Lula veut-il vraiment protéger l’Amazonie?
Moins de six mois après son élection, le président brésilien se montre ambigu sur un projet d’exploitation pétrolière au large de l’embouchure du fleuve Amazone, provoquant l’inquiétude des défenseurs de l’environnement
Protection de l'environnement ou exploitation des ressources naturelles? Voici le président Luiz Inacio Lula da Silva confronté à son premier dilemme. Et pas des moindres, puisqu'il concerne un gisement potentiel de 14 milliards de barils de pétrole convoité par la compagnie pétrolière nationale Pétrobras. Le problème, c'est que ces réserves d'or noir situées au large des côtes de l'Etat de l'Amapa, au nord-est de l'Amazonie, se trouvent à quelque 500 kilomètres de l'embouchure de l'Amazone.
Cette région est d'une «grande importance biologique, soulignent plusieurs organisations de défense de l'environnement. Elle compte des récifs coralliens encore peu étudiés et la plus grande ceinture de mangroves du monde.» L'Institut brésilien de l'environnement (Ibama) a pris en compte cette réalité environnementale en refusant à Petrobras, vendredi 18 mai, la licence d'exploration. Ce rejet a reçu le soutien de Marina Silva, la ministre de l'Environnement. Mais pas celui de Lula.
«Vingt-huit millions de personnes vivent dans la région. Elles ont le droit de travailler, de manger. Nous devons pouvoir exploiter la diversité de cette zone» LULA, PRÉSIDENT BRÉSILIEN
Le président sur un fil
En fait, le président brésilien donne l'impression de marcher sur un fil. Dimanche, depuis Hiroshima, au Japon, où il a participé au G7, il a déclaré que «si l'exploitation de ce pétrole pose problème pour l'environnement, elle ne sera certainement pas autorisée. Mais il a semé le doute en ajoutant: «Je pense que c'est difficile (que ce soit le cas), parce que le site se trouve à 530 km de l'embouchure du fleuve Amazone». Et de conclure en disant qu'il allait «s'occuper du dossier» en rentrant au Brésil. Sauf qu'il semble déjà avoir une idée précise. «En Amazonie, vivent 28 millions de personnes. Et elles ont le droit de travailler, de manger. Par conséquent, nous devons avoir le droit d'exploiter la diversité de [la région], de créer des emplois propres, afin que l'Amazonie et l'humanité puissent survivre», affirmait-il sur son compte Twitter. Selon une source proche de la présidence, Lula a d'ailleurs l'intention de demander à Petrobras la présentation de nouvelles études sur la viabilité de l'exploitation.
L'Ibama n'y est pas opposé. Mais pour justifier son refus d'accorder une licence d'exploitation, l'institut s'est appuyé sur des «réalités techniques». «Le site prévu du forage est situé à 839 kilomètres de Belém, [la capitale de l'Etat du Para], où se trouve la base de secours la plus proche, capable de répondre à d'éventuels accidents environnementaux, a expliqué, samedi, Rodrigo Agostinho, le président de l'institut. Soit à 43 heures en bateau rapide.» Or, «selon les courants marins, en cas d'accident, une marée noire arriverait très rapidement sur les côtes de la Guyane française.»
Anticipant probablement les réactions politiques, Rodrigo Agostinho a cru bon d'ajouter: «L'Ibama est une institution d'Etat, un organe technique. Donc il ne prend pas de décision sous la pression politique. Il a subi de nombreuses ingérences politiques au cours des quatre dernières années et je me suis senti très à l'aise pour prendre cette décision, soutenu par le corps technique de l'Ibama.» Une déclaration qui a dû ravir Marina Silva, la ministre de l'Environnement, mais qui risque de compliquer la tâche de Lula.
Arbitre d’un conflit
Car le président brésilien va devoir désormais arbitrer un conflit au sein de son gouvernement, entre écologistes et tenants du «développement». D'un côté, il est l'otage de son discours sur la protection de l'Amazonie et la transition énergétique, répété tout au long de la campagne électorale et «vendu» à l'international. De l'autre, il doit faire face à la nécessité de composer avec un gouvernement au large spectre politique et un Congrès à droite, largement favorables à l'exploitation des ressources naturelles en Amazonie.
Ce scénario n'est pas nouveau. Lors du second gouvernement Lula (2007-2010) Marina Silva, déjà ministre de l'Environnement, s'était opposée à Dilma Rousseff, alors première ministre et porteuse du Plan d'accélération de la croissance (PAC), qui comprenait notamment la construction de grands barrages hydroélectriques en Amazonie. Mise en échec sur ces dossiers, Marina Silva avait démissionné et ne s'est réconciliée avec Lula que l'année dernière, en le soutenant pour l'élection présidentielle. Mais cette fois, la ministre de l'Environnement semble plus forte. Car un nouveau départ du gouvernement aurait un coût politique plus lourd pour le président brésilien.
Une ministre confortée
C'est sans doute pour cela que Geraldo Alckmin, le vice-président, l'a reçue vendredi en compagnie d'Alexandre Silveira, le ministre des Mines et de l'Energie, qui, lui, soutient activement le projet de la Petrobras. Après cette réunion, Geraldo Alckmin a posté sur ses réseaux sociaux une photo où il pose uniquement au côté de la ministre de l'Environnement, suivi du commentaire: «J'ai rencontré la ministre Marina Silva pour discuter des propositions d'amélioration de nos politiques environnementales […] Sous la direction du président Lula, le Brésil a déjà commencé non seulement à améliorer ses indicateurs de déforestation, mais aussi à se replacer en tant que puissance environnementale dans le monde.»
La déclaration semble donc conforter Marina Silva. Elle cherche surtout à donner des gages aux défenseurs de l'environnement qui ne ménagent pas leurs critiques. «Insister sur la fausse opposition entre les emplois, d'un côté, et l'environnement, de l'autre, pour tenter de forer à l'embouchure de l'Amazone est inquiétant», a ainsi déclaré Thiago Amparo, avocat et professeur de droit international et des droits de l'homme. Carlos Durigan, géographe spécialiste de l'Amazonie et militant écologiste, est encore plus direct. «Dans une région comme l'Amazonie, dont l'intégrité est déjà menacée par la déforestation, l'ouverture de nouveaux fronts d'exploitation de pétrole peut entraîner des conséquences irréversibles.»
Lula est donc face à un choix crucial, que résume Ana Lucia Tourinho, scientifique et membre de l'ONG Objectifs de Développement Durable (ODS) Brésil. «Il est temps de savoir qui est engagé dans le développement socio-environnemental de l'Amazonie, dans la vie des gens et qui l'est dans la politique.»
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