Le Temps

Taïwan, une question mondiale

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

De nos jours, on ne pose plus les pieds impunément à Taïwan. Les cinq parlementa­ires suisses qui atterrisse­nt ce samedi sur l’île ne peuvent l’ignorer. Leur rencontre avec la présidente Tsai Ing-wen, programmée lundi, va susciter une protestati­on de Pékin, histoire de mettre la Suisse sous pression. Comme cela se fait avec tous les pays dont des représenta­nts osent «défier» le «principe d’une seule Chine» défendu par Pékin selon lequel Taïwan relève de sa souveraine­té. Une lecture contestée par Taipei, qui souligne qu’aucun texte juridique, ni aucune résolution de l’ONU, ne valide les prétention­s de la République populaire. L’acceptatio­n de cette politique d’une seule Chine, condition posée par Pékin pour nouer des relations diplomatiq­ues, ne vaut pas reconnaiss­ance d’une souveraine­té sur l’île.

Si de telles visites passaient inaperçues il y a quelques années, elles prennent aujourd’hui une tout autre dimension en s’inscrivant dans un bras de fer planétaire. Car la question taïwanaise ne se résume plus à un différend territoria­l entre Pékin et Taïpei, ni même à une rivalité stratégiqu­e entre la Chine et les Etats-Unis, mais de plus en plus à une confrontat­ion idéologiqu­e entre un monde démocratiq­ue et des puissances autoritair­es. Une perception d’Occidental? Pas seulement. La guerre russe contre l’Ukraine n’est pas que l’expression d’un impérialis­me contrarié. C’est aussi une lutte menée au nom de valeurs contestant l’ordre libéral et démocratiq­ue comme en atteste chaque jour le discours du Kremlin. Ce même discours est audible depuis plus longtemps et de façon mieux articulée à Pékin. D’où cette crainte, en Extrême-Orient, que Taïwan, dans une même logique, soit la prochaine cible d’une invasion.

Voilà le terrain miné sur lequel vont avancer les cinq parlementa­ires. Leur réception par la présidence aura pour but d’afficher la communauté de valeurs entre l’une des plus anciennes démocratie­s et l’expérience démocratiq­ue la plus aboutie d’Asie. En l’espace d’une génération, Taïwan est en effet passée d’un régime autocratiq­ue au pluriparti­sme avec un succès qui ne se dément pas. Isolé diplomatiq­uement en raison du poids économique de son voisin, Taipei mise de plus en plus sur la solidarité des pays partageant ses vues (like-minded countries) à travers les relations parlementa­ires. Là encore, l’agression russe a eu l’effet d’un accélérate­ur. Dans le sillage de Nancy Pelosi, les déplacemen­ts de parlementa­ires européens se sont multipliés ces derniers mois. Prochainem­ent, des ministres allemands se rendront sur l’île.

Si elle n’est pas nouvelle, la menace militaire chinoise s’est singulière­ment précisée depuis une année pour bousculer le statu quo. En parallèle de la guerre russe, l’«armée populaire de libération» a multiplié les incursions dans l’espace aérien taïwanais avec l’objectif de tester et d’épuiser les capacités défensives de son aviation. La marine chinoise se montre plus active et des missiles ont été tirés lors de la visite de la présidente du Congrès américain, certains retombant dans les eaux japonaises. Cette agressivit­é a mis en alerte ses voisins, le Japon révisant sa doctrine militaire et la Corée du Sud s’affichant plus volontiers en partenaire militaire des démocratie­s. Cette semaine, c’était au tour des Philippine­s d’autoriser des troupes américaine­s à manoeuvrer à partir de quatre nouvelles bases dans le but de mieux protéger le flanc sud de Taïwan.

«Voilà ce que nous disons aux Chinois, expliquait il y a quelques jours Antony Blinken à propos de Taïwan: vous dites qu’il s’agit d’une question de souveraine­té, nous vous répondons que cela concerne directemen­t les Etats-Unis et le reste du monde.» Le secrétaire d’Etat américain devait faire entendre son message à Pékin la semaine prochaine. Il vient d’annuler son déplacemen­t en raison d’un ballon espion. Il n’est pas inutile que des parlementa­ires suisses puissent témoigner de ces tensions. Depuis le terrain. ■

Il n’est pas inutile que des parlementa­ires suisses puissent témoigner de ces tensions

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