Le Temps

A Genève, le passé savoyard vous regarde

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb

Le père porte le képi du postier, sa femme une robe de dentelle; elle tient la main des enfants pour les tenir immobiles mais le chien a bougé et son museau est flou. Un siècle plus tard, on découvre cette scène suspendue, cette tribu immortalis­ée devant leur maison de Haute-Savoie par Gédéon Regard. Un patronyme parfait pour ce photograph­e originaire de Feigères, près de Saint-Julien, qui a capturé dès la fin du XIXe sa campagne et ceux qui y vivaient. Des figures du passé qui dévisagent les visiteurs de Regards croisés.

On y découvre une trentaine de photos, de paysans comme de notables de province, commandées à ce «peintre-photograph­e» itinérant. Jusqu’à sa mort de la grippe en 1918, à 47 ans, il parcourut sans relâche sa région, plaques de verre sous le bras. Il en reste un fonds de 4000 négatifs, 8000 photos et quelque 15 000 visages… inconnus: les légendes manuscrite­s se sont perdues. «Je me suis demandé que faire de ces portraits d’anonymes dont on ne savait rien, raconte Eloi Contesse, commissair­e et conservate­ur du Centre d’iconograph­ie de la Bibliothèq­ue de Genève. Mais il y a un plaisir de la découverte, de la rencontre avec ces gens sur lesquels on peut projeter beaucoup de sens, d’émotions.»

Deux enfants dans leurs habits de communiant­s; un artisan, la main bandée et tuméfiée; un homme de loi; une mariée au bras d’un soldat; une vieille dame avec en médaillon le portrait d’un homme – son époux mort depuis longtemps? Pour des questions de lumière, tous posent dehors. L’air sérieux car «le sourire sur les photos n’apparaîtra qu’au début du XXe siècle», précise Eloi Contesse.

Regards croisés? Parce que l’exposition, avec l’associatio­n savoyarde Paysalp, fait dialoguer l’oeuvre de Regard avec celle d’un autre Savoyard qui lui succédera, Adrien Bonnefoy (1886-1977). Quelques clichés de ce médecin et photograph­e amateur révèlent des instants de vie légers, contrastan­t avec le cadre formel de Regard. Si l’on reconnaît ici et là les membres de la famille Bonnefoy, les clients du premier restent mystérieux. «A terme, le but est de mettre ce fond en ligne», glisse Eloi Contesse. Avec l’espoir que certains aïeux soient reconnus.

■ «Regards croisés», Bibliothèq­ue de Genève, promenade des Bastions 8, lu-ve 9-18h, sa 9-12h, visite guidée sa 11.2 à 10h30, jusqu’au 3 juin, entrée libre, www.institutio­ns.ville-geneve.ch/fr/bge

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