Une grève de la faim pour faire cesser l’inaction de l’ONU face à Téhéran
Exilés en Suisse depuis plusieurs années, Arash Ashrafzadhniek et Samad Kalavani, deux activistes iraniens, manifestent depuis lundi sur la place des Nations pour demander à la communauté internationale d’agir face à la répression de leur pays
Le soleil de la mi-journée chauffe le béton de la place des Nations. Tapis dans le peu d’ombre qu’offre l’esplanade genevoise, Arash Ashrafzadhniek, un activiste politique, et Samad Kalavani, un ancien joueur de l’équipe de handball de l’armée iranienne, bouquinent l’air un peu groggy. La nuit a été longue: ils l’ont passée à camper dans le kiosque en bois d’un autre âge, transformé en abribus sauvage, de l’autre côté de la place. Et depuis huit heures du matin lundi, ils ont le ventre vide: les deux hommes ont entamé une grève de la faim. Ils veulent que l’ONU les regarde, que la communauté internationale «ne ferme plus les yeux» sur les agissements de la République islamique d’Iran.
Au moins 274 exécutions
Alors que des manifestants tibétains crient leur colère drapeau à la main à quelques mètres, Arash Ashrafzadhniek et Samad Kalavani montrent du doigt des photos plastifiées qui les accompagnent, celles de Saeed Yaghoubi, Saleh Mirhashemi et Majid Kazemi. Les trois jeunes hommes originaires d’Ispahan ont été arrêtés en novembre en marge des manifestations qui secouaient le pays après la mort de Mahsa Amini, puis condamnés à mort en janvier. Il y a quatre jours, ils ont été pendus. Dimanche, un tweet dénonçant l’exécution des trois hommes avait valu à l’ambassadrice suisse une convocation au Ministère iranien des affaires étrangères.
L’ONG Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, dénombre au moins 274 exécutions depuis le début de l’année. Selon des groupes de défense des droits humains, la République islamique tue davantage de personnes chaque année que tout autre pays à l’exception de la Chine. «Ils voulaient juste être libres, mais l’Iran n’est qu’une grande prison à ciel ouvert, murmure Samad Kalavani. Tous ceux qui aspirent à autre chose que ce que la République islamique a prévu pour eux doivent fuir, se cacher ou terminent enfermés, torturés, exécutés» Hier, Arash Ashrafzadhniek et Samad Kalavani sont passés sur Manoto («toi et moi» en farsi), une chaîne de l’opposition basée à Londres. Leur vidéo, vue par plusieurs centaines de milliers de personnes, leur a valu nombre d’encouragements, et aussi de menaces. «Mais nous n’avons plus peur», assure Arash Ashrafzadhniek.
Si les deux hommes ont fait le voyage depuis Yverdon-lesBains et Berne, où ils ont respectivement trouvé refuge il y a quelques années, c’est parce que leurs reproches s’adressent d’abord à la communauté internationale. Le premier? L’enquête internationale sur la répression des manifestations en Iran après la mort de Mahsa Amini ouverte par l’ONU n’a fait l’objet d’aucune conclusion publique. «Cela fait sept mois qu’elle a été mise en place et malgré de nombreuses demandes écrites, la commission en charge de l’enquête n’a pas publié une seule page de rapport.»
«Je ne reculerai pas»
Puis, la semaine dernière, les deux hommes ont appris que l’Ali Bahreini, l’ambassadeur iranien auprès de l’ONU, avait été choisi pour présider le Forum social 2023 du Conseil des droits de l’homme prévu les 2 et 3 novembre à Genève. «C’est ridicule, déplorent les deux activistes iraniens. C’est une insulte pour tous les manifestants en Iran mais aussi, une gifle pour les droits humains.» Ce qu’ils veulent, c’est l’application de la «responsabilité de protéger» aussi appelée «R2P». Le principe, adopté en 2005 par les Etats membres de l’ONU, repose sur trois piliers égaux dont l’engagement de la communauté internationale à protéger la population d’un pays lorsque, manifestement, ce dernier n’assure pas sa sécurité.
«Tous ceux qui aspirent à autre chose que ce que la République islamique a prévu pour eux doivent fuir» SAMAD KALAVANI, ACTIVISTE IRANIEN
Des passants s’arrêtent pour discuter avec les deux hommes. «Les gens nous disent qu’ils sont au courant de la répression en Iran et qu’ils sont désolés pour nous. Mais nous n’avons pas besoin qu’ils le soient, explique Arash Ashrafzadhniek. Nous voulons que la communauté internationale nous entende. Je ne reculerai pas tant que je suis en vie et jusqu’à ce que je reçoive une réponse officielle raisonnable.»
Sur son drapeau, le lion solaire impérial remplace l’emblème de la République islamique. A côté, l’activiste tient aussi une photo de Reza Pahlavi, le fils du dernier shah d’Iran qui vit aux Etats-Unis. Arash Ashrafzadhniek souhaite son retour. «Mais j’aimerais une monarchie constitutionnelle, comme en Grande-Bretagne ou en Belgique. De toute façon, ce sont les Iraniens qui choisiront, tous les Iraniens, peu importe leur ethnie ou leur genre. Un jour, oui, nous aurons une démocratie.» L’homme attrape une bouteille d’eau et, face à l’édifice et à son allée de drapeaux, retourne dans son coin d’ombre, un livre à la main.
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