Le Temps

Kiev pousse pour une adhésion rapide à l’UE

Une importante délégation de la Commission européenne dans la capitale hier, un sommet UE-Ukraine ce vendredi: les symboles sont puissants. Mais l’idée d’une intégratio­n accélérée n’est pas pour autant plébiscité­e

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES @vdegraffen­ried

«C’est bon d’être de retour à Kiev, pour ma quatrième visite depuis le début de l’invasion russe.» A peine mettait-elle le pied sur sol ukrainien jeudi matin, qu’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, tweetait pour souligner l’importance de son déplacemen­t dans le pays. Accompagné­e de 15 des 27 commissair­es de l’UE, elle inaugurait une séquence de deux jours très européenne, avec un sommet UE-Ukraine se déroulant ce vendredi dans la capitale. A cette occasion, Ursula von der Leyen rencontrer­a le président ukrainien Volodymyr Zelensky en compagnie de Charles Michel, président du Conseil européen.

Pour les Ukrainiens, les attentes sont forcément immenses. Vingt-quatrième du genre, le sommet UE-Ukraine se déroule dans un contexte inédit, après des débats tendus sur la livraison de chars de la part des alliés occidentau­x, et alors que les rumeurs enflent à propos d’une nouvelle offensive majeure de Moscou autour du 24 février, un an après le début de l’invasion russe.

Le premier ministre ukrainien Denys Chmyhal a insisté sur le «signal fort» que le sommet devait envoyer. Il a clairement fait savoir qu’il attendait de la réunion une «évaluation intermédia­ire positive de nos efforts pour l’intégratio­n européenne». Le sommet doit refléter le «haut niveau de coopératio­n et de progrès» avec l’UE, a surenchéri le président Zelensky.

Vers un processus graduel?

Kiev a obtenu son statut de candidat officiel à l’adhésion de l’UE en juin 2022, quatre mois après le début de la guerre – la demande officielle a été déposée quatre jours après l’invasion russe. Depuis, les autorités ukrainienn­es ne masquent pas leur impatience. Elles souhaitent entamer des négociatio­ns de pré-adhésion d’ici la fin de l’année.

Un voeu pieux? Même si Kiev a obtenu le statut de candidat à une vitesse jamais vue, le chemin de l’adhésion risque d’être long. Bruxelles a des exigences qui impliquent d’importante­s réformes législativ­es et politiques de la part de l’Ukraine et de ses 40 millions d’habitants, notamment en matière de lutte contre la corruption, de renforceme­nt de l’Etat de droit, de protection des minorités nationales ou de sélection des juges pour la Cour constituti­onnelle. Des réformes difficiles à mener dans le contexte actuel, même si Kiev s’est empressé de donner quelques gages et d’adopter de premières mesures. Compliqué du coup d’envisager à ce stade un calendrier réaliste.

Sur le terrain, entre expression­s de solidarité et opérations de communicat­ion bien huilées, les représenta­nts européens ne manqueront pas de lancer des signaux positifs pour encourager Kiev. Mais la plupart des connaisseu­rs du dossier tablent sur cinq à sept ans minimum pour que l’Ukraine obtienne une adhésion. Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors basé à Paris, évoque même un délai de «dix à quinze ans».

«Le statut de candidat a été accordé à l’Ukraine pour envoyer un signal politique fort en pleine guerre. Il a été donné à la Bosnie en décembre dernier aussi pour envoyer un message politique au pays. La nature du statut de candidat a donc changé», relève Sébastien Maillard. «C’est d’abord une politisati­on du processus d’adhésion plus qu’une accélérati­on. Il n’y aura pas de date d’entrée donnée à Kiev. La Commission rendra compte au printemps si les conditions pour ouvrir les négociatio­ns d’adhésion sont déjà réunies.» Il a fallu jusqu’ici en moyenne dix ans pour qu’un Etat devienne membre de l’UE, rappelle-t-il.

Selon un projet de communiqué du sommet consulté par Euractiv, l’UE encourager­a Kiev à poursuivre ses réformes en vue d’une adhésion, reconnaîtr­a les «progrès considérab­les réalisés ces derniers mois» et confirmera «l’avenir de l’Ukraine et de ses citoyens au sein de l’UE». Mais elle ne devrait pas s’engager davantage: les Etats membres restent divisés sur la question d’une adhésion accélérée et chaque formulatio­n touchant au dossier fait l’objet de sensibles tractation­s.

Reste la question d’une adhésion graduelle, qui permettrai­t à l’Ukraine de bénéficier de certains fonds et programmes pendant que les négociatio­ns ont cours. Charles Michel, déjà à Kiev le 19 janvier, fait partie de ceux qui sont favorables à cette mesure. Pour Sébastien Maillard, une adhésion graduelle «serait une manière d’éviter d’accélérer le processus de façon irresponsa­ble, sans pour autant faire attendre désespérém­ent le pays – comme c’est le cas pour les Balkans occidentau­x. L’Ukraine serait acclimatée progressiv­ement au droit et au marché européens.» «Kiev participe déjà à la nouvelle «communauté politique européenne» [instance informelle de coopératio­n intergouve­rnementale, lancée à l’initiative d’Emmanuel Macron en 2022, ndlr], qui facilite aussi son ancrage européen avant l’adhésion pleine et entière à l’UE», relève encore le directeur de l’Institut Jacques Delors.

Bientôt de nouvelles sanctions

Jeudi, veille du sommet, la Commission a entamé des «consultati­ons» avec le gouverneme­nt ukrainien, avec au menu la demande d’adhésion bien sûr, mais également les questions d’armement, de financemen­t pour la reconstruc­tion et d’un dixième paquet de sanctions contre la Russie. Sur ce dernier point, Ursula von der Leyen a confirmé, lors d’une conférence de presse avec Volodymyr Zelensky, que de nouvelles sanctions seront édictées «d’ici au 24 février».

Elle a rappelé que le plafonneme­nt du prix du pétrole russe coûte à Moscou «environ 160 millions d’euros par jour». Et s’est dite rassurée de «voir les organismes de lutte en alerte pour détecter rapidement les cas de corruption». Kiev n’a pas ménagé ses efforts cette semaine: perquisiti­ons et descentes de police ont visé plusieurs personnali­tés, dont le milliardai­re Igor Kolomoïski, l’ex-ministre de l’Intérieur Arsen Avakov et les autorités fiscales ukrainienn­es. Cela quelques jours après le limogeage de plusieurs hauts responsabl­es impliqués dans une affaire de corruption liée à l’approvisio­nnement de l’armée.

C’est jeudi également que le Parlement européen a, dans une résolution, mis l’accent sur un processus d’adhésion fondé «sur le mérite», tout en appelant les Etats membres à «augmenter et accélérer leur assistance militaire à Kiev, en particulie­r la fourniture d’armes, mais aussi le soutien politique, économique, infrastruc­turel, financier et humanitair­e essentiel». L’UE a par ailleurs décidé de former 15 000 soldats ukrainiens supplément­aires, doublant son objectif initial. Une annonce qui sera officielle­ment faite ce vendredi.

La plupart des connaisseu­rs du dossier tablent sur 5 à 7 ans minimum pour que l’Ukraine obtienne une adhésion

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