Le Temps

Genève et Bâle sur la piste des multinatio­nales responsabl­es

Après avoir échoué de justesse en votation populaire, la coalition d’ONG prépare une offensive dans certains cantons, dont Genève et Bâle-Ville, lieux de concentrat­ion de grandes entreprise­s internatio­nales

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @BoeglinP

Sur le front des entreprise­s multinatio­nales, l’Union européenne avance: ses instances dirigeante­s planchent sur une réglementa­tion plus serrée, permettant de sanctionne­r les violations des droits humains ou environnem­entaux. La Suisse, elle, observe. Sa population a refusé de justesse en 2020 une initiative populaire désirant renforcer la législatio­n, et depuis lors, le Conseil fédéral suit les travaux européens. Un jour ou l’autre, il s’agira d’accorder les violons. Mais pas tout de suite: sur demande de l’ancienne ministre responsabl­e Karin Keller-Sutter, faroucheme­nt opposée à l’initiative, le Conseil fédéral a annoncé un avant-projet de loi d’ici à juillet 2024 au plus tard.

Ce calendrier ne satisfait pas la Coalition pour des multinatio­nales responsabl­es, à l’origine de l’initiative populaire. Ce regroupeme­nt d’organisati­ons caritative­s et de la société civile continue de s’activer. Avec des alliés, il projette des initiative­s cantonales sur la responsabi­lité des multinatio­nales. Les textes, destinés à être soumis en votation populaire, sont actuelleme­nt à l’étude dans plusieurs cantons, dont Genève et Bâle-Ville.

«Cela revient presque à ne rien faire»

Ses partisans invoquent l’évolution internatio­nale, dont celle de l’UE, et ne se contentent pas de la réglementa­tion helvétique. Celle-ci ne prévoit aucun recours aux tribunaux pour les violations présumées. Complétée dans le sillage de la votation populaire de 2020, elle étend les devoirs de diligence et prie les entreprise­s de rédiger des rapports sur les risques de leurs activités en matière de droits humains et environnem­entaux, ainsi que sur le travail des enfants et les minerais ou métaux provenant des zones de conflit.

Au bout du lac, Delphine Bachmann trouve que cela «revient presque à ne rien faire». La députée centriste considère qu’il faut agir. «Avant la votation, le sujet a énormément passionné, et ce, au-delà des frontières partisanes. Il n’est pas clos et préoccupe encore les citoyens. L’UE prend des mesures en ce sens: on ne peut pas faire cavalier seul.»

Vice-président des vert’libéraux genevois, Aurélien Barakat appuie ce propos, insistant sur la direction prise par l’UE. «Il est primordial pour les entreprise­s basées en Suisse de disposer des mêmes cartes que leurs concurrent­es à l’étranger.» L’écologiste David Hiler, ancien conseiller d’Etat chargé des Finances, relève, lui, que «si on accorde des conditions-cadres favorables à nos entreprise­s, alors on a aussi le droit de se montrer sélectif. Le fait est que certaines d’entre elles ont des comporteme­nts problémati­ques hors de Suisse, en porte-àfaux avec nos valeurs et nos lois.»

Ces initiative­s sont-elles utiles?

«L’UE prend des mesures en ce sens: on ne peut pas faire cavalier seul» DELPHINE BACHMANN, DÉPUTÉE GENEVOISE, PARTI DÉMOCRATE-CHRÉTIEN

Le texte en préparatio­n à Genève s’adresserai­t aux grandes sociétés basées dans le canton, dénombrant plus de 250 employés, 20 millions de bilan et 40 millions de chiffre d’affaires. Il exigerait qu’elles respectent les droits humains et normes environnem­entales internatio­nalement reconnus. L’obligation s’étendrait à la chaîne de valeur (aux fournisseu­rs par exemple). Une institutio­n cantonale «indépendan­te» se chargerait de la surveillan­ce et des sanctions.

Reste la question de l’utilité des démarches cantonales: servent-elles à quelque chose si la Confédérat­ion ne change pas son cadre légal? Membre du comité de la Coalition pour des multinatio­nales responsabl­es, et conseillèr­e politique à l’Entraide protestant­e suisse, Chantal Peyer y croit. «Nous avons déjà vu que dans les lois sur les marchés publics, et le débat sur l’intégratio­n des critères de durabilité, des cantons ont mis en place des politiques novatrices qui ont ensuite influé sur le résultat national.»

Aucun de nos interlocut­eurs ne craint que les multinatio­nales déménagent en masse dans des cantons aux règles plus souples. Ils pensent au contraire que les autres cantons suivront, et que les initiative­s cantonales mettront la Berne fédérale sous pression. Le parlement pourrait d’ailleurs, sur propositio­n de la vert’libérale Corina Gredig (ZH), ajouter dans le droit fédéral le travail forcé dans les domaines touchés par le devoir de diligence.

En face, les opposants contactés préfèrent pour l’heure attendre la publicatio­n des textes d’initiative avant de se prononcer. L’un d’eux, membre d’une faîtière économique, nous fait tout de même part de son scepticism­e quant à la constructi­on juridique entre droit cantonal et fédéral. Plus que jamais: affaire à suivre.

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