Des bactéries créées de toutes pièces (en 1912)
On ignore si quelqu'un a célébré cette semaine le 90e anniversaire de la mort de Gaston de Pawlowski. Dans le doute, on va s'en charger, parce qu'on a là un outsider des lettres françaises comme on en croise rarement. Docteur en droit, reporter sportif
(il se prit de passion pour le vélo), critique littéraire, satiriste (il fit partie, dès son lancement en 1916, des premières plumes du Canard enchaîné), Pawlowski fut aussi le grand inventeur de diverses bizarreries. En 1916 toujours, dans ses Inventions nouvelles et dernières nouveautés, il imaginait, un demi-siècle avant Jacques Carelman, tout un bestiaire d'objets impossibles (ou du moins improbables): la baignoire à entrée latérale, le savon antidérapant, l'auto alibi à pannes commandées, les conformateurs pour oeufs carrés – ou encore le boomerang français, qui, «pour prévenir tout risque d'accident, ne revient pas à celui qui l'a lancé.» On doit surtout à Gaston de Pawlowski un très étonnant texte, publié pour la première fois en 1912: Voyage au pays de la quatrième dimension. Comment le définir? On pourrait dire qu'il s'agit d'un roman de science-fiction platonicienne: dans l'esprit ludique (et un peu allumé tout de même) de l'auteur, cette quatrième dimension est une métaphore de l'élévation vers les Idées éternelles, un empyrée dans lequel, réduits à de simples vibrations, le passé, le présent et le futur se confondent.
Dans ses excursions imaginaires, le chrononaute Pawlowski élabore plusieurs anticipations. Par exemple, un avenir de l'humanité en trois âges successifs: celui du Léviathan (du nom du règne totalitaire d'«un microcéphale colossal, supérieur aux hommes, et les enveloppant comme autant de cellules de son corps gigantesque»), suivi par la «période scientifique» puis «l'époque de l'Oiseau d’or.»
On lui doit quelques autres fulgurances encore: en 1986, les humains allaient capturer la comète de Halley; grosso modo, à la même époque, on parvenait à inventer un moyen de faire vivre des têtes séparées de leur corps; on décidait aussi de remplacer l'amour du prochain par celui de l'industrie.
Et il y a cette histoire qui nous rappelle vaguement quelque chose: un Grand Laboratoire Central créera des bactéries et les déversera dans tous les cours d'eau de la planète. Des microbes très virulents, «élevés dans des conditions particulièrement favorables.» Pawlowski continue: «L'affolement général aurait eu les plus graves conséquences si l'heureuse intervention d'un savant japonais qui se trouvait là, n'eût détourné brusquement le danger de la plus élégante façon.» Comment? En nourrissant ces bactéries pour les faire grandir jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus entrer dans le corps humain. Décidément, on nous cache tout… ■