Taïwan, une question mondiale
De nos jours, on ne pose plus les pieds impunément à Taïwan. Les cinq parlementaires suisses qui atterrissent ce samedi sur l’île ne peuvent l’ignorer. Leur rencontre avec la présidente Tsai Ing-wen, programmée lundi, va susciter une protestation de Pékin, histoire de mettre la Suisse sous pression. Comme cela se fait avec tous les pays dont des représentants osent «défier» le «principe d’une seule Chine» défendu par Pékin selon lequel Taïwan relève de sa souveraineté. Une lecture contestée par Taipei, qui souligne qu’aucun texte juridique, ni aucune résolution de l’ONU, ne valide les prétentions de la République populaire. L’acceptation de cette politique d’une seule Chine, condition posée par Pékin pour nouer des relations diplomatiques, ne vaut pas reconnaissance d’une souveraineté sur l’île.
Si de telles visites passaient inaperçues il y a quelques années, elles prennent aujourd’hui une tout autre dimension en s’inscrivant dans un bras de fer planétaire. Car la question taïwanaise ne se résume plus à un différend territorial entre Pékin et Taïpei, ni même à une rivalité stratégique entre la Chine et les Etats-Unis, mais de plus en plus à une confrontation idéologique entre un monde démocratique et des puissances autoritaires. Une perception d’Occidental? Pas seulement. La guerre russe contre l’Ukraine n’est pas que l’expression d’un impérialisme contrarié. C’est aussi une lutte menée au nom de valeurs contestant l’ordre libéral et démocratique comme en atteste chaque jour le discours du Kremlin. Ce même discours est audible depuis plus longtemps et de façon mieux articulée à Pékin. D’où cette crainte, en Extrême-Orient, que Taïwan, dans une même logique, soit la prochaine cible d’une invasion.
Voilà le terrain miné sur lequel vont avancer les cinq parlementaires. Leur réception par la présidence aura pour but d’afficher la communauté de valeurs entre l’une des plus anciennes démocraties et l’expérience démocratique la plus aboutie d’Asie. En l’espace d’une génération, Taïwan est en effet passée d’un régime autocratique au pluripartisme avec un succès qui ne se dément pas. Isolé diplomatiquement en raison du poids économique de son voisin, Taipei mise de plus en plus sur la solidarité des pays partageant ses vues (like-minded countries) à travers les relations parlementaires. Là encore, l’agression russe a eu l’effet d’un accélérateur. Dans le sillage de Nancy Pelosi, les déplacements de parlementaires européens se sont multipliés ces derniers mois. Prochainement, des ministres allemands se rendront sur l’île.
Si elle n’est pas nouvelle, la menace militaire chinoise s’est singulièrement précisée depuis une année pour bousculer le statu quo. En parallèle de la guerre russe, l’«armée populaire de libération» a multiplié les incursions dans l’espace aérien taïwanais avec l’objectif de tester et d’épuiser les capacités défensives de son aviation. La marine chinoise se montre plus active et des missiles ont été tirés lors de la visite de la présidente du Congrès américain, certains retombant dans les eaux japonaises. Cette agressivité a mis en alerte ses voisins, le Japon révisant sa doctrine militaire et la Corée du Sud s’affichant plus volontiers en partenaire militaire des démocraties. Cette semaine, c’était au tour des Philippines d’autoriser des troupes américaines à manoeuvrer à partir de quatre nouvelles bases dans le but de mieux protéger le flanc sud de Taïwan.
«Voilà ce que nous disons aux Chinois, expliquait il y a quelques jours Antony Blinken à propos de Taïwan: vous dites qu’il s’agit d’une question de souveraineté, nous vous répondons que cela concerne directement les Etats-Unis et le reste du monde.» Le secrétaire d’Etat américain devait faire entendre son message à Pékin la semaine prochaine. Il vient d’annuler son déplacement en raison d’un ballon espion. Il n’est pas inutile que des parlementaires suisses puissent témoigner de ces tensions. Depuis le terrain. ■
Il n’est pas inutile que des parlementaires suisses puissent témoigner de ces tensions