Vol à voile, comme un air de liberté
Une vingtaine de passionnés se réunissent ce week-end à Yverdon-lesBains pour les Championnats romands de la discipline. Reportage pour prendre de la hauteur et «sentir l’air respirer»
Jusqu’ici tout va bien. On se répète cela sans cesse pour se rassurer. Jusqu’ici tout va bien. Reynald avait pourtant prévenu: le ciel est bleu, pas un nuage, mais le temps n’est pas au beau fixe pour les pilotes. La bise est forte.
A 10 mètres du sol déjà, ça secouait à bord du planeur. Maintenant, on est bien plus haut et ça ne s’est pas apaisé. L’estomac flirte avec la glotte, la sueur ruisselle et la vue se brouille.
Reynald a un nom de famille: Mumenthaler. Et surtout une passion: le vol à voile. A l’aérodrome d’Yverdon-les-bains, ils sont une vingtaine, adolescents ou octogénaires, à avoir, comme lui, les yeux qui brillent en regardant le ciel. Du 26 au 29 mai, ils organisent les Championnats romands de leur discipline. L’occasion de dévoiler les coulisses d’une activité qui se dérobe au regard des terriens.
Mieux que quiconque, ces passionnés savent que l’essentiel est invisible pour les yeux. C’est d’ailleurs précisément ce qui galvanise notre pilote. Il est aux manettes, au-dessus du Chasseron, et il se sent bien. Les amarres qui nous reliaient au Dynamic, le petit avion qui nous a emportés dans les cieux, viennent d’être larguées. L’homme plane: «Regarde comme c’est magique.» Pas un bruit, si ce n’est celui du vent qui glisse sur le fuselage.
Sur le tarmac, le pilote nous avait décrit la situation: «La bise est marquée, cela créera des turbulences, notamment proche des reliefs. Nous sommes aussi face à une inversion de températures. L’air est plus chaud en altitude. Les ascendances sont donc bloquées. Il y a des thermiques mais aucun nuage ne se forme.» Dans le milieu, ils appellent cela des «thermiques bleus».
Lire l’invisible
Il s’y attendait, car il consulte le bulletin météorologique depuis la veille. Comme avant chaque vol, il s’est renseigné quant à l’accès de l’espace aérien. Il a aidé ses collègues présents sur l’aérodrome à assembler le planeur, vérifier son bon fonctionnement, adapter le ballast au poids de l’équipage et scrupuleusement passer en revue les points de la check-list. Il s’est ensuite assis à l’avant, «parce qu’il a des grandes jambes». Il a prononcé: «Planeur 3423, je te reçois 5. Prêt au décollage.» Le câble s’est tendu et il a décollé.
S’il nous emmène là-haut, si loin des terres, c’est «pour que l’on sente l’air respirer». «On ne le voit pas, mais l’atmosphère vit», souffle-t-il. Son art est addictif, dit-il. Lire l’invisible, déceler l’imperceptible pour lui permettre de s’élever dans cette masse convective, ça le fascine. «C’est si satisfaisant de parvenir à évoluer en avançant de thermiques en thermiques que cela génère de véritables décharges de dopamine chez moi, décrit-il. En vol, nous jouons une partie d’échecs en trois dimensions. On analyse sans cesse.»
«En vol, nous jouons une partie d’échecs en trois dimensions» REYNALD MUMENTHALER, VÉLIVOLE
On comprend mieux pourquoi les puristes préfèrent les termes «vol à voile» à celui de «planeur». «Planer donne l’impression que l’on ne fait que descendre alors que le jeu consiste aussi à monter», précise le pilote. Une secousse l’interrompt. On se sent soudain lourde. Puis on décolle du siège, avant de s’y écraser. Montagnes russes. La chaleur envahit nos tempes, notre nuque et nos oreilles. On souffle. «Le thermique est puissant», commente notre guide d’altitude. L’appareil s’élève en tournoyant. Ivresse. Le sachet en papier est toujours plié dans le vide-poches, mais notre main s’en approche.
On allait encore bien sur le tarmac, quand Reynald Mumenthaler nous a tendu un bob en disant: «Il n’y a pas de couture. Ça fait moins mal que la casquette quand on tape la tête contre la verrière.» Il avait raison. Le choc n’a pas été douloureux, mais on ajuste notre ceinture. Pareil avec les sangles du parachute. Le pilote nous décrit le paysage. «Le lac de Neuchâtel est turquoise, le Mont-Blanc blanc, les champs de colza jaunes, les Dentsdu-Midi sont… C’est normal que tu ne parles plus?»
Sentir le pouls de la Terre
Une règle que tout pilote se doit de respecter est de demeurer à une finesse de 20 de tout aérodrome. «Ici, ce n’est pas difficile, reprend notre interlocuteur. Le long du Jura, il y en a partout et notre planeur a la capacité de parcourir une distance de 45 mètres pour 1 mètre perdu», autrement dit une finesse de 45.
Terre. Jambes flageolantes, coeur qui bat. Un homme nous accueille, c’est Daniel Rossier. «Bienvenue chez les fous», sourit-il. «Lui, il est né dans un planeur, chuchote Reynald Mumenthaler, en sortant de l’habitacle. C’est un oiseau, il voit des choses que les autres ne voient pas.» L’homme sait aussi à quel point les premières expériences en planeur mettent le corps à rude épreuve.
Le sien est désormais rompu à l’exercice. Il revient tout juste d’un tour d’Europe de quelques jours lors duquel il a survolé la République tchèque, l’Autriche et la Bavière. «Les vallées au sud de Munich ressemblent à la Gruyère», compare-t-il en aidant ses compagnons à démonter le planeur. En plus des oiseaux, des nuages et des volutes de fumée, il compte l’ensoleillement, la nature des sols et l’harmonie des pentes parmi ses indicateurs de vol. Quant aux vautours, aux aigles et aux cigognes, ce sont ses compagnons de voyage. «Les oies volent plus en altitude», ajoute-t-il.
Peut-être a-t-il croisé leur route lors d’une échappée d’altitude, car l’homme est connu pour faire partie des rares amateurs de vol à voile à savoir faire usage du phénomène ondulatoire. «C’est unique à notre discipline, décrit Reynald Mumenthaler. C’est comme sentir le pouls de la Terre. Ces vagues nous permettent de monter bien plus haut que le sommet des thermiques en utilisant l’oscillation sinusoïdale de l’atmosphère derrière un relief exposé au vent.»
Les concurrents présents lors des Championnats romands devraient se contenter des thermiques pour évoluer au-dessus des crêtes du Jura. Chef de parcours lors de l’événement, Daniel Rossier sera chargé de définir l’itinéraire, selon les conditions du jour. «On prévoit un tour de 200 à 300 kilomètres, décrit-il. Le vainqueur sera celui qui les aura franchis le plus rapidement. Mais chacun part quand il veut.» On n’impose pas d’heure de départ à des hommes libres.
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