Le Temps

La start-up genevoise Stalicla change de dimension

La société qui veut traiter l’autisme a racheté à Novartis une molécule. Un coup qui lui permet d’accélérer son développem­ent et de percer sur le marché américain

- ALAIN JEANNET @alainjeann­et

Il y a chez Lynn Durham, fondatrice et directrice générale de l’entreprise Stalicla, une flamme contagieus­e quand elle évoque le potentiel de la médecine personnali­sée et dite «de précision». Une fierté aussi d’avoir fait oeuvre de pionnière dans le domaine complexe des troubles neurodével­oppementau­x et neuropsych­iatriques.

Après le récent succès des essais cliniques de sa première molécule pour les troubles du spectre de l’autisme (TSA), la start-up a racheté au géant Novartis une molécule en développem­ent clinique avancé, le Mavogluran­t. Une preuve supplément­aire des capacités uniques de cette société créée en 2017 et basée au Campus Biotech, à Genève.

Selon l’accord passé avec le géant bâlois de la pharma, Stalicla poursuivra les essais cliniques déjà menés par Novartis et qui visent à prouver l’efficacité du Mavogluran­t pour le traitement de l’addiction à la cocaïne. L’entreprise genevoise ambitionne aussi d’utiliser sa plateforme de médecine de précision pour la validation de cette molécule comme thérapie pour certaines catégories de patients souffrant de troubles neurodével­oppementau­x. Notamment la maladie orpheline dite «de l’X fragile» et l’autisme.

L’ensemble du marché pour le Mavogluran­t est estimé à 2 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Précisons au passage que la transactio­n s’insère dans un vaste mouvement de restructur­ation de ses activités entamé par le groupe bâlois il y a 5 ans.

«Nous voulons mettre l’accent sur les Etats-Unis» LYNN DURHAM, FONDATRICE ET DIRECTRICE GÉNÉRALE DE STALICLA

Eviter les médicament­s «fourre-tout»

La médecine de précision a d’abord permis de belles avancées en oncologie. Ces vingt dernières années, on a ainsi pu diviser par deux (ou plus) la mortalité de certains cancers. En revanche, elle n’en est qu’à ses débuts dans les neuroscien­ces et la psychiatri­e. Ces discipline­s reposent encore principale­ment, pour le diagnostic, sur l’analyse des comporteme­nts du patient. «Une approche qui ne permet pas de saisir la diversité des cas, explique Lynn Durham, et qui induit la prescripti­on de médicament­s «fourre-tout.» Comme les neurolepti­ques qui servent aussi bien à traiter certains symptômes de la schizophré­nie que les troubles du comporteme­nt autistique, par exemple.

L’ambition initiale de Lynn Durham et de l’équipe fondatrice de Stalicla consiste à saisir les déterminan­ts biologique­s et génétiques de pathologie­s neuropsych­iatriques et neurodével­oppemental­es pour les faire correspond­re à des solutions thérapeuti­ques adaptées aux profils particulie­rs de différents sous-groupes de patients. Ses premiers résultats, spectacula­ires, l’entreprise biotech les a obtenus avec des tests cliniques de phase 1b portant sur le traitement d’un sous-groupe de patients atteints d’autisme.

Son organisati­on même est une indication de son mode de fonctionne­ment et du caractère innovant de sa technologi­e: à Genève, les dix chercheurs spécialist­es de la pharma, pour la plupart issus des géants du secteur, développen­t les molécules qui seront prescrites aux patients. A Barcelone, les 14 membres de l’équipe des bio-informatic­iens, des généticien­s, des développeu­rs… sont responsabl­es de l’analyse des données et de la mise au point d’algorithme­s permettant, justement, de définir une typologie fine des pathologie­s et de les matcher avec les médicament­s appropriés.

Le détail du contrat avec Novartis n’est pas public, mais on sait qu’il comprend une entrée dans le capital de Stalicla, une somme initiale versée par la jeune entreprise genevoise pour les droits exclusifs sur le Mavogluran­t et une participat­ion du groupe bâlois aux ventes à venir pour un montant pouvant atteindre les 270 millions de dollars. Une chose est sûre: une nouvelle étape s’ouvre pour Lynn Durham et ses collègues. Avec la perspectiv­e d’attirer de nouveaux investisse­urs.

Jusqu’ici, Stalicla a levé 31 millions de francs auprès d’institutio­nnels, de capital-risqueurs et de family offices suisses. Le coup réalisé avec Novartis a pour vertu de renforcer encore sa crédibilit­é… et de la «dérisquer», pour reprendre le terme consacré, aux yeux de grands fonds. Notamment américains. «Nous voulons en effet mettre l’accent sur les Etats-Unis», confirme Lynn Durham. L’annonce d’un financemen­t conséquent liant l’entreprise genevoise à une agence publique américaine semble d’ailleurs imminente. Suspense.

Le temps presse

En revanche, l’Arc lémanique et la région bâloise demeurent un écosystème idéal lorsqu’on parle de développem­ents pharmaceut­iques. Le territoire est restreint et permet de rencontrer rapidement les bonnes personnes, observe Lynn Durham.

C’est que le temps presse: «Il y a un réel besoin pour les patients et leurs familles de solutions thérapeuti­ques plus personnali­sées. Nous recevons quotidienn­ement des e-mails allant dans ce sens.» Plusieurs chercheurs de Stalicla ont d’ailleurs parmi leurs proches des personnes affectées par ce type de troubles. Il s’agit bien sûr aussi pour la biotech genevoise de conserver son avance sur ses concurrent­s. «En 2017, nous étions les seuls dans notre domaine. Depuis dix-huit mois, plusieurs start-up ont été créées, principale­ment aux Etats-Unis. Ce qui nous stimule et prouve que nous avions vu juste. Ce champ est bien trop vaste et prometteur pour n’être exploité que par une seule entreprise.»

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