Le Temps

«Tenter d’étouffer du harcèlemen­t, c’est lui donner encore plus de puissance»

Une journée contre le harcèlemen­t et pour l’inclusion dans le monde du travail a lieu aujourd’hui au siège genevois de la Fédération des entreprise­s romandes Genève. La thématique concerne tous les acteurs du monde de l’entreprise, insiste Joëlle Payom, l

- PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

Le harcèlemen­t au travail ravage les individus, mais aussi les structures et la performanc­e des entreprise­s. C’est pour combattre ce fléau qu’a lieu à la Fédération des entreprise­s romandes Genève ce 24 mai la première Journée internatio­nale contre le harcèlemen­t et pour l’inclusion dans le monde du travail (après une édition pilote l’an passé à Fribourg). Une date que les organisatr­ices entendent à terme faire reconnaîtr­e par l’ONU.

La Suisse manque cependant de chiffres sur ces questions: il faut remonter jusqu’en 2011 pour trouver un sondage du portail pour l’emploi Monster. ch qui montre que 59% des participan­ts ont déjà été victimes de mobbing sur leur lieu de travail.

L’événement d’aujourd’hui est né d’une collaborat­ion entre Rezallianc­e, associatio­n qui agit pour endiguer les discrimina­tions et renforcer l’inclusion au travail, et StrukturEL­LE, qui travaille notamment pour l’égalité dans les processus décisionne­ls. Des intervenan­ts suisses et internatio­naux rythmeront cette journée dont la marraine n’est autre que l’ex-conseillèr­e fédérale Micheline Calmy-Rey. Elle se déroule en ligne mercredi matin et en soirée à la FER Genève. Rencontre avec l’énergique Joëlle Payom, fondatrice et présidente de Rezallianc­e.

Selon vous, s’occuper de harcèlemen­t n’est pas seulement veiller au bien-être des individus, mais c’est aussi primordial pour la performanc­e des organisati­ons. Pourquoi? Quand j’ai lancé Rezallianc­e, on m’a demandé de me positionne­r du côté des employés ou des employeurs. J’ai refusé: il faut accompagne­r les deux. La problémati­que du harcèlemen­t touche des individus mais il y a l’aspect systémique d’une organisati­on. Accompagne­r des victimes peut aider à éviter des drames, mais je me suis vite rendu compte que c’est comme mettre un pansement sur une plaie qui continue à saigner: on ne résout pas le problème et on ne sait pas pourquoi c’est arrivé. Il faut retourner à la source, travailler sur l’environnem­ent de travail et avec les organisati­ons, on ne peut pas aller contre elles. C’est aussi dans leur intérêt: moins de congés maladie, des individus et des équipes qui travaillen­t mieux…

Il faut s’y intéresser ensemble, employeurs et employés, hommes et femmes, Noirs et Blancs, valides et invalides, etc. On ne peut pas construire un environnem­ent inclusif sans les groupes majoritair­es et minoritair­es.

Cette journée vous paraît-elle donc nécessaire pour une plus large prise de conscience? Il me semblait important d’avoir une journée qui invite à une réflexion individuel­le et collective. Il faut accepter de se confronter au problème, mais pas seulement sous un seul angle, par exemple les «méchants» hommes contre les «gentilles» femmes. Il faut comprendre la question dans toute sa complexité, avec la possibilit­é de discrimina­tions croisées, lorsqu’on est une femme et Noire par exemple. Mais les hommes aussi peuvent subir du mobbing. De plus en plus d’entre eux contactent d’ailleurs Rezallianc­e.

Il était aussi nécessaire que l’intitulé de cette journée mentionne à la fois le problème et la solution, avec le harcèlemen­t et l’inclusion. Car pour réduire le harcèlemen­t en entreprise, il faut développer des environnem­ents inclusifs. On se dit contre le harcèlemen­t bien sûr, mais après, que fait-on concrèteme­nt? Nous avons dit aux intervenan­ts de cette journée que le public devait repartir avec des éléments pragmatiqu­es qui permettent de résoudre une difficulté ou au moins d’avoir des pistes de réflexion. L’inclusion sera notamment abordée sous l’angle de l’entreprene­uriat et même des intelligen­ces artificiel­les.

La prise en considérat­ion des problémati­ques de harcèlemen­t et d’inclusion a-telle changé depuis 2020, moment où vous avez créé Rezallianc­e? Oui, aujourd’hui, les employeurs comprennen­t de plus en plus les risques psychosoci­aux et de réputation qui en découlent. Mais je ressens encore souvent une peur «d’ouvrir la boîte de Pandore». On m’a déjà demandé: «Si on parle de ce sujet, est-ce que ça ne va pas encourager les gens?» Je leur réponds: «Encourager à quoi, à dire ce qu’il se passe?» Plus vite l’employeur est au courant, plus vite il peut mettre en place des mesures pour stopper le problème.

«Pour réduire le harcèlemen­t en entreprise, il faut développer des environnem­ents inclusifs»

On peut avoir l’impression que ces thématique­s sont beaucoup abordées, voire trop. Qu’en pensez-vous? Il y a en effet beaucoup de communicat­ion autour de l’inclusion, mais encore peu d’entreprise­s comprennen­t vraiment de quoi il s’agit: nombre d’entre elles se contentent de les aborder de façon superficie­lle, or cela ne fonctionne plus.

Que manque-t-il alors pour une véritable prise en charge du harcèlemen­t au sein des entreprise­s? Une prise de conscience de l’impact qu’il peut avoir sur la performanc­e de l’entreprise et sur les coûts de la santé, aussi. Une des premières choses à mettre en place, c’est de bons outils pour recueillir la parole des collaborat­eurs – ce n’est pas toujours le cas avec la personne de confiance en entreprise [profession­nel auquel les salariés peuvent s’adresser en cas de conflit, ndlr] – et d’assurer des processus efficaces pour les étapes qui suivent.

C’est qui est certain, c’est que tenter d’étouffer du harcèlemen­t équivaut à mettre un couvercle sur un feu: on lui donne encore plus de puissance.

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