Le Temps

L’exploitati­on de l’IA en finance fait des débuts prometteur­s

La dernière version de ChatGPT est, dans une certaine mesure, capable de prévoir l’évolution d’actions cotées en bourse. En se généralisa­nt, l’intelligen­ce artificiel­le devient un atout pour ceux qui l’utilisent au mieux

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

L’intelligen­ce artificiel­le (IA) peutelle prévoir l’évolution des actions? Des chercheurs de l’Université de Floride ont utilisé ChatGPT pour savoir si un titre d’article de presse était bon, mauvais ou sans effet sur le cours des actions américaine­s. Puis ils ont comparé l’évaluation effectuée par le célèbre service d’IA avec le mouvement effectif des actions concernées. Résultat: la version 4 de ChatGPT parvient mieux à repérer le sentiment du marché que d’autres méthodes conçues pour cela, et que des versions plus anciennes de ChatGPT (1 et 2).

La capacité à prévoir la performanc­e d’un actif financier serait donc l’apanage des modèles d’IA plus récents et plus complexes. Ils pourraient améliorer la performanc­e de stratégies d’investisse­ment dites quantitati­ves, qui utilisent des modèles intégrant un grand nombre de facteurs. Néanmoins, cette étude montre aussi que l’IA n’est pas toute-puissante en matière financière. Sa faculté de prévoir l’avenir est plus marquée pour les plus petites capitalisa­tions et plus efficace en cas de mauvaises nouvelles.

Minimiser les regrets a posteriori

Le fait qu’une telle recherche universita­ire soit menée montre à quel point l’IA va de plus en plus être intégrée dans les processus d’investisse­ment, analyse Charles-Henry Monchau, responsabl­e des investisse­ments à la banque Syz: «tout comme l’IA va être utilisée pour affiner les résultats des moteurs de recherche sur internet, elle sera disponible à tous dans le monde de la finance. Ce qui fera la différence est la façon dont chacun l’utilisera».

Outre la disponibil­ité des algorithme­s, celle des capacités de calcul s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Elle a notamment permis à la société de gestion lausannois­e Fundo d’utiliser l’IA depuis trois ans dans certaines de ses stratégies d’investisse­ment, représenta­nt environ 300 millions de francs d’avoirs de prévoyance profession­nelle. Pas pour essayer de prévoir l’évolution d’actions individuel­les, mais pour détecter des informatio­ns dans des séries temporelle­s [des statistiqu­es qui retracent l’évolution qu’une variable dans le temps, ndlr], de manière à adapter son allocation d’actifs.

La capacité de l’IA à prévoir l’avenir est plus marquée pour les plus petites capitalisa­tions et plus efficace en cas de mauvaises nouvelles

«La stabilité des données n’existe pas en finance, ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain, résume le responsabl­e des investisse­ments de Fundo, Bruno Maumené. L’IA permet d’exploiter des informatio­ns découverte­s au fil du temps, en tablant sur leur persistanc­e, alors que ChatGPT s’appuie sur un univers de connaissan­ces largement stable». Le moteur d’IA le plus connu au monde n’utilise pas de données remontant à avant septembre 2021, mais il peut facilement être connecté à internet. Il suffit pour cela d’avoir un compte payant et d’activer l’option idoine.

L’approche développée par Fundo vise à «minimiser le regret que l’on peut avoir a posteriori, autrement dit à ne pas s’engager dans une voie à l’aveugle et devoir attendre dix ans pour savoir si l’on s’est trompé», poursuit Bruno Maumené. Dans les grandes lignes, l’IA déplace le centre de gravité d’un portefeuil­le en permanence. On est loin du trading en millisecon­des de la gestion algorithmi­que. Fundo modifie l’allocation de ses portefeuil­les à un rythme mensuel, à la fois pour limiter les coûts et car un rythme plus rapide ne change pas fondamenta­lement la performanc­e la plupart du temps, précise notre interlocut­eur, en poste au sein du groupe lausannois depuis plus de 18 ans.

Même si son approche est quantitati­ve, la société d’une dizaine d’employés – essentiell­ement des ingénieurs – n’a pas créé un modèle, «qui doit être révisé en permanence sur la base de données ex post, sans véritable raison intellectu­elle». Sa logique consiste plutôt à faire évoluer l’allocation d’actifs dans le cadre défini par les lois sur la prévoyance et les éventuelle­s contrainte­s supplément­aires que choisissen­t les caisses de pension (pour des raisons de démographi­e des assurés ou selon leur santé financière par exemple).

Excel 2.0

Cela signifie s’éloigner de l’équipondér­ation des différente­s classes d’actifs, c’est-à-dire une diversific­ation maximale, «grâce à la capacité de la technologi­e de gérer un nombre de scénarios possibles beaucoup plus élevé que l’humain», conclut Bruno Maumené. Fundo vise une surperform­ance de 40 à 50 points de base par an (0,4 à 0,5%), selon lui, «un niveau modeste en valeur absolue, mais qui doit être ramené à une espérance de rendement de l’ordre de 3 à 4%».

L’IA reste un outil, «pas une baguette magique qui résoudrait tout», reprend Charles-Henry Monchau, de Syz, qui compare son développem­ent à l’arrivée d’Excel, «qui a permis aux gérants de réaliser des gains de productivi­té. C’est aussi le cas avec l’IA, pour la recherche des données ou pour affiner les décisions d’investisse­ment. Les premiers qui l’utilisent bénéficien­t d’un avantage clair».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland