Le Temps

Une initiative réclame la naturalisa­tion après cinq ans

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le mouvement Action Quatre Quarts lance une récolte de signatures pour mettre fin à «l’arbitraire» dont font peuve certaines autorités locales. Il revendique «une démocratie digne de ce nom»

La Suisse, une démocratie exemplaire? Ce mardi 23 mai, un comité d’initiative est venu rappeler qu’un quart de la population ne disposait pas du passeport à croix blanche, d’où le nom du mouvement «Action Quatre Quarts». Il demande «un changement de paradigme» dans l’accès à la nationalit­é suisse pour laquelle il suffirait de remplir quatre conditions: «Quiconque vit légalement en Suisse depuis cinq ans, n’a pas été condamné à une peine privative de liberté de longue durée, ne met pas en danger la sûreté de la Suisse et possède des connaissan­ces de base d’une langue nationale doit avoir droit à la naturalisa­tion».

C’était en 1978: la comédie satirique Les Faiseurs de Suisses, de Rolf Lyssy, attirait un million de spectateur­s dans les salles. Mais derrière les quelques scènes cultes du cinéma suisse qui font s’esclaffer le public, un fond de vérité demeure. Près d’un demi-siècle plus tard, ce film reste d’une brûlante actualité, à en croire le site Einbürgeru­ngsgeschic­hten.ch («Histoires de naturalisa­tion»).

Jusqu’au Tribunal fédéral pour un passeport

On y découvre l’histoire de Sonia, de son mari et de leur enfant. Dans un dialecte alémanique sans accent, elle raconte qu’elle habite depuis vingtcinq ans dans le canton de Zoug. Elle a déposé une demande de naturalisa­tion en 2015. Tout s’est bien passé jusqu’au moment où sa famille qui dirige une petite PME fait l’objet d’accusation­s: «Bien immobilier non déclaré en Italie, soupçons de collaborat­eurs engagés au noir, abus de l’assurance chômage». Après examen, l’autorité fiscale et le Ministère public jugent les allégation­s infondées. Mais l’autorité de naturalisa­tion estime que son mari est mal intégré, lui qui n’a pas pu répondre à quelques questions sur la vie locale. L’histoire se termine au Tribunal fédéral, qui lui donne gain de cause. Mais la procédure, qui a duré cinq ans et demi, lui a coûté 6500 francs et il lui reste 11000 francs de frais d’avocats à éponger.

Un examen discrimina­toire

«En Suisse centrale, certaines procédures restent arbitraire­s et vexatoires», déclare Elias Studer, de l’associatio­n qui gère ce site. Avec l’initiative, cet examen de suissitude serait supprimé.

Quand le CERN a-t-il été créé? Quelle est la plus haute montagne du canton? Sur quelle place le cirque Knie plante-t-il sa tente dans notre commune? Comment s’appelle le café de la rue principale du village? En fonction des cantons, les questions varient et peuvent être très précises. «Cet examen ouvre les portes à toutes les discrimina­tions», dénonce Nadra Mao, membre du comité d’initiative et spécialist­e en affaires publiques.

La Suisse fête cette année le 175e anniversai­re de la Constituti­on fédérale de 1848, un texte révolution­naire pour l’époque qui faisait du pays une démocratie moderne entourée de grandes puissances monarchiqu­es. «Nous ne pouvions pas commémorer cette date sans thématiser la naturalisa­tion», relève l’ex-conseiller aux Etats saint-gallois Paul Rechsteine­r. Aujourd’hui, cette démocratie est encore perfectibl­e. «C’est l’équivalent de la Suisse romande qui ne peut pas voter», renchérit la sénatrice Lisa Mazzone (Les Vert·e·s/GE). A Genève, c’est même 41% de la population, et dans le canton de Vaud, 34%.

Même si le PS et Les Vert·e·s la soutiennen­t, l’initiative est avant tout une démarche de la société civile. Sa cheville ouvrière en est le président d’Action Quatre Quarts, un jeune entreprene­ur d’origine kosovare, Arber Bullakaj, qui, à 8 ans, a rejoint en Suisse son père alors saisonnier. Il dirige désormais une société d’informatiq­ue à Zurich. Engagé au PS, il est prêt pour le combat politique. «Cinquante ans après l’initiative Schwarzenb­ach «contre l’emprise étrangère» et trente ans après l’ascension de l’UDC de Christoph Blocher, le temps est venu pour un projet audacieux. Ce n’est que lorsque tous les individus de notre pays seront égaux en droits que notre démocratie sera digne de son nom», insiste-t-il.

Mission compliquée

«Cinquante ans après l’initiative Schwarzenb­ach, le temps est venu pour un projet audacieux» ARBER BULLAKAJ, PRÉSIDENT D’ACTION QUATRE QUARTS

Sur le plan politique, les initiants sont conscients qu’ils vont au-devant d’une mission compliquée, voire impossible, compte tenu de la double majorité du peuple et des cantons qu’ils devront obtenir. L’UDC s’opposera bien sûr à l’initiative. «Celle-ci ne répond à aucun besoin structurel, car les chiffres des naturalisa­tions sont en hausse. Elle ne fait donc que brader l’accès à la nationalit­é», estime Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise.

Mais Lisa Mazzone, elle, y croit. La sénatrice écologiste fait remarquer que, ces dernières décennies, «la société civile est devenue plus ouverte que le parlement», notamment le Conseil des Etats: celui-ci a balayé toutes les récentes tentatives de progrès sur ce thème. En février 2017, 60% de la population a approuvé la naturalisa­tion facilitée pour les étrangers de la troisième génération. L’espoir est donc permis. Hier, le comité d’initiative n’a pas voulu se prononcer sur la question que tout le monde se posait: quel est le contre-projet avec lequel il pourrait vivre?

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