En Chine, une stratégie académique gagnante
ÉTUDES Malgré la censure, Pékin a su hisser quelques universités dans les classements internationaux en investissant massivement dans les disciplines scientifiques. La majorité des établissements de province dispensent toutefois un enseignement de piètre
Depuis 2003, c’est l’une des constantes du classement Shanghai qui passe au crible les universités du monde entier. A chaque édition ou presque, les établissements chinois gagnent du terrain. Ils partaient certes de loin puisque, en 2004, aucun d’entre eux ne figurait dans les 100 premiers classés. Ils sont sept dans l’édition 2022.
Cette tendance se confirme à travers différents palmarès: d’après l’édition 2023 du classement CWUR (Center for World University Rankings), publié le 15 mai par l’Université saoudienne du roi Abdulaziz, 96% des établissements chinois progressent. Dans le même temps, des hautes écoles américaines, britanniques, françaises ou suisses reculent. La première université chinoise, celle de Tsinghua, localisée dans la capitale, pointe à la 44e place.
D’autres classements sont encore plus favorables aux universités de l’Empire du Milieu: le Times Higher Education en place sept dans son top 100, contre seulement deux il y a cinq ans. L’Université Tsinghua et celle de Pékin se distinguent aux 16e et 17e rangs respectivement.
Il y a un facteur conjoncturel à ces progrès: le covid, apparu en Chine, a donné lieu à des publications d’universités locales sur la maladie largement citées par d’autres articles de recherche. Mécaniquement, le phénomène a fait progresser les Chinois dans ces classements, dont le critère principal repose sur le nombre d’articles publiés dans de grandes revues scientifiques et leur taux de citation.
Une accélération qui ne remet pas en cause la progression à long terme des universités chinoises: «Les données sont très claires: nous assistons à un vrai changement dans l’équilibre des forces de l’économie de la connaissance mondiale, aux dépens du monde occidental traditionnellement dominant», avait commenté Phil Baty, éditeur du classement du Times, lors de la publication de celui-ci en octobre dernier.
Objectif: monter en gamme
L’essor de la Chine a eu lieu en parallèle du développement économique rapide du pays ces quarante dernières années. Il est aussi le résultat d’une stratégie réfléchie des autorités pour alimenter la montée en gamme de son économie. La restructuration des universités chinoises a commencé après la mort de Mao Zedong en 1976, qui a mis fin à dix ans de Révolution culturelle. Pendant cette période de chaos, les académies ont été fermées. Les intellectuels ont, eux, été persécutés, purgés et envoyés travailler à l’usine ou aux champs.
«Ils étaient sur un champ de ruines», illustre Alessia Lo Porto-Lefébure, directrice adjointe de l’Ecole des hautes études en santé publique. Mais cela a changé très vite, grâce à une stratégie à plusieurs tiroirs, poursuit celle qui est aussi l’autrice de l’ouvrage
«Nous assistons à un vrai changement dans l’équilibre des forces de l’économie de la connaissance mondiale» PHIL BATY, ÉDITEUR DU CLASSEMENT TIMES HIGHER EDUCATION
LesMandarins 2.0 (Presses de Science Po) sur l’enseignement supérieur en Chine: «D’abord, il s’est agi d’ouvrir la possibilité d’étudier à l’étranger parce que la Chine n’avait pas les moyens de former les jeunes. C’est toujours un mouvement massif: dans certaines universités américaines, plus de la moitié des doctorants de certaines disciplines scientifiques sont des ressortissants chinois! Dans un deuxième temps, l’enjeu a été de mettre en place des dispositifs pour inciter ces talents à revenir en Chine», explique celle qui était représentante de Sciences Po dans ce pays au début des années 2000.
Etablir des comparaisons
La stratégie adoptée est de concentrer les efforts et les ressources sur quelques établissements d’excellence. Mais améliorer les universités chinoises ne s’improvise pas. A la fin des années 1990, le pays lance une «initiative nationale pour construire des universités de classe mondiale». «Mon université, Jiaotong [la SJTU à Shanghai], a été sélectionnée dans ce programme. Mais nous étions confrontés à un problème: comment définir une université de classe mondiale? Et comment connaître l’écart qui sépare la SJTU des meilleures écoles du monde?» se souvient Cheng Ying, directeur de l’entreprise Shanghai ranking, qui édite aujourd’hui le classement du même nom. Quand l’équipe de Cheng Ying échange à ce sujet avec des collègues étrangers, elle s’aperçoit que la question intéresse bien au-delà de la Chine. Après trois ans de travail, le premier «classement de Shanghai» est publié en 2003. D’autres apparaissent peu après, dont celui du quotidien anglais The Times.
Le président Xi Jinping définit lui-même des objectifs: la Chine doit alors devenir «un pays innovant» en 2020, «un des pays les plus innovants» en 2030 et «la principale puissance innovante» d’ici à 2049, pour les 100 ans de la Chine communiste.
Problème d’inadéquation entre demande et offre
Plusieurs plans se succèdent pour mettre en oeuvre cette vision. Le dernier, qui date de 2015, a sélectionné 147 universités d’élite, qui recevront des financements d’Etat, soit moins de 5% des plus de 3000 établissements universitaires que compte la Chine. Les autres devront être financés par les gouvernements locaux. Le pays se dote aussi de programmes plus spécifiques, comme le plan «1000 talents», qui prévoit des bourses importantes pour attirer des chercheurs très reconnus dans leurs disciplines.
Aujourd’hui, les grandes universités chinoises sont reconnues pour leur qualité, du moins dans les matières scientifiques. Elles ont des moyens importants pour former des élites. Pour autant, le système fait aujourd’hui face à deux défis, objets de débats récurrents. D’abord, la question de la créativité, qui est peu encouragée par un système scolaire rigide. Ensuite, les millions de laissés-pour-compte de ce dispositif élitiste.
La plupart des universités de province offrent un enseignement de piètre qualité tandis que l’enseignement professionnel souffre d’un déficit d’image. Si bien que la Chine est confrontée à une inadéquation entre la formation reçue par une dizaine de millions de jeunes qui sortent des universités tous les ans, et les besoins de son économie. Alors que des usines du sud de la Chine peinent à recruter des ouvriers qualifiés, le chômage des jeunes de 16 à 24 ans a atteint un taux record de 20,4% en avril 2023.
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