Le Temps

Décortique­r la campagne de l’UDC contre le «wokisme»

- SPÉCIALIST­E EN GENRE ET DIVERSITÉ, ÉLU VERT AU CONSEIL COMMUNAL DE NYON MARIUS DISERENS

Il est sans doute trop facile, pour un parti devenu expert en détourneme­nt stratégiqu­e et enfumage politique, de crier au loup en extorquant toute légitimité à des décennies de recherches et, ce faisant, en créant une nouvelle réalité dénuée de toute objectivit­é. L’UDC a révélé son programme fédéral il y a peu, s’attaquant ouvertemen­t «au wokisme». Le wokisme, c’est une arme politique et conceptuel­le bien aiguisée, inventée de toutes pièces par la droite conservatr­ice à l’aide d’un récit médiatique diabolisan­t toute personne remettant en cause l’ordre social. Ce sont des discours qui diabolisen­t toute personne reconnaiss­ant le caractère systémique des violences dans notre société.

Que ce soit dans les discours médiatique­s comme politiques, on entend beaucoup trop les personnes défendant les idées que le wokisme soi-disant dénonce, et curieuseme­nt presque jamais les personnes concernées. Sans trop de surprise puisque l’arène politique suisse n’a pas encore vu l’élection à un poste clé d’une personne trans, queer ou non binaire. N’est-elle pas encore prête? En tout cas la société, elle, l’est. J’ai donc décidé de prendre ma plume et d’expliquer, avec mes mots et pas ceux que l’on aimerait me voler, pourquoi une telle pratique est violente, mais aussi néfaste. Décortiquo­ns l’enfumage.

Tout d’abord, il n’y a tristement rien de nouveau à peindre les personnes appartenan­t aux population­s marginalis­ées comme une menace à l’ordre établi, à la cohésion sociale, surtout en période d’instabilit­é politique et économique. Pratique ancestrale de partis qui ne construise­nt leur agenda politique que sur la peur, elle a comme fer de lance l’idée que donner des droits à certaines et certains en enlève à d’autres; que reconnaîtr­e les droits fondamenta­ux de population­s jusqu’alors laissées-pour-compte muselle les personnes qui en jouissent déjà. Ce que ces discours haineux oublient, c’est qu’il s’agit simplement de réparer une inégalité de traitement. En définitive, il s’agit tout bonnement de donner l’opportunit­é à des personnes de vivre leurs réalités et leurs trajectoir­es de vie en toute sécurité et intégrité, sans que la nôtre n’en soit nullement altérée.

Sous le couvert de la défense des libertés fondamenta­les, l’UDC nous annonce vouloir supprimer les bureaux de l’égalité. Ces derniers ont été créés sur la base de l’article 8 de la Constituti­on suisse qui, depuis 1981, garantit l’égalité de tous les êtres humains devant la loi; il ne s’agit donc pas du tout d’un «acte terroriste du wokisme» mais d’un droit fondamenta­l. Mépriser l’existence même d’autres êtres humains dont nous ne partageons pas la réalité ne relève pas de la liberté d’expression, cela devient en revanche une violation de la liberté d’être, une question de santé publique mais aussi de droits humains. Ensuite, en réponse à l’idée que les «militants woke usent de violence et profitent abondammen­t de l’argent public», ce même parti s’attaque aux départemen­ts des études genre des université­s. Or, c’est à la liberté de l’enseigneme­nt et de la recherche, inscrite à l’article 20 du même texte, que leur idéologie s’attaque ici. Car bien que les porte-parole de l’UDC veuillent nous faire croire que la protection de l’intégrité physique et morale des personnes marginalis­ées relève de l’idéologie, ils feraient mieux de juger leurs propres discours haineux à l’aune de cette théorie.

De quel côté est donc la violence? Du côté de celles et ceux qui s’engagent à défendre les droits fondamenta­ux de tous les êtres humains constituan­t notre société, ou de celui de celles et ceux qui considèren­t ces droits comme un privilège et désirent en priver une strate entière de la population, quelle qu’en soit la taille? Une question plus essentiell­e serait celle qui se demande qui le droit et la justice protègent, et quelles sont les mesures pour rectifier le tir. Ce qui est certain, c’est que la désinforma­tion autour de questions sociétales visant directemen­t certaines communauté­s est aujourd’hui très grave, tout comme le fait d’instaurer un climat politique de haine et de peur. Le fossé entre les personnes qu’on targue d’être woke et celles qui les accusent n’a jamais été aussi grand. Et pourtant, s’il fallait faire un choix, il me paraît clair qu’une société qui prône l’écoute, le respect, le partage et la remise en question est préférable à bien des égards. On ne fait que demander l’équité, c’est-à-dire une protection et une reconnaiss­ance légale, historique et sociale, rien de plus. ■

La désinforma­tion autour de questions sociétales visant directemen­t certaines communauté­s est aujourd’hui très grave

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