère xhosa, l’enfant de Soweto devenu superstar américaine est de passage à Genève. Retour sur la carrière météorique d’un comédien au parcours déroutant
Il revient sur ses terres. Du moins sur celles de son père. Ce mardi, lorsqu'il s'avancera sur la scène de l'Arena, avant celle du Hallenstadion de Zurich mercredi, Trevor Noah aura peutêtre une (petite) pensée pour Robert. Un paternel alémanique absent, extrêmement discret, «très Suisse», estime-t-il dans son autobiographie parue en 2017, «propre», «méticuleux» et «précis», «qui laisse sa chambre d'hôtel plus propre en partant qu'elle ne l'était à son arrivée».
Il mesurera certainement aussi – une fois de plus – le chemin parcouru. De sa naissance «illégale», c'est le titre de son livre (Born a Crime), fruit d'une union entre un Blanc et une Noire en plein régime d'apartheid, jusqu'à la consécration des plateaux du monde entier. Une vie rocambolesque entamée à l'ombre d'un racisme implacable, dont le comédien a tiré un humour qui fait mouche de New York à Genève.
Du bidonville au firmament
La vie de Trevor Noah fera prochainement l'objet d'un film, et ses réalisateurs n'auront pas à tirer à la ligne. Né en 1984 dans une «nation arc-en-ciel» encore férocement blanche, le comédien vient au jour «mixed race» (mélange de deux races) dans un pays qui préfère le monochrome. Un enfant «colored» (deux parents métis) est toléré mais le rejeton d'un Blanc et d'une Noire est une anomalie condamnée par la loi. Si la police le trouve, il pourrait être retiré à ses parents.
Il passe donc ses premières années dissimulé dans une case de Soweto, le plus grand township (lotissements délabrés pour nonBlancs) d'Afrique du Sud. Les forces de l'ordre terrorisent régulièrement la population, qui s'en sort tant bien que mal dans un système D permanent. Son père n'est pas là. Robert a partagé son patrimoine génétique avec sa mère – mais pas plus. Il ne figure pas sur l'acte de naissance de Trevor Noah, qui grandit sans lui. Sa situation s'améliore quelque peu en 1991. L'apartheid prend fin: il peut de nouveau respirer de l'air frais.
Pour les populations noires sans ressources, la situation économique n'évolue cependant pas beaucoup. «On aime dire: apprends à un homme à pêcher et il se nourrira toute sa vie, écrit Trevor Noah. Mais on oublie de dire qu'il serait bien de lui donner une canne à pêche.» Dans son livre, récit fleuve de 300 pages – comme dans son talk-show actuel – le Sud-Africain souligne sans relâche les inégalités structurelles (c'est l'un de ses chevaux de bataille) qui empêchent, génération après génération, les classes défavorisées de s'en sortir. En Afrique comme aux Etats-Unis.
La culture et l'éducation notamment, qu'il interroge muni d'exemples parlants. Comme son ami, danseur de génie, prénommé «Hitler». «Les puissances coloniales n'ont jamais éduqué les Noirs sur l'histoire, dit-il. Comment voulez-vous qu'ils sachent ce que ça représente? J'ai des amis qui s'appellent Napoléon, Mussolini et Hitler. Si vous demandez à un Sud-Africain qui est le plus grand vilain de l'histoire, il dira plutôt Cecil Rhodes (l'architecte de l'apartheid). A Soweto, Hitler n'est qu'un homme fort de plus. Tout est une question de perspective.»
Toujours piquant, jamais revanchard, lui n'a dû son salut qu'à
«On aime dire: apprends à un homme à pêcher et il se nourrira toute sa vie. Mais on oublie de dire qu’il serait bien de lui donner une canne à pêche»
une improvisation constante, art dans lequel sa mère excelle, tout comme lui-même. Enfant turbulent, il raconte ses business faits de bric et de broc, les CD piratés pour revendre de la musique, un emploi précaire de DJ des rues, perdu lorsqu’un policier tire dans son ordinateur… un passage par la case prison pour suspicion de véhicule volé. La pauvreté au point de gratter la terre pour manger des insectes. Et l’humour, toujours.
Imitateur hors pair de Trump
L’enfance du comédien est dangereuse, injuste, précaire, faite de violences effarantes (sa mère reçoit un jour une balle dans la tête et s’en sort miraculeusement). Mais lui ne la voit pas comme ça. Entre deux rafales, Trevor Noah décrit un joyeux bordel de damnés sans le sou. Mais pas sans solidarité. Aux Blancs riches «les prisons sécuritaires», cachés derrière les hauts murs de leurs maisons. Aux pauvres le ghetto, espace de misère mais aussi de liberté. Et toujours l’envie de s’en sortir. En tirant toutes les ficelles imaginables. Jusqu’au sommet.
Après un enchaînement invraisemblable de petits rôles, premiers contrats de présentation, déménagement outre-Atlantique et autres combines, il reprend en effet le Daily Show, émission satirique culte aux Etats-Unis. C’est la consécration. Nous sommes en 2015, peu avant l’élection de Donald Trump. C’est le bon moment. Dans un pays en plein accès de bigoterie, le trublion tombe à pic, se mue en imitateur hors pair du milliardaire, pourfend chaque semaine ses errances. Sans oublier de tacler l’autre camp.
«Ni de gauche ni de droite» – bien qu’il semble évidemment plus proche des démocrates, l’enfant de Soweto n’a pas mis la pédale douce sous Joe Biden, régulièrement «grillé» sur son antenne. Parmi ses dernières piñatas, on compte aussi les milliardaires américains, dont il interroge le statut avec dérision. Mais pas sans réflexion: «Elon Musk n’est pas imposé sur la valeur potentielle de Tesla, relevait-il encore récemment. Mais celle-ci lui permet d’obtenir un prêt auprès d’une banque pour racheter Twitter?» Mardi et mercredi, la Suisse pourrait bien en prendre pour son grade. Les deux spectacles sont complets. ■