En économie, tout change… sauf la corruption!
Selon Hérodote, il y aurait déjà eu un scandale de corruption affectant la pythie de Delphes au VIe siècle avant notre ère (l’affaire du roi Démarate pour les spécialistes). Aujourd’hui, c’est le Parlement européen puis l’Ukraine qui sont dans la tempête. Dans un monde où tout change et où les crises se multiplient, il semble que la corruption passe allègrement à travers les âges. Pourquoi?
La corruption est à l’intersection entre l’économie, la politique et la morale. Elle vise à obtenir un avantage illégitime ou à influencer le comportement de quelqu’un à des fins personnelles ou commerciales. Elle est multiforme et va du pot-devin jusqu’à l’extorsion de fonds, en passant par le népotisme ou le clientélisme.
Du point de vue économique, la corruption pose deux problèmes majeurs. Le premier est celui d’une atteinte à la libre concurrence. Celui qui essaye d’influencer une décision économique en sa faveur prive un autre acteur de sa liberté de proposer une alternative. C’est la raison pour laquelle presque tous les pays, et en tout cas les organisations internationales comme l’OCDE, ont édicté des lois et des règlements anticorruption.
L’autre problème est de nature financière. La corruption se fait généralement par des mécanismes souterrains qui ne sont pas déclarés et qui privent les gouvernements de revenus fiscaux. Ainsi, de nombreux pays ont interdit les transactions financières en cash: plus de 10 000 euros pour l’Union européenne et plus de 1000 euros en France (et au-delà de 100 000 francs en Suisse). De larges paiements en liquidités sont toujours perçus comme étant suspects.
Du point de vue politique, la corruption se propage souvent dans des pays dont le développement économique est faible ou les institutions sont faillibles. Dans le classement de Transparency International sur la corruption des pays, les meilleurs sont ceux de l’Europe du Nord, ainsi que la Nouvelle-Zélande, Singapour et Hongkong. La Suisse pointe, elle, au septième rang du classement 2022, en recul de deux places par rapport à 2021. En fin de classement, on retrouve la Libye, le Venezuela, le Soudan, la Syrie et la Somalie.
Dans les pays où le système judiciaire est faible, la tentation est toujours de l’influencer. A cela s’ajoute la faible rémunération du personnel dans l’administration. Celui-ci devient aisément corruptible pour arrondir ses fins de mois. C’est ce que l’on appelle «mettre de l’huile dans les rouages». Cela consiste à offrir un pot-de-vin pour avoir une décision plus rapidement, sans que celle-ci soit nécessairement illégitime.
Les pays économiquement avancés ne sont pas épargnés. En Corée du Sud, l’ancien président Lee Myung-bak sort de prison. En France, Nicolas Sarkozy fait face à de nombreux démêlés judiciaires qui tournent autour du concept de corruption. Partout, la tentation de l’argent ou du pouvoir semble la plus forte. Les lois seules peuvent-elles arrêter la corruption?
Dans ses Annales, Tacite écrivait: «Plus la République était corrompue, plus les lois se multipliaient.» Que ce soit en politique ou en économie, les lois sont toujours en retard sur les événements. De plus, elles peuvent rarement faire face à l’ingéniosité et à l’innovation des esprits criminels. C’est là qu’interviennent la morale ou la culture d’entreprise.
Dans une autre vie, j’avais travaillé avec une grande entreprise informatique américaine qui venait de s’implanter dans les pays de l’Europe de l’Est après le retrait de l’Union soviétique. Il fallait informer les nouveaux employés que, désormais, il était interdit de recourir à la corruption pour avoir un contrat. Je me rappelle le choc dans la salle à cette annonce et les commentaires nous taxant de naïveté, dans le meilleur des cas.
Pourtant, au fil du temps, tout le monde s’est accoutumé à cette nouvelle situation. On sait qu’il y a des entreprises avec lesquelles il n’est pas possible de corrompre. En revanche, le naturel revient souvent au galop par une porte détournée. Si les entreprises sont transparentes, les distributeurs et les partenaires le sont parfois un peu moins…
Certains philosophes pensent que seule une forte éthique personnelle peut empêcher de dériver. Pourtant, même dans ce cas, il y a une part de rationalité: corrompre ou être corruptible prend beaucoup de temps pour gérer un système qui soit opaque et infaillible. De plus, c’est stressant quand on est pris dans l’engrenage. On y perd son sommeil…
Mais on peut quand même rester optimiste. Comme le disait Jean-François Marmontel, ami de Voltaire et secrétaire perpétuel de l’Académie française à la fin du XVIIIe siècle:
«Jamais on ne doit se décourager; la corruption n’est jamais totale; il y a partout des gens de bien, et, s’il en manque, on en fait naître.»
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