Que tout change pour que rien ne change
Lundi, au volant de sa voiture, le président des vert’libéraux, Jürg Grossen, filait sur une route dégagée. Mardi, sous son parapluie à croix blanche, le coprésident du PS suisse, Cédric Wermuth, affrontait les giboulées. La mini-série de la RTS consacrée aux élections fédérales a bien commencé, cette semaine. Le message était dans le décor. Tout commentaire inutile. A la tête du parti qui monte, le président des vert’libéraux affichait un optimisme inoxydable: «On doit améliorer l’efficacité énergétique. Si on fait tout cela, on pourra vivre sans pétrole et sans gaz, avec le même confort.» Sous la neige, le coprésident du PS tentait d’éviter le piège: «Il n’y a pas de point faible au PS… S’il y en a, je ne vous le dirai pas.» Lundi, un président plus libéral que vert, convaincu que le progrès est irréversible et que la technologie suffira à elle seule à résoudre tous les problèmes. Pas besoin d’alternative au libéralisme. Mardi, un coprésident socialiste saisi par le doute: comment sortir de l’impuissance politique pour améliorer le sort des plus démunis? Deux visions antagonistes du progrès.
«Garder le même confort!» Il y a, dans les mots de Jürg Grossen, un peu du prince Salina dans Le Guépard: «Il faut que tout change pour que rien ne change.» Le discours touche particulièrement les jeunes urbains bien formés, grands consommateurs d’objets et de satisfactions immédiates. Des habitués des technologies numériques et de communication, mais à la recherche d’une meilleure qualité de vie et comme tels conscients de leur responsabilité écologique. Pour autant, nulle trace de remise en cause du productivisme/consumérisme qui inonde les rues et les plages du Ghana de vêtements à peine portés, pas de velléité de reprise de contrôle sur la dictature des algorithmes dévoreurs de nos identités et qui transforment les individus en produits. Celle qui dégrade le débat démocratique en libre expression des émotions, le plus souvent haineuses. Pas de réflexion non plus sur la nécessaire régulation des biens de première nécessité, les soins, l’énergie, ou sur le creusement des inégalités sociales face à l’explosion des coûts. Au contraire, nul doute quant à l’idée que l’amélioration des conditions de vie reposerait d’abord sur la production de toujours plus de biens.
On peut se demander précisément si la montée des vert’libéraux, dans une Suisse de l’abondance, n’est pas une réaction d’illusoire auto-persuasion face à la perte de confiance dans le progrès par une société occidentale saisie de vertige. Inquiète de l’épuisement des ressources, de la dégradation de la planète, du retour des guerres du XXe siècle, du recul des démocraties face aux régimes autoritaires. Rançons, dans la perception d’une partie de nos contemporains, du
La crise de l’idée de progrès est d’abord une crise du projet socialiste
productivisme et de la mondialisation. Pour beaucoup d’entre eux, l’avenir n’est pas perçu comme radieux et émancipateur. Parce que la gauche avait dans son projet de changer le cours de l’histoire et une vision optimiste du changement, la crise de l’idée de progrès est d’abord une crise du projet socialiste. Peut-être, note la philosophe Stéphanie Roza, dans un récent numéro d’Esprit, «parce que sa conception du progrès était fondamentalement illusoire», plaçant sa confiance en l’avenir dans une dimension «productive», matérielle et quantitative, du progrès humain. Dès lors, constate-t-elle, «la gauche d’aujourd’hui est en panne de projet de société alternatif». C’est sans doute pourquoi, sous son parapluie, ce mardi, Cédric Wermuth illustrait, bien malgré lui, la fragilité humaine et le doute sur la capacité de la politique à améliorer le cours de nos vies. ■