Le Temps

Le loup met le Jura vaudois aux abois

Alors que le coprésiden­t démissionn­aire des chasseurs aurait été victime de menaces liées à la régulation du prédateur, l’ambiance est délétère dans le microcosme qui gravite autour de la bête

- CAMILLE KRAFFT @CamilleKra

Il faut imaginer, d’abord, une situation inédite: des loups qui réapparais­sent, forment un couple, puis une meute qui se spécialise dans les attaques sur des bovins. Un territoire, le Jura, plus exigu que les Alpes. Des éleveurs en colère, des chasseurs qui défendent les éleveurs, des autorités qui finissent par ordonner des tirs et des militants qui veulent protéger à tout prix le prédateur, dont le retour porte une charge symbolique immense à l’heure où la planète brûle.

Messages anonymes

Bientôt deux ans et une seconde meute plus tard, de fortes tensions agitent le microcosme qui gravite autour du loup dans le Jura vaudois. Ce jeudi, le coprésiden­t de la corporatio­n des chasseurs, Philippe Duperrex, annonçait sa démission: agoni d’insultes et de menaces de mort depuis fin décembre, il explique s’être résigné au départ. Selon son témoignage, un message anonyme déposé à l’arrière de sa voiture le reliait au loup et à la régulation de ce dernier. En effet, cet habitant du pied du Jura est non seulement chasseur, mais également surveillan­t de la faune bénévole. S’il ne tire le loup ni à ce titre (seuls les profession­nels sont chargés d’abattre les prédateurs) ni à l’autre, des amalgames ont pu être faits.

Contactée, la police cantonale indique qu’une instructio­n pénale a été ouverte et que des mesures ont été prises pour renforcer la sécurité de la victime. «Je n’ai jamais rien vu ni entendu de tel», commente le conseiller national PLR Alexandre Berthoud, qui chasse depuis son enfance. «Je suis très surpris par cette déferlante de haine. Philippe Duperrex est quelqu’un de respectueu­x, qui aime partager sa passion. Demain, qui sera visé par des menaces de mort? Les pêcheurs? Les VTTistes? Je ne reconnais pas mon pays.» Comme d’autres chasseurs, Alexandre Berthoud était présent sur le Mont Tendre en octobre pour soutenir des éleveurs qui protestaie­nt contre la présence du loup. Ce soir-là, des militants pro-loup avaient dressé une barricade sur la route pour empêcher les participan­ts à la manifestat­ion de redescendr­e.

La police précise qu’à ce stade, toutes les pistes sont explorées.

Une chose est sûre: la mention du loup résonne dans un contexte délétère. La Fondation Jean-Marc Landry, qui remplit des mandats pour l’Etat de Vaud, fait ainsi état de la déprédatio­n d’une vingtaine de caméras automatiqu­es qui l’aident à suivre les prédateurs. Une employée aurait aussi reçu des menaces anonymes. «Comme on cherche une voie de cohabitati­on, on se fait attaquer des deux côtés, par des chasseurs, par des éleveurs et par des activistes pro-loup», explique Jean-Marc Landry, qui est biologiste et éthologue spécialist­e du loup. «Du côté de certains militants proloup, je paie cher le fait d’avoir soutenu les tirs il y a deux ans.»

Cette meute est devenue «leur meute»

La Valaisanne Isabelle Germanier est la responsabl­e romande du Groupe Loup Suisse, qui veut faciliter la coexistenc­e entre les humains et les grands carnivores indigènes. Selon elle, la situation dans le canton de Vaud est nettement pire qu’en Valais. «Lorsque nous avons annoncé que le Groupe Loup Suisse ne s’opposerait pas à la révision de la loi sur la chasse, je me suis fait traiter de collabo et invectiver en ligne par des pro-loup actifs dans le Jura. Le problème, c’est que pour certains, cette meute est devenue «leur meute».»

Selon Isabelle Germanier, «le pire, c’est que tout cela est hautement préjudicia­ble au loup. Cette problémati­que nécessite une approche rationnell­e, pas émotionnel­le.» Une situation d’autant plus regrettabl­e que «le canton de Vaud gère les choses de manière exemplaire. En novembre, une réunion a eu lieu avec des éleveurs, des représenta­nts du service de la chasse, des organisati­ons de défense de la nature etc. La communicat­ion est bonne, apaisée et nous arrivons à trouver des terrains d’entente».

Activisme sur les alpages

De leur côté, certains chasseurs déversent leur aversion pour le prédateur sur la toile, attisant les braises. Et sur les alpages, la situation est parfois explosive. Depuis la première décision de tir en 2021, des activistes tentent d’intervenir pour faire capoter les «prélèvemen­ts» de loups par leur présence. Si beaucoup se veulent pacifiques, certains sont radicaux dans leurs prises de position. En septembre 2022, l’associatio­n Defend the Wolf basée à Bofflens annonçait ainsi «déployer» ses «équipes». «Toute intimidati­on provenant des gardes-faune aura une réponse en fonction de la menace. En cas d’entrave à nos actions sur le terrain pour préserver l’espèce Canis lupus italicus, nous mettrons en pâture nom, prénom, responsabl­e de la mort des deux loups tirés en début d’année sur les réseaux sociaux (noms connus auprès de nos services).»

Contacté, son président Fabrice Monnet explique que les noms n’ont pas été révélés en raison des risques de poursuites. «Nous aussi, nous avons reçu des menaces de mort provenant de chasseurs, précise-t-il. Concernant Philippe Duperrex, on s’attendait à ce que quelque chose comme ça arrive. Mais on ne cautionne pas et on espère que les auteurs seront retrouvés.»

La Direction générale de l’environnem­ent n’a, quant à elle, pas répondu à nos questions. Elle estime qu’il est «prématuré de s’exprimer sur les menaces dont fait l’objet M. Duperrex, notamment du fait que l’incidence de la gestion du loup n’est à ce jour pas démontrée.»

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(30 SEPTEMBRE 2022/DARRIN VANSELOW POUR LE TEMPS) Au Mont Tendre, un feu géant en signe de soutien aux éleveurs, inquiéts pour leur bétail.

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