Le Temps

Lula veut-il vraiment protéger l’Amazonie?

- JEAN-CLAUDE GEREZ, SALVADOR DE BAHIA

Moins de six mois après son élection, le président brésilien se montre ambigu sur un projet d’exploitati­on pétrolière au large de l’embouchure du fleuve Amazone, provoquant l’inquiétude des défenseurs de l’environnem­ent

Protection de l'environnem­ent ou exploitati­on des ressources naturelles? Voici le président Luiz Inacio Lula da Silva confronté à son premier dilemme. Et pas des moindres, puisqu'il concerne un gisement potentiel de 14 milliards de barils de pétrole convoité par la compagnie pétrolière nationale Pétrobras. Le problème, c'est que ces réserves d'or noir situées au large des côtes de l'Etat de l'Amapa, au nord-est de l'Amazonie, se trouvent à quelque 500 kilomètres de l'embouchure de l'Amazone.

Cette région est d'une «grande importance biologique, soulignent plusieurs organisati­ons de défense de l'environnem­ent. Elle compte des récifs coralliens encore peu étudiés et la plus grande ceinture de mangroves du monde.» L'Institut brésilien de l'environnem­ent (Ibama) a pris en compte cette réalité environnem­entale en refusant à Petrobras, vendredi 18 mai, la licence d'exploratio­n. Ce rejet a reçu le soutien de Marina Silva, la ministre de l'Environnem­ent. Mais pas celui de Lula.

«Vingt-huit millions de personnes vivent dans la région. Elles ont le droit de travailler, de manger. Nous devons pouvoir exploiter la diversité de cette zone» LULA, PRÉSIDENT BRÉSILIEN

Le président sur un fil

En fait, le président brésilien donne l'impression de marcher sur un fil. Dimanche, depuis Hiroshima, au Japon, où il a participé au G7, il a déclaré que «si l'exploitati­on de ce pétrole pose problème pour l'environnem­ent, elle ne sera certaineme­nt pas autorisée. Mais il a semé le doute en ajoutant: «Je pense que c'est difficile (que ce soit le cas), parce que le site se trouve à 530 km de l'embouchure du fleuve Amazone». Et de conclure en disant qu'il allait «s'occuper du dossier» en rentrant au Brésil. Sauf qu'il semble déjà avoir une idée précise. «En Amazonie, vivent 28 millions de personnes. Et elles ont le droit de travailler, de manger. Par conséquent, nous devons avoir le droit d'exploiter la diversité de [la région], de créer des emplois propres, afin que l'Amazonie et l'humanité puissent survivre», affirmait-il sur son compte Twitter. Selon une source proche de la présidence, Lula a d'ailleurs l'intention de demander à Petrobras la présentati­on de nouvelles études sur la viabilité de l'exploitati­on.

L'Ibama n'y est pas opposé. Mais pour justifier son refus d'accorder une licence d'exploitati­on, l'institut s'est appuyé sur des «réalités techniques». «Le site prévu du forage est situé à 839 kilomètres de Belém, [la capitale de l'Etat du Para], où se trouve la base de secours la plus proche, capable de répondre à d'éventuels accidents environnem­entaux, a expliqué, samedi, Rodrigo Agostinho, le président de l'institut. Soit à 43 heures en bateau rapide.» Or, «selon les courants marins, en cas d'accident, une marée noire arriverait très rapidement sur les côtes de la Guyane française.»

Anticipant probableme­nt les réactions politiques, Rodrigo Agostinho a cru bon d'ajouter: «L'Ibama est une institutio­n d'Etat, un organe technique. Donc il ne prend pas de décision sous la pression politique. Il a subi de nombreuses ingérences politiques au cours des quatre dernières années et je me suis senti très à l'aise pour prendre cette décision, soutenu par le corps technique de l'Ibama.» Une déclaratio­n qui a dû ravir Marina Silva, la ministre de l'Environnem­ent, mais qui risque de compliquer la tâche de Lula.

Arbitre d’un conflit

Car le président brésilien va devoir désormais arbitrer un conflit au sein de son gouverneme­nt, entre écologiste­s et tenants du «développem­ent». D'un côté, il est l'otage de son discours sur la protection de l'Amazonie et la transition énergétiqu­e, répété tout au long de la campagne électorale et «vendu» à l'internatio­nal. De l'autre, il doit faire face à la nécessité de composer avec un gouverneme­nt au large spectre politique et un Congrès à droite, largement favorables à l'exploitati­on des ressources naturelles en Amazonie.

Ce scénario n'est pas nouveau. Lors du second gouverneme­nt Lula (2007-2010) Marina Silva, déjà ministre de l'Environnem­ent, s'était opposée à Dilma Rousseff, alors première ministre et porteuse du Plan d'accélérati­on de la croissance (PAC), qui comprenait notamment la constructi­on de grands barrages hydroélect­riques en Amazonie. Mise en échec sur ces dossiers, Marina Silva avait démissionn­é et ne s'est réconcilié­e avec Lula que l'année dernière, en le soutenant pour l'élection présidenti­elle. Mais cette fois, la ministre de l'Environnem­ent semble plus forte. Car un nouveau départ du gouverneme­nt aurait un coût politique plus lourd pour le président brésilien.

Une ministre confortée

C'est sans doute pour cela que Geraldo Alckmin, le vice-président, l'a reçue vendredi en compagnie d'Alexandre Silveira, le ministre des Mines et de l'Energie, qui, lui, soutient activement le projet de la Petrobras. Après cette réunion, Geraldo Alckmin a posté sur ses réseaux sociaux une photo où il pose uniquement au côté de la ministre de l'Environnem­ent, suivi du commentair­e: «J'ai rencontré la ministre Marina Silva pour discuter des propositio­ns d'améliorati­on de nos politiques environnem­entales […] Sous la direction du président Lula, le Brésil a déjà commencé non seulement à améliorer ses indicateur­s de déforestat­ion, mais aussi à se replacer en tant que puissance environnem­entale dans le monde.»

La déclaratio­n semble donc conforter Marina Silva. Elle cherche surtout à donner des gages aux défenseurs de l'environnem­ent qui ne ménagent pas leurs critiques. «Insister sur la fausse opposition entre les emplois, d'un côté, et l'environnem­ent, de l'autre, pour tenter de forer à l'embouchure de l'Amazone est inquiétant», a ainsi déclaré Thiago Amparo, avocat et professeur de droit internatio­nal et des droits de l'homme. Carlos Durigan, géographe spécialist­e de l'Amazonie et militant écologiste, est encore plus direct. «Dans une région comme l'Amazonie, dont l'intégrité est déjà menacée par la déforestat­ion, l'ouverture de nouveaux fronts d'exploitati­on de pétrole peut entraîner des conséquenc­es irréversib­les.»

Lula est donc face à un choix crucial, que résume Ana Lucia Tourinho, scientifiq­ue et membre de l'ONG Objectifs de Développem­ent Durable (ODS) Brésil. «Il est temps de savoir qui est engagé dans le développem­ent socio-environnem­ental de l'Amazonie, dans la vie des gens et qui l'est dans la politique.»

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(MACAPA, 7 FÉVRIER 2022/MICHAEL RUNKEL/ROBERTHARD­ING VIA AFP) L’Amazone à son embouchure. L’exploitati­on pétrolière se situerait à environ 500 km de cette zone.
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