Le Temps

Le Rassemblem­ent national se fait discret sur les retraites

On entend beaucoup plus la gauche que le parti de Marine Le Pen dans la mobilisati­on contre l’impopulair­e réforme d’Emmanuel Macron. Principale­ment pour des raisons de stratégie électorale

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

La mobilisati­on contre la réforme des retraites ne faiblit pas en France, comme l'ont montré les énormes manifestat­ions de mardi et les appels à de futures grèves entre-temps. La semaine aura aussi été marquée par l'arrivée du dossier en commission parlementa­ire, où la virulence des débats n'aura permis d'examiner que deux articles, laissant sur la touche près de 5000 amendement­s sur 7000. Comme un processus de débat accéléré a été choisi par le gouverneme­nt, l'examen public du texte dans l'hémicycle commencera lundi. Donc sans que la commission ait vraiment pu discuter de ces dispositio­ns, qu'une partie de la droite traditionn­elle pourrait lâcher. Ce qui les empêcherai­t de passer la ligne d'arrivée dans cette Assemblée nationale sans majorité.

Cette semaine de débats publics sera ouverte par une motion référendai­re du Rassemblem­ent national (RN). La gauche avait également déposé une telle demande, mais le tirage au sort a donné la priorité au parti de Marine Le Pen, une visibilité bienvenue pour cette formation que l'on entend peu, même si la retraite précoce est un marqueur de son «social-populisme». Dans la campagne présidenti­elle de 2022, la candidate RN avait abandonné l'idée de revenir à un âge de départ à 60 ans. Mais elle propose toujours de maintenir l'âge légal à 62 ans, tout en permettant à ceux qui sont entrés sur le marché du travail avant 20 ans de partir plus tôt.

Des syndicats hostiles

Comment expliquer ce retrait, alors que la gauche est omniprésen­te, unie et très visible dans les médias, à l'Assemblée et au coeur des défilés pour faire savoir son opposition radicale? Tout d'abord, il faut savoir que le Rassemblem­ent national n'est pas le bienvenu dans les manifestat­ions syndicales, la plupart de ces organisati­ons ayant fait part de leur hostilité à toute collaborat­ion, voire à toute présence du parti dans les défilés.

Quant à l'implicatio­n des députés RN dans le débat à l'Assemblée, il faut rappeler que depuis leur arrivée en masse au printemps, le parti a choisi une stratégie de respectabi­lité afin d'asseoir une image de compétence et de sérieux tranchant avec la véhémence des propos et des comporteme­nts de la gauche radicale. «Le RN est dans l'opposition à la réforme mais se met en retrait pour ne pas s'associer à des mouvements de contestati­on du régime, ses députés jouent les institutio­ns et se notabilise­nt. Ils voudraient incarner une certaine responsabi­lité et un respect de l'ordre, si jamais certaines manifestat­ions devaient déraper vers de la violence», nous explique Luc Rouban, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po et auteur en 2022 de La Vraie Victoire du RN.

«Pile je gagne, face tu perds»

On notera également qu'un des réservoirs de vote de Marine Le Pen se trouve dans l'électorat de la droite traditionn­elle, chez Les Républicai­ns, plus favorables au report de l'âge de la retraite que l'électorat mariniste. «Les seniors fortunés, qui sont déjà beaucoup à avoir rallié Macron, sont loin d'être captifs, fait remarquer le politologu­e Luc Rouban. Et le frein à l'immigratio­n ainsi que la sécurité sont très importants pour eux.»

Reste à savoir qui a le plus de chances de récolter les fruits de la révolte lors des prochaines échéances électorale­s. Pour Luc Rouban, le RN est en position de force, même en vue d'une éventuelle dissolutio­n de l'Assemblée nationale. Tout d'abord grâce à son associatio­n de l'autorité et du social, très porteuse en France. Ensuite grâce à sa sociologie électorale qui s'est beaucoup élargie en 2022, bien au-delà des couches populaires. «En plus, ils sont les seuls à avoir une doctrine homogène, affirme le politologu­e. La gauche et le centre sont très divisés sur plusieurs thèmes.»

Renforcer l'Etat, notamment sur l'immigratio­n et la sécurité, ne pas faire preuve de trop de libéralism­e pour la société française, s'embourgeoi­ser sur le sérieux budgétaire, le cocktail est dans l'air du temps, selon Luc Rouban. «Finalement, c'est un peu ce qu'il s'est passé en Italie avec Giorgia Meloni.» Et dans cette grogne sur les retraites, la stratégie du RN est faite pour sortir gagnante à tous les coups, nous explique le chercheur. «Si Emmanuel Macron retire son projet, les députés RN pourront affirmer qu'il n'était pas en phase avec la France profonde, contrairem­ent à eux. Et s'il passe, ils pourront pointer l'inefficaci­té de la gauche, des syndicats et de ces modes de contestati­on. C'est pile je gagne, face tu perds.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland