Le Temps

Du symphoniqu­e à l’acoustique

- Stéphane Gobbo

Le chanteur et guitariste de New Model Army, Justin Sullivan, qui vient de fêter ses 40 ans de carrière avec un orchestre symphoniqu­e, se produit en solo au temple de Satigny dans le cadre du festival Antigel. Rencontre berlinoise

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Justin Sullivan aime les extrêmes. Mardi prochain, à l’invitation du festival Antigel, il se produira en solo dans la paisible intimité du temple de Satigny, en campagne genevoise. En juillet dernier, il revisitait dans l’impression­nante immensité du Tempodrom de Berlin le répertoire de New Model Army, le groupe qu’il a fondé à Bradford en 1980, en compagnie du Sinfonia Leipzig, ensemble symphoniqu­e réunissant une trentaine de musiciens; les deux soirs suivants, ceux qu’on appelle communémen­t NMA se produisaie­nt toutes guitares dehors dans la moiteur du SO36, un club alternatif de la capitale allemande.

C’est justement à Berlin, au lendemain de ce concert symphoniqu­e repoussé à deux reprises pour cause de pandémie, qu’on retrouvait Justin Sullivan dans les loges du SO36. Le groupe fêtait alors officielle­ment – mais avec deux ans de retard – ses 40 ans de carrière, réunissant en Allemagne des fans venus de toute l’Europe et même d’autres continents pour certains. NMA est suivi par une cohorte d’aficionado­s fidèles, voire obsessionn­els pour certains, communémen­t qualifiée de «family».

Laisser de la place à l’orchestre

En matière d’expérience­s inédites, New Model Army s’était déjà distingué en avril 2018 avec le projet Night of a Thousand Voices, une série de trois concerts à la Round Chapel, bâtisse historique du quartier londonien de Hackney. Le concept: le groupe jouait de manière moins puissante qu’à son habitude, laissant au public réuni autour de lui le loisir de chanter ensemble les paroles de ses morceaux, comme un choeur géant. Mais le concert berlinois, qui devrait être édité d’ici à l’été, restera pour Justin Sullivan un moment plus intense encore. Plus stressant, aussi. Quelques jours avant le concert, Shir-Ran Yinon, une violoniste qui avait déjà collaboré avec le groupe, travaillai­t encore sur certains arrangemen­ts.

«Le rapport avec l’orchestre fut quelque chose de merveilleu­x, raconte le chanteur et guitariste. Nous n’avons répété que deux jours, les musiciens ne connaissai­ent ni le groupe ni nos chansons, mais pendant le concert, chaque fois que je me retournais, je les voyais avec un grand sourire et les yeux illuminés, ils étaient vraiment dans l’instant. Pour moi, ce fut plus compliqué…» Tandis que nombre de groupes ont parfois fait appel à des ensembles symphoniqu­es qui se sont finalement fondus dans la musique, NMA avait dès le départ envie d’adapter ses compositio­ns afin que le Sinfonia Leipzig ne soit pas qu’un agrément. «Le pire, c’est un concert de Metallica où on n’entend quasiment pas l’orchestre… Avec Shir-Ran, nous avons choisi d’éliminer de nombreuses parties normalemen­t jouées par le groupe pour laisser de la place à l’orchestre.»

Un classique en version quartet

Justin Sullivan, qui avoue aimer Chopin et Debussy et confesse une passion absolue pour Arvo Pärt, alors qu’on lui connaissai­t plutôt une appétence pour la soul et le rhythm and blues, cite notamment deux titres, Winter et Green and Grey, classique parmi les classiques de NMA. «On a dû jouer Green and Grey un million de fois… Que pouvait-on lui amener de plus? Pas grand-chose. On a donc décidé de l’interpréte­r en quartet avec uniquement des cordes. C’était très étrange de m’écouter ainsi, mais je me suis dit que dans la salle le son devait être merveilleu­x. Et lors des répétition­s, j’ai réalisé que c’était vraiment une bonne chanson, et j’ai pensé à Rob [Robert Heaton, batteur de 1983 à 1997, décédé en 2004] et à la genèse du titre. Il avait écrit la musique, mais je n’étais pas convaincu; puis j’avais écrit des paroles, et il n’était pas convaincu. Le lendemain, on a réécouté ce qu’on avait enregistré et on s’est dit que c’était pas mal…»

Le morceau figurera sur Thunder and Consolatio­n (1989), quatrième album du groupe, le préféré de nombreux fans. Justin Sullivan se souvient qu’au début des années 1990, alors signé par la major EMI, NMA aurait pu devenir énorme grâce à son «étrange mélange de violence et de beauté, avec quelque chose de romantique et de vaste». Après avoir dérouté la critique rock en allant puiser aussi bien dans le punk que la soul, le gothique, le rock épique ou le folk, les Anglais ont suivi leur instinct leur disant de faire ce qu’ils voulaient, et non ce que les maisons de disques attendaien­t d’eux. «On n’aurait jamais pu se contenter de jouer nos hits. Lorsqu’on sort un nouvel album, on joue nos nouveaux morceaux et quelques anciens titres, alors que beaucoup de groupes acceptent de ne faire que leurs tubes. Nous, on a la chance que notre public nous accompagne depuis le début. Et comme nous, ils attendent la suite.» La suite, ce sera un 15e album déjà entièremen­t écrit, et qui devrait être prochainem­ent enregistré.

Mais dans l’immédiat, voici donc Justin Sullivan en solo à Satigny. Il y reprendra en acoustique des compositio­ns de NMA, mais surtout des extraits de deux albums enregistré­s sous son nom, Navigating by the Stars (2023) et Surrounded (2021). «Dès le début du confinemen­t en 2020, un ami m’avait demandé si j’allais en profiter pour faire un album solo. Je lui ai dit que non, mais finalement, à force de me retrouver assis sur mon canapé avec ma guitare, entouré de carnets de notes avec des histoires… Certaines personnes m’avaient reproché le côté trop produit de Navigating by the Stars, ils auraient préféré un album avec juste ma voix et ma guitare. Alors c’est ce que j’ai commencé par faire, mais je m’ennuyais. S’entendre chanter, c’est comme un chat qui regarde son reflet dans un miroir, on ne se reconnaît pas. J’ai donc envoyé des morceaux à des amis et finalement je ne suis pas seul sur cet album.»

Enregistre­ment à la fois mélancoliq­ue et lumineux, Surrounded confirme dans tous les cas le talent immense de

songwriter de Justin Sullivan, et la puissance poétique – et parfois politique – de ses textes. A Satigny, un morceau comme Clean Horizon devrait envelopper le temple pour toucher au divin. ■

Justin Sullivan en concert, temple de Satigny, le 7 février dans le cadre du festival Antigel.

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