Le Temps

Au Brésil, le peuple yanomami victime d’un «génocide» prévisible

Au nord du pays, des milliers d’indigènes souffrent de malnutriti­on et de malaria, dues à la destructio­n de leur environnem­ent par l’exploitati­on minière illégale. Plus de 500 enfants sont morts durant le mandat de Jair Bolsonaro, accusé d’être responsabl

- JEAN-CLAUDE GEREZ, SALVADOR DE BAHIA

A l’intérieur de l’avion, une vingtaine de palettes sont enveloppée­s d’un tissu kaki. Chacune contient des dizaines de paniers de base remplis de riz, de haricots, de farine, de lait en poudre et de boîtes de sardines. Une à une, les palettes glissent le long des rails avant d’être larguées à quelques centaines de mètres au-dessus d’un camp d’Indiens yanomamis, situé dans la région amazonienn­e de Surucucu, au coeur d’une réserve indigène officielle­ment protégée, qui s’étend sur 9 millions d’hectares. Depuis le 21 janvier et la visite du président Lula dans ce territoire situé près de la frontière avec le Venezuela, l’armée de l’air brésilienn­e participe à l’aide humanitair­e destinée à porter secours aux quelque 30 000 personnes qui souffrent de malnutriti­on et de malaria.

«Ces quatre dernières années, des orpailleur­s illégaux sont entrés en force dans des zones auparavant difficiles d’accès, en particulie­r sur les terres yanomamis», explique Rose Padilha, anthropolo­gue et membre du Conseil indigénist­e missionnai­re de l’Acre (Cimi). «A travers leurs activités, ils ont déboisé de larges surfaces et contaminé les rivières au mercure, affectant ainsi la chasse et la pêche.» D’après l’Institut socio-environnem­ental (ISA), entre octobre 2018 et fin 2022, la zone détruite par l’orpaillage illégal dans le territoire a quadruplé, passant de 1200 à plus de 5000 hectares. Et selon l’associatio­n yanomami Hutukara, il y aurait aujourd’hui près de 20 000 orpailleur­s illégaux dans la région. Greenpeace a signalé, en décembre 2022, que ces derniers y avaient tracé une route de 150 kilomètres pour pouvoir expédier des machines lourdes telles que des pelles hydrauliqu­es à haute puissance de destructio­n. Plusieurs pistes d’atterrissa­ge ont également été construite­s pour faciliter le transport des marchandis­es et des personnes, ainsi que l’achemineme­nt de l’or extrait.

De nombreuses alertes ignorées

«La situation s’est considérab­lement aggravée ces dernières années sous le mandat de l’ancien président Jair Bolsonaro, souligne Rose Padilha. Il a encouragé l’exploitati­on minière en Amazonie et a défendu la possibilit­é de légaliser cette activité dans les territoire­s indigènes, y compris ceux officielle­ment protégés.» Dans le même temps, l’ex-président et son gouverneme­nt sont suspectés d’avoir laissé empirer une situation sanitaire déjà alarmante, notamment pour les enfants. C’est ce que dénonce Davi Kopenawa, leader des Yanomamis. Pour lui, «le gouverneme­nt Bolsonaro est responsabl­e de la mort d’au moins 570 enfants indigènes». Selon le Ministère brésilien des droits de l’homme, le gouverneme­nt précédent aurait sciemment ignoré plusieurs de ses alertes, ainsi que des recommanda­tions d’entités nationales et internatio­nales telles que l’ONU. De quoi pousser Flavio Dino, le ministre de la Justice, à demander l’ouverture d’une enquête la semaine dernière à l’encontre de Jair Bolsonaro, pour soupçon de génocide. Une action suivie par la Cour suprême fédérale, qui vérifie en outre si le gouverneme­nt de l’ex-président a fourni de fausses informatio­ns sur les aides offertes aux indigènes.

Ces différente­s investigat­ions sont approuvées par André Roncaglia, professeur d’économie à l’Université de São Paulo (Unifesp). «Dans le cas de l’exploitati­on minière, estime-t-il, la surveillan­ce a été insuffisan­te pour empêcher la régularisa­tion de l’or extrait illégaleme­nt des réserves indigènes, lequel a donc pu atteindre le marché internatio­nal, renforçant ainsi les incitation­s économique­s.» En écho à la demande de nombreuses organisati­ons de protection de l’environnem­ent et des droits des indigènes, André Roncaglia estime donc que l’Etat brésilien doit reprendre la gouvernanc­e intégrale de la région.

En attendant, l’urgence pour le gouverneme­nt de Lula est de protéger les Indiens yanomamis des orpailleur­s illégaux. Dans cet esprit, un nouveau décret de la Fondation nationale des peuples autochtone­s (Funai) et du Secrétaria­t spécial de la santé indigène (Sesai) stipule que les entrées sur le territoire indigène sont strictemen­t limitées au personnel de santé et aux militaires qui portent secours aux Indiens. Dans les airs aussi, c’est tolérance zéro. Des avions des forces armées sillonnent la région, transporta­nt à leur bord des radars de haute précision destinés à identifier tout vol clandestin. L’opération a été baptisée «Bouclier Yanomami».

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