Le pénitentiaire veut faire peau neuve
Sur le départ, le conseiller d’Etat Mauro Poggia a présenté la feuille de route qui attend le monde carcéral ainsi que les nouveaux visages pour incarner une réforme déjà en cours
Une dernière avant de passer la main. Le conseiller d’Etat Mauro Poggia a sorti le grand jeu hier pour rassurer quant à l’avenir des prisons genevoises, calmer la grogne ambiante et présenter la nouvelle équipe chargée d’améliorer les conditions de détention connues pour être les plus déplorables du pays. Aux manettes, Claude Bettex, le tout frais patron de l’Office cantonal de la détention (OCD), et Hakim Mokhtar, bombardé directeur de Champ-Dollon, ont déjà mis des changements en route et comptent poursuivre sur cette lancée afin de rendre le quotidien des gardiens et des détenus moins pénible. Le projet ne s’appelle plus «Ambition», mais plus pudiquement «Réforme 1122». Rapide tour d’horizon.
A quelques jours de laisser la place à la magistrate Carole-Anne Kast, qui prendra la tête du Département des institutions (le terme socialiste pour la sécurité) et du numérique, Mauro Poggia ne cache pas les problèmes. Les infrastructures carcérales sont vétustes et suroccupées, les ateliers font défaut pour permettre aux détenus de travailler et leur réinsertion est ainsi rendue plus difficile.
Pour remédier à cette situation, une planification pénitentiaire a déjà passé la rampe du Grand Conseil. Son objectif principal: détruire Champ-Dollon, reconstruire un nouvel établissement pour la détention avant jugement, agrandir La Brenaz pour y transférer toutes les exécutions de peine, prévoir une prison pour les femmes, déménager La Clairière (qui accueille les mineurs) aux Charmilles et agrandir le centre de détention administrative de Frambois afin de condamner la tristement célèbre Favra, «dont l’abandon est programmé», dixit le ministre.
Remue-ménage au sein de Champ-Dollon
Il faudra évidemment encore des années et beaucoup de crédits votés pour réaliser ces projets. En attendant, quelques aménagements ont été opérés à Favra, en matière d’accès à internet et bientôt à l’espace extérieur, pour sortir de la zone rouge décriée par de récentes décisions de justice. A Champ-Dollon, les repas en commun (supprimés depuis les émeutes de 2014) ont été réintroduits pour une partie des détenus. Et les personnes en exécution de peine sont toutes progressivement transférées dans l’aile est afin de séparer les deux régimes de détention. Depuis janvier, la proportion des détenus qui purgent tous une sanction est ainsi passée de 35% à 79% dans cette même aile.
D’autres mesures sont prévues pour la grande prison, annonce Hakim Mokhtar. Davantage de cabines téléphoniques, la création de parloirs à distance via Skype, l’aménagement de petites salles dans le secteur de la détention avant jugement pour des activités communes, une mixité dans certaines formations, l’augmentation du nombre de parloirs familiaux (avec un créneau le dimanche matin) et, à moyen terme, l’organisation d’ateliers thérapeutiques et la création d’une unité pour personnes vulnérables (notamment celles qui ne sont pas encore sous le coup d’une mesure mais nécessitent des soins). «Le but principal étant de favoriser le temps en dehors des cellules», précise le nouveau directeur. Et donc d’en finir avec les 23 heures sur 24 entre quatre murs.
Côté parcours carcéral, Genève se met aussi au diapason de nombreux autres cantons en fusionnant le Service de l’application des peines et mesures et le Service de probation et d’insertion, sous l’appellation encore provisoire de Service de suivi pénal. Ses rênes seront confiées à Zeinab Aouamri. Pour Nora Krausz, directrice adjointe de l’Office cantonal de la détention, ce système aura l’avantage de favoriser un regard pluridisciplinaire sur l’évolution du détenu.
Tensions apaisées
Last but not least, les agents de détention semblent avoir retrouvé le moral depuis que Claude Bettex a revu l’organisation interne afin de redonner un peu de diversité à leur activité. Ce n’est pas un retour au gardien tournant et polyvalent d’avant «Ambition», mais c’est la création de trois domaines (opérations, détention avant jugement et exécution de peine) avec une gestion centralisée et la possibilité de varier les missions lors des rotations.
«Les besoins ont été entendus et la tension a nettement baissé», assure le directeur général de l’OCD. Un récent sondage montre que le taux de satisfaction du personnel au travail est passé de 18% à 46% en six mois. Le pouls des gardiens sera à nouveau mesuré d’ici à la fin de l’année.
Voilà de quoi occuper la future ministre de tutelle. Car, comme l’a rappelé Mauro Poggia, le pénitentiaire est écartelé entre les critiques récurrentes faites à son fonctionnement ou à l’enfermement en général et la tendance toujours plus répressive de la société qui s’exprime aussi à travers les durcissements législatifs.
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