Le scénario climatique de l’UDC critiqué
Selon les partisans du projet de loi sur le climat soumis au vote le 18 juin, le parti conservateur se base, dans ses arguments pour s’y opposer, sur la variante la moins probable et la plus chère
La guerre des chiffres est de retour. Soumise en votation populaire le 18 juin, la loi sur le climat et l’innovation ne déroge pas à une certaine tradition: les deux camps s’affrontent à coups d’études et de scénarios prédisant les coûts de la transition énergétique. Les partisans, qui vont des Vert·e·s au Parti libéral-radical, en passant par le Conseil fédéral et une grande partie du monde économique, soulignent le potentiel d’économies que l’on peut tirer des énergies indigènes et renouvelables. Ils soutiennent que «ne rien faire» gonflera davantage la facture à terme.
En face, les opposants, soit l’UDC et quelques organisations économiques, avancent que le projet léguera une ardoise salée en raison de l’abandon des énergies fossiles. Ils estiment de surcroît que le moment est mal choisi, dans une période où les craintes de pénuries d’électricité et de gaz affolent déjà passablement les écuries politiques.
Objectif de zéro émission
Dans les faits, la loi se veut une alternative modérée – un contre-projet – à l’initiative pour les glaciers, qui réclame une interdiction pure et simple des énergies fossiles en 2050.
Elle fixe certes un objectif de zéro émission net de gaz à effet de serre au même horizon, mais pourrait le différer, si le tournant s’avérait économiquement insupportable ou techniquement irréalisable.
Pour encourager le changement énergétique, le parlement prévoit de libérer 3,2 milliards de francs: 200 millions par année pendant dix ans pour remplacer les chauffages polluants (mazout) ou trop gourmands (électricité), et 200 millions annuels sur six ans pour les entreprises recourant aux technologies propres et innovantes. Il n’y aurait pas de taxe supplémentaire, contrairement à la loi CO2 refusée de peu par le peuple en 2021. C’est la caisse fédérale qui paierait. Le premier sondage Gfs.bern/SSR pronostique pour l’instant 72% de oui.
L’UDC, victorieuse seule contre tous il y a deux ans lors du vote sur le CO2, remet la compresse. Elle brandit une étude de 2022 de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, dirigée par Andreas Züttel, selon laquelle le passage complet aux énergies renouvelables occasionnerait 6600 francs de coûts énergétiques supplémentaires par année pour chaque habitant. En gros, la facture triplerait. Dans son argumentaire, le parti de droite dure affirme que «seuls les riches» pourront encore s’offrir une foule d’activités et de prestations, que ce soit partir en vacances, épargner ou rouler en voiture.
«Ces coûts de 6600 francs de plus par personne et par année, ce n’est pas l’UDC qui les a calculés, mais un professeur de l’EPFZ. Actuellement les coûts de l’énergie par personne se montent à quelque 3000 francs. D’après l’étude, ils grimperont ensuite à 9600 francs», affirme Pierre-André Page (FR), conseiller national UDC. «Nous avions déjà parlé de surcoûts avant le vote sur la Stratégie énergétique 2050, à raison. Cette fois nous avons voulu nous baser sur une étude indépendante.»
Pas de place pour l’autarcie
Dans l’autre camp, le Conseil fédéral et l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) contestent sans équivoque. «L’étude considère des scénarios extrêmes, théoriques et très simplifiés qui ont très peu à voir avec la réalité», réplique Marianne Zünd, cheffe médias à l’OFEN. Ces scénarios «prévoient un approvisionnement en électricité largement autonome et découplé de l’étranger, et ne tiennent pas compte des développements en matière d’efficacité et des potentiels de flexibilité». Pour les autorités fédérales, l’autarcie n’a pas sa place dans la stratégie énergétique. «Les résultats d’une étude dépendent toujours des hypothèses retenues. Les 6600 francs se réfèrent aux coûts supplémentaires du scénario «le plus cher» et le moins réaliste des trois (énergie stockée sous forme d’hydrocarbures).» En effet, «dans le scénario «le moins cher» (le tout électrique), les coûts s’élèvent à 3669 francs par habitant et par an, soit un ordre de grandeur similaire à celui d’aujourd’hui.»
L’UDC exagère-t-elle en choisissant la variante la plus onéreuse? Non, selon Pierre-André Page: «Nous sommes toujours prudents et voyons que les problèmes de pénurie d’électricité que nous avions annoncés avant la Stratégie énergétique 2050 se produisent bel et bien aujourd’hui.»
En réalité, aucune pénurie n’a marqué l’hiver passé. Mais il est vrai que l’approvisionnement de la prochaine saison froide demeure plombé d’incertitudes.
Un investissement sera nécessaire
L’UDC met en exergue une autre étude, datée de 2021 et commandée entre autres par l’Association suisse des banquiers. Ces travaux rappellent en substance qu’abandonner les énergies fossiles débouchera sur des «coûts de décarbonisation» pour passer aux sources renouvelables. Les 30 prochaines années se chiffreraient à 387 milliards de francs d’investissements, soit 1400 francs par an et par habitant.
Pierre-André Page cite en exemple par une information récente donnée par le Conseil fédéral. «Aujourd’hui, le consommateur paie 4,6 centimes par kWh de courant pour les infrastructures et le réseau électrique. Ce tarif va être multiplié par 4, voire 5. Et les nouvelles lignes électriques ne sont pas encore incluses dans les calculs.» Le Fribourgeois fait la moue. «Les Vert·e·s vont sûrement s’opposer à la création de nouvelles lignes. On n’est pas sorti de l’auberge. On importera toujours plus de courant électrique à base de charbon et de nucléaire.»
L’Office fédéral de l’énergie contredit. «Plus de la moitié (58%) du volume de 387 milliards sont des investissements de renouvellement qui doivent de toute façon être réalisés, comme la modernisation d’infrastructures, de bâtiments ou de parcs de camions existants.» De nombreux frais ne pourront pas être évités, même si l’on en reste au modèle actuel avec des sources fossiles. Les coûts spécifiques au «zéro émission en 2050» se monteraient eux à 109 milliards, soit 8% de plus qu’actuellement, évalue l’OFEN dans sa propre étude Perspectives énergétiques 2050+.
«Comme d’habitude, l’UDC noircit le trait au maximum pour faire peur à la population. Cela ne rime à rien d’argumenter sur la base du scénario le plus cher et le moins réalisable d’une étude», critique de son côté Jacques Bourgeois (PLR/FR), président de la commission de l’énergie du Conseil national. Qui insiste: les énergies renouvelables permettent d’économiser très concrètement de l’argent. «C’est le cas quand on isole mieux sa maison ou son appartement, ou quand on remplace le chauffage à mazout par une pompe à chaleur. De même, pour les voitures électriques, la recharge revient trois à quatre fois moins chère qu’un plein d’essence, et il n’y a presque pas de service à effectuer. Il faut vraiment regarder les deux côtés de la médaille.»
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«Cela ne rime à rien d’argumenter sur la base du scénario le moins réalisable d’une étude» JACQUES BOURGEOIS, CONSEILLER NATIONAL (PLR/FR)