Le Temps

La main des Emirats arabes unis derrière le Qatargate?

- DOCTEUR EN SCIENCES POLITIQUES, CHERCHEUR SUR LE MOYEN-ORIENT, UNIVERSITÉ­S DE BRUXELLES ET DE MONTRÉAL SÉBASTIEN BOUSSOIS

De nouvelles révélation­s récentes dans l’enquête en cours de ce qu’il serait plus juste d’appeler l’«EUgate» semblent pointer du doigt et impliquer les Emirats arabes unis. Etrange coïncidenc­e en effet que des enquêteurs aient retrouvé, parmi les nombreuses enveloppes de cash récupérées lors de la perquisiti­on du domicile de Pier Antonio Panzeri, celui qui est suspecté d’être le cerveau de cette affaire tentaculai­re de corruption au sein du Parlement européen, des enveloppes estampillé­es du sceau du Croissant-Rouge émirati. C’est ce que la Libre Belgique affirmait récemment après qu’un journalist­e a visionné de plus près les photos de l’argent saisi par la justice et diffusées en décembre dernier dans tous les médias.

Il faut bien reconnaîtr­e que l’affaire prématurém­ent appelée Qatargate, tombée en pleine Coupe du monde à Doha, est arrivée à un moment propice pour qui souhaitait ajouter une polémique de plus contre Doha. L’équipe du juge Michel Claise a pris en flagrant délit une série d’individus soupçonnés de corruption et pour une partie jetés en prison, le temps de la poursuite de l’enquête. Il fallait être certes bien renseigné ou qu’elle fût informée. On ne tombe pas au hasard sur ces faits.

Il n’est du coup pas absurde de se demander qui aurait pu avoir intérêt à ce qu’un pays paie pour tous les autres. A la lueur de la découverte de ces enveloppes provenant des Emirats arabes unis, on est en droit de revenir sur la guerre géopolitiq­ue des «tranchées» qui a opposé le Qatar aux EAU, l’Arabie saoudite, Bahreïn, et l’Egypte de 2017 à 2021, isolant du jour au lendemain totalement Doha sur la scène régionale. On sait qu’Abu Dhabi dispose de réseaux d’influence puissants à Bruxelles, pour imposer son agenda mais aussi afin de lutter contre ses ennemis, Qatar en tête à l’époque, et encore aujourd’hui malgré la fin officielle de la crise.

Avant même les informatio­ns diffusées dans la Libre Belgique, le site d’informatio­ns italien Il Giornale accusait directemen­t la main d’Abu Dhabi dans le déclenchem­ent du scandale du Qatargate. Ayant repris des informatio­ns des sites Dagospai.com et du Nyweekly.com, l’ensemble de ces sources ciblaient Tahnoon ben Zayed Al Nahyane, le frère du président des Emirats, Mohammed ben Zayed, et chef des services secrets locaux, accusé d’opérer un intense lobbying en faveur de son pays à Bruxelles.

Alors que d’autres pays financent un intense lobbying auprès des institutio­ns depuis des années, que ce soit la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite, un pays est resté relativeme­nt discret depuis le début de l’affaire: justement les Emirats arabes unis. Si le Qatar a été chargé au moment de la Coupe du monde, personne ne s’est interrogé sur les conditions de travail de millions de ressortiss­ants étrangers depuis des décennies pour construire Dubaï, Abu Dhabi, jusqu’à la dernière Exposition universell­e abritée par l’Etat fédéral en 2022. Un lobbying plus puissant que celui de Doha et passé à travers les gouttes?

Dans les cercles bruxellois, un rapport est sorti en juin dernier sur la stratégie d’influence et de lobbying d’Abu Dhabi auprès des institutio­ns européenne­s. Il a été présenté par Nicola Giovannini, de l’ONG Droit au Droit. Ce dossier de 150 pages analyse en détail la toile qu’Abu Dhabi a tissée, via des centres de recherche factices, des contacts auprès du Parlement européen, ou d’agences de communicat­ion politiques. Toutes avec un ennemi à abattre: le Qatar, éternel rival politique régional et mondial. Il faudra attendre la suite de l’enquête pour savoir jusqu’où remonte la piste depuis les mystérieus­es enveloppes du Croissant-Rouge émirati retrouvées chez Panzeri en décembre dernier.

Il est donc normal de s’interroger sur les intérêts que certaines personnes ou entités peuvent tirer à ce stade d’un nouveau bashing contre Doha, qui a fait pschitt et qui aujourd’hui vise directemen­t les failles éthiques du Parlement européen, avec un nombre croissant de pays suspectés de pratiquer un lobbying totalement illégal. C’est aussi pour cela que l’on parle de plus en plus de EUgate, le plus grand des scandales à l’heure actuelle au coeur de ce bastion de la morale humaniste et de ce parangon de vertu qui connaît de violents tourments depuis le début de l’affaire. ■

Abu Dhabi dispose de réseaux d’influence puissants à Bruxelles pour imposer son agenda

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