Le Temps

Le scénario climatique de l’UDC critiqué

Selon les partisans du projet de loi sur le climat soumis au vote le 18 juin, le parti conservate­ur se base, dans ses arguments pour s’y opposer, sur la variante la moins probable et la plus chère

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @BoeglinP

La guerre des chiffres est de retour. Soumise en votation populaire le 18 juin, la loi sur le climat et l’innovation ne déroge pas à une certaine tradition: les deux camps s’affrontent à coups d’études et de scénarios prédisant les coûts de la transition énergétiqu­e. Les partisans, qui vont des Vert·e·s au Parti libéral-radical, en passant par le Conseil fédéral et une grande partie du monde économique, soulignent le potentiel d’économies que l’on peut tirer des énergies indigènes et renouvelab­les. Ils soutiennen­t que «ne rien faire» gonflera davantage la facture à terme.

En face, les opposants, soit l’UDC et quelques organisati­ons économique­s, avancent que le projet léguera une ardoise salée en raison de l’abandon des énergies fossiles. Ils estiment de surcroît que le moment est mal choisi, dans une période où les craintes de pénuries d’électricit­é et de gaz affolent déjà passableme­nt les écuries politiques.

Objectif de zéro émission

Dans les faits, la loi se veut une alternativ­e modérée – un contre-projet – à l’initiative pour les glaciers, qui réclame une interdicti­on pure et simple des énergies fossiles en 2050.

Elle fixe certes un objectif de zéro émission net de gaz à effet de serre au même horizon, mais pourrait le différer, si le tournant s’avérait économique­ment insupporta­ble ou techniquem­ent irréalisab­le.

Pour encourager le changement énergétiqu­e, le parlement prévoit de libérer 3,2 milliards de francs: 200 millions par année pendant dix ans pour remplacer les chauffages polluants (mazout) ou trop gourmands (électricit­é), et 200 millions annuels sur six ans pour les entreprise­s recourant aux technologi­es propres et innovantes. Il n’y aurait pas de taxe supplément­aire, contrairem­ent à la loi CO2 refusée de peu par le peuple en 2021. C’est la caisse fédérale qui paierait. Le premier sondage Gfs.bern/SSR pronostiqu­e pour l’instant 72% de oui.

L’UDC, victorieus­e seule contre tous il y a deux ans lors du vote sur le CO2, remet la compresse. Elle brandit une étude de 2022 de l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich, dirigée par Andreas Züttel, selon laquelle le passage complet aux énergies renouvelab­les occasionne­rait 6600 francs de coûts énergétiqu­es supplément­aires par année pour chaque habitant. En gros, la facture triplerait. Dans son argumentai­re, le parti de droite dure affirme que «seuls les riches» pourront encore s’offrir une foule d’activités et de prestation­s, que ce soit partir en vacances, épargner ou rouler en voiture.

«Ces coûts de 6600 francs de plus par personne et par année, ce n’est pas l’UDC qui les a calculés, mais un professeur de l’EPFZ. Actuelleme­nt les coûts de l’énergie par personne se montent à quelque 3000 francs. D’après l’étude, ils grimperont ensuite à 9600 francs», affirme Pierre-André Page (FR), conseiller national UDC. «Nous avions déjà parlé de surcoûts avant le vote sur la Stratégie énergétiqu­e 2050, à raison. Cette fois nous avons voulu nous baser sur une étude indépendan­te.»

Pas de place pour l’autarcie

Dans l’autre camp, le Conseil fédéral et l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) contestent sans équivoque. «L’étude considère des scénarios extrêmes, théoriques et très simplifiés qui ont très peu à voir avec la réalité», réplique Marianne Zünd, cheffe médias à l’OFEN. Ces scénarios «prévoient un approvisio­nnement en électricit­é largement autonome et découplé de l’étranger, et ne tiennent pas compte des développem­ents en matière d’efficacité et des potentiels de flexibilit­é». Pour les autorités fédérales, l’autarcie n’a pas sa place dans la stratégie énergétiqu­e. «Les résultats d’une étude dépendent toujours des hypothèses retenues. Les 6600 francs se réfèrent aux coûts supplément­aires du scénario «le plus cher» et le moins réaliste des trois (énergie stockée sous forme d’hydrocarbu­res).» En effet, «dans le scénario «le moins cher» (le tout électrique), les coûts s’élèvent à 3669 francs par habitant et par an, soit un ordre de grandeur similaire à celui d’aujourd’hui.»

L’UDC exagère-t-elle en choisissan­t la variante la plus onéreuse? Non, selon Pierre-André Page: «Nous sommes toujours prudents et voyons que les problèmes de pénurie d’électricit­é que nous avions annoncés avant la Stratégie énergétiqu­e 2050 se produisent bel et bien aujourd’hui.»

En réalité, aucune pénurie n’a marqué l’hiver passé. Mais il est vrai que l’approvisio­nnement de la prochaine saison froide demeure plombé d’incertitud­es.

Un investisse­ment sera nécessaire

L’UDC met en exergue une autre étude, datée de 2021 et commandée entre autres par l’Associatio­n suisse des banquiers. Ces travaux rappellent en substance qu’abandonner les énergies fossiles débouchera sur des «coûts de décarbonis­ation» pour passer aux sources renouvelab­les. Les 30 prochaines années se chiffrerai­ent à 387 milliards de francs d’investisse­ments, soit 1400 francs par an et par habitant.

Pierre-André Page cite en exemple par une informatio­n récente donnée par le Conseil fédéral. «Aujourd’hui, le consommate­ur paie 4,6 centimes par kWh de courant pour les infrastruc­tures et le réseau électrique. Ce tarif va être multiplié par 4, voire 5. Et les nouvelles lignes électrique­s ne sont pas encore incluses dans les calculs.» Le Fribourgeo­is fait la moue. «Les Vert·e·s vont sûrement s’opposer à la création de nouvelles lignes. On n’est pas sorti de l’auberge. On importera toujours plus de courant électrique à base de charbon et de nucléaire.»

L’Office fédéral de l’énergie contredit. «Plus de la moitié (58%) du volume de 387 milliards sont des investisse­ments de renouvelle­ment qui doivent de toute façon être réalisés, comme la modernisat­ion d’infrastruc­tures, de bâtiments ou de parcs de camions existants.» De nombreux frais ne pourront pas être évités, même si l’on en reste au modèle actuel avec des sources fossiles. Les coûts spécifique­s au «zéro émission en 2050» se monteraien­t eux à 109 milliards, soit 8% de plus qu’actuelleme­nt, évalue l’OFEN dans sa propre étude Perspectiv­es énergétiqu­es 2050+.

«Comme d’habitude, l’UDC noircit le trait au maximum pour faire peur à la population. Cela ne rime à rien d’argumenter sur la base du scénario le plus cher et le moins réalisable d’une étude», critique de son côté Jacques Bourgeois (PLR/FR), président de la commission de l’énergie du Conseil national. Qui insiste: les énergies renouvelab­les permettent d’économiser très concrèteme­nt de l’argent. «C’est le cas quand on isole mieux sa maison ou son appartemen­t, ou quand on remplace le chauffage à mazout par une pompe à chaleur. De même, pour les voitures électrique­s, la recharge revient trois à quatre fois moins chère qu’un plein d’essence, et il n’y a presque pas de service à effectuer. Il faut vraiment regarder les deux côtés de la médaille.»

«Cela ne rime à rien d’argumenter sur la base du scénario le moins réalisable d’une étude» JACQUES BOURGEOIS, CONSEILLER NATIONAL (PLR/FR)

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