L’asile, le baptême du feu d’Isabelle Moret
Plusieurs communes, comme Sainte-Croix ou Bex, n’arrivent plus à faire face à l’afflux de réfugiés sur leur territoire. Elles dénoncent les lenteurs du canton pour leur venir en aide. La conseillère d’Etat PLR Isabelle Moret promet des mesures d’ici à que
Les braises couvent en terre vaudoise. Des communes comme SainteCroix et Bex se sentent complètement abandonnées face à l'afflux de requérants sur leur territoire. Ces localités appellent à l'aide un Conseil d'Etat qui, pour l'heure, s'est contenté de promesses. Des tensions apparaissent aussi ailleurs, comme dans l'Ouest lausannois, où des autorités locales se sont récemment opposées à la transformation d'un bâtiment administratif en centre de réfugiés, fâchées d'avoir été mises devant le fait accompli.
Il faut dire que le contexte est explosif. La campagne électorale pour les fédérales promet de se cristalliser autour du thème de l'asile, alors même que la pression migratoire va s'accentuer. En particulier sur Vaud, qui «fait plus que son dû» avec l'accueil de 12 000 requérants, comme le relève justement la conseillère d'Etat libérale-radicale Isabelle Moret. Chargée du dossier, l'ancienne présidente du Conseil national assure que ses services se démènent pour trouver des solutions d'accueil; elle fait ouvrir des abris PC en ultima ratio pour parer au plus pressé. Quant à des mesures de soutien pour les communes, la PLR a mis sur pied un groupe de travail.
Pourtant, il y a urgence. La situation exige non seulement des actions ciblées pour dénicher ici ou là de nouveaux logements, mais il faut surtout de véritables décisions politiques. La loi vaudoise sur l'aide aux requérants d'asile (LARA) est un texte de beau temps qui mériterait un profond examen, car il ne donne que peu d'instruments au Conseil d'Etat. Le gouvernement doit également tendre la main aux communes qui souhaitent être traitées en partenaires. A juste titre, car ce sont leurs élus qui oeuvrent sur le terrain au quotidien.
Politiquement, cette problématique de l'asile sera le baptême du feu pour la conseillère d'Etat Isabelle Moret, qui a été jusqu'ici moins exposée que ses collègues de la nouvelle majorité de droite, en première ligne notamment lors des grèves des fonctionnaires.
Certes, la question de la répartition des requérants d'asile est un serpent de mer de la politique vaudoise. Elle a déjà enflammé le canton au début des années 2000, une période délétère. Entre tags racistes, échauffourées et initiative demandant la fermeture du centre de requérants, Bex faisait alors les gros titres des médias suisses. Sans oublier la violente réaction suscitée en 2003 par le projet d'accueil de migrants à Vugelles-La Mothe, qui avait culminé avec l'incendie d'une croix à l'entrée du village lors de la venue du conseiller d'Etat de l'époque Pierre Chiffelle.
Aujourd'hui, Isabelle Moret doit rapidement prendre des mesures pour soulager les communes qui sont au front et y assurer le vivre-ensemble. Car personne, dans le canton de Vaud, ne souhaite voir ressurgir les fantômes du passé.
La question de la répartition des requérants d’asile est un serpent de mer de la politique vaudoise
La pression migratoire est forte en Suisse. Dans le canton de Vaud, la situation est particulièrement crispée, le nombre de requérants ayant doublé depuis février 2022 pour atteindre 12 000 personnes. A la problématique de trouver des hébergements s'est ajoutée celle de leur répartition, inégale sur le territoire, faisant peser un poids particulièrement lourd sur quelques communes. Plusieurs aujourd'hui n'en peuvent plus. Sainte-Croix est l'une d'entre elles. Son syndic, Cédric Roten, également député, a récemment interpellé la conseillère d'Etat Isabelle Moret au Grand Conseil, pour réclamer une plus grande solidarité cantonale.
«Nous sommes tout simplement débordés, constate calmement Cédric Roten. Nous comptons aujourd'hui 350 requérants, ce qui représente 8% de la population.» Pour le socialiste, l'un des points les plus critiques demeure les écoles. Sur 800 élèves de l'arrondissement scolaire, 80 sont allophones, nécessitant l'ouverture de classes d'intégration. «Nous n'avons pas les locaux nécessaires», regrette l'élu socialiste. Ce dernier sait combien le sujet de l'asile est sensible. Il insiste sur le fait que son but premier est de pouvoir accueillir «mieux» et rappelle qu'il y a 25 ans Sainte-Croix avait été volontaire pour l'accueil d'un centre de requérants. Entre groupes de bénévoles, travaux d'utilité publique, implication des autorités, la commune nord-vaudoise a en effet souvent été citée en exemple. «Mais, avec encore de nombreux réfugiés qui vivent en appartement, nous avons atteint nos limites», relève le syndic.
