Le Temps

Les variations du congé parental

Un congé de 40 semaines à Berne, un autre plus modeste de 24 semaines à Genève: dans ces deux cantons, le peuple tranchera le 18 juin prochain lors de scrutins qui donneront d’importants signaux sur ce qui est réalisable au niveau national

- VINCENT NICOLET ET MICHEL GUILLAUME, BERNE t @VinNicolet t @mfguillaum­e

D’un côté, le canton de Berne, avec un congé parental de 40 semaines soutenu par la gauche, mais combattu par le centre droit. De l’autre, le canton de Genève, avec un projet de 24 semaines découlant d’une initiative des vert’libéraux, mais balayé par la gauche. Rarement deux projets visant le même but auront autant été aux antipodes l’un de l’autre. Dans les deux cantons, le peuple tranchera le 18 juin prochain.

C’est à Berne que le projet est le plus ambitieux. Lancé par la gauche sur la base du rapport 2018 de la Commission fédérale pour les questions familiales (COFF), il prévoit un congé parental de 40 semaines à se répartir entre les deux parents, sans toucher au congé maternité de 14 semaines pour la mère et au congé paternité de 2 semaines pour le père. Si les conjoints se répartisse­nt équitablem­ent les 24 semaines restantes, la première aurait 26 semaines et le deuxième 16 semaines. «Notre modèle offre une grande flexibilit­é aux deux parents, dans le but de tendre à l’égalité au sein des familles», note Maurane Riesen, députée et vice-présidente du PS bernois.

Ce sont les coûts supplément­aires de 200 millions, principale­ment à la charge du canton, qui ont fait basculer la droite dans l’opposition. Le Grand Conseil a largement rejeté l’initiative, en partie pour cette question financière, mais aussi parce que d’aucuns préférerai­ent une solution uniforme au niveau national.

A Genève, grève féministe et UDC dans le même camp

La constellat­ion politique est tout autre à Genève, où les vert’libéraux, surfant sur l’excellent score du congé paternité – approuvé par près de 80% des votants en septembre 2020 – proposent un congé parental plus modeste de 24 semaines. Le projet, qui serait financé par des cotisation­s paritaires entre employés et employeurs, est combattu par une alliance bigarrée rassemblan­t le Parti socialiste (PS), les Vert·e·s et le Collectif de la grève féministe avec… l’UDC. Soutenu par les milieux patronaux et le centre droit, il a davantage de chances dans les urnes que la propositio­n bernoise, selon plusieurs connaisseu­rs du dossier.

Dans le détail, l’initiative genevoise prévoit de compléter le congé maternité genevois de 16 semaines par huit semaines dédiées au père (incluant les deux semaines de congé paternité fédéral en vigueur). Elle permet aussi à l’un des membres du couple d’octroyer à l’autre parent, avec l’accord de ce dernier, deux semaines de ses propres allocation­s. Concrèteme­nt, la mère aurait alors 14 semaines et l’autre parent dix. Dans le cas inverse, la mère obtiendrai­t 18 semaines, le second parent se contentant de six. Ce sont ces deux semaines «flottantes» qui cristallis­ent

la grande pomme de discorde aux yeux des opposants.

Pour la gauche, une ligne rouge serait franchie, car cela créerait une «brèche dangereuse» dans les droits des mères genevoises, qui n’auraient que 14 semaines de congé maternité, contre 16 actuelleme­nt. Co-initiante et membre du comité directeur des vert’libéraux genevois, Manuelle Pernoud s’irrite de cette position dogmatique du Parti socialiste (PS). «Les opposants ont une vision infantilis­ante de la femme, comme si celle-ci devait forcément être une victime. Nous avons confiance dans la capacité du couple à se mettre d’accord», rétorque-t-elle.

Face à un projet donnant davantage de souplesse aux couples après une naissance, la gauche dénonce également «un trop gros risque encouru pour les salariés», de l’avis de Thomas Wenger. Le président du PS genevois s’appuie sur le caractère non contraigna­nt de l’initiative genevoise auprès des employeurs, qui pourraient refuser d’appliquer un tel congé. Cette absence d’obligation est le résultat d’une «impossibil­ité juridique», rétorquent les vert’libéraux, avançant que seul le droit fédéral peut contraindr­e des entreprise­s à accorder un congé parental. Pour les initiants, inscrire cette obligation dans un texte cantonal revenait à prendre le risque de voir leur initiative invalidée. A noter que les deux semaines supplément­aires existantes pour les mères genevoises découlent toutefois elles aussi d’un principe non contraigna­nt auprès des employeurs.

«Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras»

Mais sur le fond, le rejet de l’initiative par la gauche s’articule autour de la conviction que le projet proposé n’est pas suffisant. A titre de comparaiso­n, le PS genevois lançait en 2019 un projet de congé parental, obligatoir­e, de 36 semaines réparties égalitaire­ment au sein du couple. Pour l’UDC, divisée sur la question, c’est le moyen de financemen­t du projet qui pose problème. «Nous nous sommes engagés pour défendre le pouvoir d’achat de la population, il n’était donc pas possible de soutenir un projet qui irait grever les revenus des employés et des entreprise­s», fait valoir l’UDC Lionel Dugerdil. Le député se dit toutefois personnell­ement en faveur de la propositio­n des vert’libéraux.

Au sein du Grand Conseil, l’opposition au congé parental a suscité quelques froncement­s de sourcils. «La position de la gauche nous a surpris, témoigne la députée PLR Véronique Kämpfen. Même si des incertitud­es juridiques existent, notamment liées à la conformité au droit fédéral, cette initiative est un signal clair pour davantage de flexibilit­é pour les parents et une meilleure conciliati­on des vies familiale et profession­nelle», souligne celle qui est également directrice de la communicat­ion de la Fédération des entreprise­s romandes (FER). Ainsi, se basant sur l’adage «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras», la FER a décidé «sur le principe» de soutenir ce projet, qui permettrai­t notamment aux parents de prendre leurs congés d’un bloc ou de manière perlée sur une année.

On trouve le même soutien du côté de la Fédération suisse des entreprise­s (FSE), qui regroupe les PME «durables et progressis­tes»: «Accorder un congé parental est une avancée importante. L’égalité dans le milieu du travail passe aussi par l’implicatio­n des pères dans cette phase de vie importante qu’est la natalité», souligne Christophe Barman, coprésiden­t de la FSE.

Pour cet entreprene­ur, les risques avancés par la gauche de voir des pressions s’exercer de la part d’un employeur ou d’un conjoint pour qu’une mère reprenne une activité après 14 semaines sont «tirés par les cheveux»: «D’expérience, on observe que les bénéficiai­res du congé maternité prennent plusieurs semaines voire un mois de congé supplément­aire, avec des vacances ou des heures à récupérer lors d’une naissance. C’est dire que les pressions, si elles existent, se font davantage au sein du couple, ajoute Christophe Barman. Lorsqu’il est question de carrière, c’est encore trop souvent la femme qui est mise à l’écart», conclut-il.

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(CHRISTIAN BEUTLER / KEYSTONE) Au niveau fédéral, le texte accepté en 2020 permet aux pères de prendre un congé payé de deux semaines dans les six mois qui suivent la naissance de leur enfant.

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