Des maisons sous cloche pour tester les affres du climat
L’Université de Salford, au Royaume-Uni, a construit deux maisons dans un sas hermétique pour tester leur efficience énergétique face à un blizzard ou une canicule. Pour rendre l’épreuve plus réaliste, elles seront habitées
Il fait 15 degrés dans le grand cube noir qui héberge la Maison de l’énergie 2.0, sur le campus de l’Université de Salford, au nord de l’Angleterre. «La semaine dernière, il y faisait -20 degrés et il y avait de la neige, du vent et du brouillard, raconte Joseph Flanagan, chargé de ce projet. Nous pouvons aussi faire monter la température jusqu’à 40 degrés et provoquer une averse.»
Composé de deux chambres hermétiques, cet espace, dont la réalisation a coûté 16 millions de livres, permet à des chercheurs et à des entreprises de tester des solutions pour améliorer l’isolement des maisons. Pour moduler son climat, ils ont accès à une armée de canons à neige, de machines à vent, de diffuseurs d’eau formant de la pluie et de lampes électriques simulant la chaleur du soleil.
«Quand nous menons des expériences dans le monde réel, nous devons composer avec les caprices de la météo et les comportements des humains qui habitent dans ces logements, relève Ben Roberts, un chercheur qui oeuvre sur la Maison de l’énergie 2.0. Ici, tout est contrôlé. Cela nous permet de tester comment une maison se comporte – en matière d’efficience énergétique – dans un climat donné.» Des expériences, qui requièrent normalement un échantillon composé de plusieurs centaines de foyers et au moins deux ans de travail, peuvent être menées ici en l’espace de quelques semaines.
Pour l’heure, la grande halle contient deux maisons. La première, un pavillon de briques rouges sur deux étages, est l’oeuvre du promoteur immobilier Bellway. Au rezde-chaussée, on trouve une cuisine moderne et un salon. Des plantes en pot trônent dans un coin et la table basse est recouverte de livres d’art. A l’étage, il y a deux chambres à coucher,
«On peut réduire les déperditions de chaleur de près de 40% rien qu’en fermant les rideaux ou les stores»
RICHARD FITTON,
UNIVERSITÉ DE SALFORD
une salle de bains et même une chambre d’enfant remplie de jouets et de peluches, comme si les occupants de la maison venaient de s’absenter un instant.
La seconde a été construite par Barratt, une autre société immobilière, et le producteur de matériaux français Saint-Gobain. Composée d’une double paroi en bois dont la cavité a été remplie de matériel isolant puis recouverte de fausses briques grises, cette maison est encore plus efficiente. «Nous avons installé des centaines de caméras infrarouges et de senseurs pour mesurer les flux de chaleur à travers les parois, les toits et les sols de ces deux maisons, le taux d’humidité, la température et la qualité de l’air dans différents scénarios climatiques», détaille Joseph Flanagan.
«Le changement climatique ne signifie pas simplement une hausse des températures moyennes, pointe Richard Fitton, un spécialiste de l’efficience énergétique à l’Université de Salford. Le temps va devenir plus volatil, avec des hivers plus mouillés, des tempêtes plus fréquentes et des étés plus chauds. Nous devons tester comment ces maisons vont se comporter face à ces bouleversements.»
Les chercheurs examineront également le degré d’efficience énergétique de divers types de chauffage. Comme une pompe à chaleur, qui extrait et concentre la chaleur de l’air ambiant, puis la diffuse par les plinthes. Ou des plaques chauffantes infrarouges accrochées au plafond. Tous deux seront alimentés par des panneaux solaires disposés sur le toit. «L’énergie produite ainsi sera entreposée dans la batterie d’un véhicule électrique parqué devant la maison, glisse Joseph Flanagan. A terme, l’objectif est de créer une demeure zéro carbone.»
L’Université de Salford permet en outre à des start-up de tester gratuitement leurs technologies. L’une d’elles, Wondrwall, a développé des senseurs intelligents qui adaptent le chauffage et l’éclairage de la maison en fonction des habitudes de ses habitants.
Sans résident, ces demeures ne sont en effet que des coquilles vides. «D’ici à l’été prochain, nous espérons faire vivre de vraies personnes dans nos maisons, explique Richard Fitton. Elles y résideront 24h/24 durant une période donnée.» Un appel à volontaires sera lancé. Cela permettra de mesurer comment les gens réagissent à divers systèmes de chauffage et comment leurs comportements interfèrent avec l’efficience énergétique des maisons.
Royaume des courants d’air
Si la Maison de l’énergie 2.0 permet de répondre aux défis du futur, elle ne résout pas les problèmes du présent. Le RoyaumeUni possède un des parcs immobiliers les moins bien isolés d’Europe. Près de 37% des maisons ont été construites avant 1945, contre 23% dans l’UE. Les villes sont remplies de demeures victoriennes pleines de courants d’air ou de pavillons construits à la hâte il y a plus de cent ans pour abriter une population ouvrière en expansion durant la révolution industrielle. A l’échelle du pays, 85% des logements sont chauffés avec une chaudière à gaz.
«Nous avons longtemps bénéficié d’une énergie bon marché et abondante, d’abord sous la forme du charbon, puis du gaz extrait en mer du Nord, analyse Joseph Flanagan. Cela ne nous a pas encouragés à mettre la priorité sur l’isolement des maisons.» D’autant plus que le processus est coûteux. «Il faut compter 55 000 à 110 000 livres pour isoler une demeure ancienne», détaille Tom Lipinski, un architecte et expert de l’efficience énergétique.
Le gouvernement a mis sur pied plusieurs programmes de prêts sans intérêts et de subventions pour encourager les particuliers à mener ces travaux. «Mais la plupart de ces initiatives n’ont duré que quelques années avant d’être abandonnées», note Robert Lowe, de l’Institut de l’énergie à University College London. La dernière, introduite durant la pandémie, n’a permis d’isoler que 5800 maisons, contre 600 000 prévues initialement.
A l’Université de Salford, un premier projet de Maison de l’énergie, qui a vu le jour en 2011, tente de remédier à ces défis. Lorsqu’on passe la porte du sas hermétique abritant une maison victorienne en briques rouges avec de grandes baies vitrées, on se fait envelopper d’un vent frais. Il fait 7,1 degrés, selon le thermomètre au mur. Une journée hivernale typique au Royaume-Uni. Mais sitôt le pas de la porte passé, une douce chaleur remplace l’air cru.
«Nous avons isolé les murs extérieurs, remplacé les vitres par un double vitrage, bouché les fuites d’air dans le toit et installé une pompe à chaleur», dit Joseph Flanagan. Des statues humanoïdes équipées de panneaux chauffants reproduisent la chaleur émise par un humain. «Nous avons découvert qu’il était possible d’économiser 63% d’énergie si toutes ces mesures sont implémentées», dit Richard Fitton.
Les chercheurs de Salford se sont aussi intéressés à des solutions à bas coûts. «On peut réduire les déperditions de chaleur de près de 40% rien qu’en fermant les rideaux ou les stores, notamment lorsqu’un radiateur se trouve juste en dessous d’une fenêtre, ajoute Richard Fitton. Régler sa chaudière à gaz sur 60 au lieu de 70 ou 80 degrés permet en outre de diminuer sa consommation énergétique sans perdre en qualité de vie.» Convaincu, le gouvernement a récemment lancé une campagne d’affichage nationale pour appeler les Britanniques à adopter ces mesures.
■