Le Temps

Les élans d’Emanuel Gat sur la new wave de Tears for Fears

- M.-P. G.

Créé en 2020 à Montpellie­r, «Lovetrain2­020» ouvre le festival genevois avec une danse déliée sur les tubes du célèbre groupe anglais

Lovetrain2­020? Un carnaval endiablé, une sarabande secouée. Venu à la danse à 23 ans, Emanuel Gat vénère le mouvement pour le mouvement. Ainsi, cet artiste israélien associé à Chaillot Théâtre national de la Danse, à Paris, préfère articuler ses chorégraph­ies à des univers musicaux typés plutôt qu’à des thématique­s politiques ou sociétales.

Après le Bach de Glenn Gould pour

Préludes et fugues, créé au Grand Théâtre en 2011, après Pierre Boulez pour Story Water, au Festival d’Avignon en 2018, après même le silence pour Silent Ballet, en 2008, Emanuel Gat a choisi les titres de Tears for Fears, fameux groupe de new wave des années 1980 comme supports sonores de Lovetrain2­020, une pièce que l’on peut voir du 3 au 5 février, à la Comédie de Genève, à l’enseigne d’Antigel.

Le résultat? Une folle farandole pour 14 danseurs de tous horizons, aux costumes baroques et à la gestuelle déliée. Le spectacle qui se calque sur les titres du band anglais n’échappe pas complèteme­nt à l’effet jukeboxe ou catalogue, mais l’énergie et la liberté des interprète­s sont telles, que le public est emporté.

Evidemment, dans cette pièce, on attend un peu les tubes de Tears for Fears, ce groupe formé en 1981 par Roland Orzabal et Curt Smith à Bath, en Angleterre, et qui doit son nom aux enfances cabossées de ces deux leaders. Lorsque les premiers accords de Mad World retentisse­nt après dix minutes de représenta­tion, le coeur se serre. Pareil pour Shout, à la fin du show. Et, puisqu’on liste nos émois adolescent­s, Everybody Wants to Rule the World et Pale Shelter font aussi leurs preuves en matière de frissons.

Pour quelle propositio­n? Une danse expressive et théâtrale co-créée avec les interprète­s et qui évoque autant les automates ou mécanismes de précision (Mad World) que les déambulati­ons élégantes et cools (Sawing the Seeds of Love, au final).

L’obscurité fessée

Souvent, des solos et des duos mettent en lumière les qualités personnell­es des artistes. Comme ce moment poignant sur Pale Shelter où un faune blond à la jupe fendue offre un solo débordant de sensualité tandis que, venue du fond, une ligne de douze danseurs avancent au pas chaloupé, leurs bras signant l’espace de leurs gestes coordonnés.

L’effet est bluffant. A l’instar de ces moments où l’obscurité est fessée par la lumière qui surgit des quatre portes meurtrière­s du mur de scène (Emanuel Gat signe aussi l’éclairage et la scénograph­ie). Ou encore ces séquences subitement en silence qui laissent toute la place à la danse.

Si l’ennui vient parfois, c’est parce que le spectacle n’échappe pas au côté décoratif d’une propositio­n ne reposant que sur le mouvement. En adepte de la

post-modern dance, Emanuel Gat valorise la libre expression et ne souhaite pas défendre une narration. Dès lors, on peut avoir parfois le sentiment d’un flottement ou d’une répétition que la qualité des danseurs vient vite contrebala­ncer.

En témoigne encore ce magnifique solo, grimaçant et émouvant, sur le titre

Famous Last Words, vers la fin. Un danseur, dans une robe de soirée bleue, qui arrête le temps avec sa gestuelle fragile et en apnée, ses secousses et ses suspens. L’occasion de saluer les costumes somptueux de Thomas Bradley, l’un des danseurs de la troupe, qui est parvenu à répondre au double défi, glamour et fonctionne­l, du mandat.

Elle est peut-être là, la grâce d’Emanuel Gat, que toutes les formations importante­s de France et d’ailleurs invitent à créer. Donner beaucoup de place à ses interprète­s, à leur talent et à leurs élans. Le résultat est généreux, dynamique et souvent poignant. ■

«Lovetrain2­020», Comédie de Genève, Antigel, du 3 au 5 février.

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