Commune «maltraitée» par le canton
Si Cédric Roten se dit aujourd'hui «fâché», c'est aussi parce qu'il estime que sa ville a été «maltraitée» par le canton. «Lors de l'ouverture du centre, il y avait eu des négociations pour fixer le nombre de migrants à 140, raconte le syndic. Puis lors de l'éclatement de la guerre en Ukraine, le canton nous a dit avoir besoin de places. Par solidarité, nous avons accepté. Deux centres d'urgence provisoires ont donc été ouverts dans des structures touristiques de la région. Ceux-ci se sont depuis inscrits dans le long terme, avec
«Nous sommes débordés. Nous comptons 350 requérants, ce qui représente 8% de la population» CÉDRIC ROTEN, SYNDIC DE SAINTE-CROIX
un statut hybride. Nous n'avons pas été associés à ces décisions.» L'homme appelle à un véritable partenariat. «Le Conseil d'Etat manque de courage politique, lance encore le socialiste. Il règle son problème dans son coin en trouvant des logements pour les requérants, en chargeant les communes qui en accueillent beaucoup et en laissant tranquilles celles qui ne jouent pas le jeu.»
Dans le Chablais, à Bex, le son de cloche est similaire. «Il y a clairement une mauvaise répartition des requérants d'asile», appuie son syndic, Alberto Cherubini. «Nous sommes des régions situées aux extrémités du canton, avec un marché immobilier moins sous tension, l'EVAM [Etablissement vaudois d'accueil des migrants] y trouve plus facilement des logements», observe le socialiste, qui dénombre plus d'une centaine d'appartements occupés par des requérants. A cela s'ajoute la présence, depuis 1982, d'un centre qui va prochainement passer de 160 à plus de 200 occupants avec l'installation de pavillons.
«Nous n'y arrivons plus», s'alarme Alberto Cherubini, qui, comme son homologue de Sainte-Croix, pointe du doigt la problématique scolaire. «Nous avons dû ouvrir quatre classes cette année, il en faudra encore quatre supplémentaires à la rentrée prochaine, note le syndic. Nous avons même dû installer une classe dans le local des pompiers. Le Conseil d'établissement est contraint de se réunir dans notre salle de municipalité.» Pour l'élu, il est primordial que le canton ait «une meilleure compréhension de la situation». «Des mesures doivent être prises à la fois pour une répartition plus juste des requérants et en vue d'un soutien financier adéquat pour les communes les plus sollicitées», poursuit Alberto Cherubini. Il demeure dubitatif après l'annonce d'Isabelle Moret devant le Grand Conseil, le 9 mai dernier, de la mise sur pied d'un groupe de travail en vue d'élaborer «une boîte à outils». «Les promesses rendent les fous joyeux, philosophe l'élu. Nous avons besoin de concret.»
Thématique très sensible
Signe de l'extrême sensibilité de la thématique, la conseillère d'Etat Isabelle Moret a refusé la demande d'interview du Temps. Elle a fait parvenir au journal une brève déclaration écrite par e-mail. «Vaud est un des cantons suisses qui assume la plus grande charge en matière d'asile, souligne ainsi en préambule l'élue PLR. Nous avons atteint aujourd'hui les limites du système alors que Berne continue de nous charger. J'en appelle à une répartition plus équitable entre les cantons. Dès lors, d'autres régions moins sous pression doivent être sollicitées.»
Sur la situation des communes comme Bex ou Sainte-Croix, Isabelle Moret reconnaît qu'elle est «très compliquée». «Celles-ci fournissent d'importants efforts. Je les en remercie. Mais je constate qu'elles sont à bout. Elles sont confrontées à des défis qui vont bien au-delà de l'hébergement, il s'agit aussi d'enclassement des enfants et plus largement d'intégration.» Elle rappelle enfin qu'avec ses collègues du Conseil d'Etat, elle a «mis sur pied un groupe de travail qui devrait présenter, d'ici à quelques semaines, des solutions concrètes visant à soutenir ces communes».
De son côté, la présidente de l'Union des communes vaudoises (UCV), Chantal Weidmann Yenny, fait confiance au Conseil d'Etat et aux réflexions menées. La syndique PLR de Savigny précise que l'UCV a relayé l'année dernière l'appel du canton pour trouver des terrains. Mais elle souscrit aux inquiétudes des communes. De plus en plus d'autorités locales se retrouvent en difficulté. «Avec la péréquation, l'asile pourrait rapidement devenir l'une des problématiques les plus aiguës pour l'UCV», conclut Chantal Weidmann Yenny.
■