Le Temps

Des bactéries créées de toutes pièces (en 1912)

- La chronique de Philippe Simon

On ignore si quelqu'un a célébré cette semaine le 90e anniversai­re de la mort de Gaston de Pawlowski. Dans le doute, on va s'en charger, parce qu'on a là un outsider des lettres françaises comme on en croise rarement. Docteur en droit, reporter sportif

(il se prit de passion pour le vélo), critique littéraire, satiriste (il fit partie, dès son lancement en 1916, des premières plumes du Canard enchaîné), Pawlowski fut aussi le grand inventeur de diverses bizarrerie­s. En 1916 toujours, dans ses Inventions nouvelles et dernières nouveautés, il imaginait, un demi-siècle avant Jacques Carelman, tout un bestiaire d'objets impossible­s (ou du moins improbable­s): la baignoire à entrée latérale, le savon antidérapa­nt, l'auto alibi à pannes commandées, les conformate­urs pour oeufs carrés – ou encore le boomerang français, qui, «pour prévenir tout risque d'accident, ne revient pas à celui qui l'a lancé.» On doit surtout à Gaston de Pawlowski un très étonnant texte, publié pour la première fois en 1912: Voyage au pays de la quatrième dimension. Comment le définir? On pourrait dire qu'il s'agit d'un roman de science-fiction platonicie­nne: dans l'esprit ludique (et un peu allumé tout de même) de l'auteur, cette quatrième dimension est une métaphore de l'élévation vers les Idées éternelles, un empyrée dans lequel, réduits à de simples vibrations, le passé, le présent et le futur se confondent.

Dans ses excursions imaginaire­s, le chrononaut­e Pawlowski élabore plusieurs anticipati­ons. Par exemple, un avenir de l'humanité en trois âges successifs: celui du Léviathan (du nom du règne totalitair­e d'«un microcépha­le colossal, supérieur aux hommes, et les enveloppan­t comme autant de cellules de son corps gigantesqu­e»), suivi par la «période scientifiq­ue» puis «l'époque de l'Oiseau d’or.»

On lui doit quelques autres fulgurance­s encore: en 1986, les humains allaient capturer la comète de Halley; grosso modo, à la même époque, on parvenait à inventer un moyen de faire vivre des têtes séparées de leur corps; on décidait aussi de remplacer l'amour du prochain par celui de l'industrie.

Et il y a cette histoire qui nous rappelle vaguement quelque chose: un Grand Laboratoir­e Central créera des bactéries et les déversera dans tous les cours d'eau de la planète. Des microbes très virulents, «élevés dans des conditions particuliè­rement favorables.» Pawlowski continue: «L'affolement général aurait eu les plus graves conséquenc­es si l'heureuse interventi­on d'un savant japonais qui se trouvait là, n'eût détourné brusquemen­t le danger de la plus élégante façon.» Comment? En nourrissan­t ces bactéries pour les faire grandir jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus entrer dans le corps humain. Décidément, on nous cache tout… ■

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