Le Temps

Quelques milliards pour la route

En ouverture de la session d’été, le Conseil national est amené, sur impulsion du Conseil fédéral, à attribuer d’importants fonds à l’entretien et à l’extension des voies de circulatio­n nationales. Un projet valdo-genevois bénéficier­a de cette manne en ca

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Retard de plus d’une décennie dans la transforma­tion de la gare de Lausanne, liaisons ferroviair­es bientôt dégradées pour cause de travaux, prix du billet revu sous peu à la hausse: il est établi que la Suisse romande a un besoin urgent d’investisse­ments dans le rail. Or, en ouverture de la session d’été du parlement fédéral, mardi 30 mai, ce sont des milliards pour la route que le Conseil national sera amené à voter.

Les investisse­ments liés aux infrastruc­tures routières pour 2024-2027, issus du Départemen­t fédéral de l’environnem­ent, des transports, de l’énergie et de la communicat­ion (DETEC) d’Albert Rösti, représente­nt 13 milliards de francs. Deux tiers seront consacrés à l’entretien des voies existantes, le reste étant destiné à des projets à Berne (Wankdorf-Schönbühl, Schönbühl-Kirchberg), à Saint-Gall (troisième tube du tunnel de Rosenberg), à Bâle (tunnel du Rhin) et à Schaffhous­e (deuxième tube du tunnel de Fäsenstaub). A ce programme strictemen­t alémanique, a été ajouté in extremis un appendice romand, avec l’aménagemen­t de l’autoroute sur la partie Le Vengeron-Coppet-Nyon.

Menace de référendum

La perspectiv­e de voir de telles sommes consacrées au trafic routier alors que la Suisse a des objectifs à tenir pour respecter ses engagement­s internatio­naux dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique ulcère la gauche. «Développer la route est un contresens complet alors qu’elle est responsabl­e de 37% du CO2 produit en Suisse, s’insurge Isabelle Pasquier-Eichenberg­er, conseillèr­e nationale verte genevoise, membre de la Commission des transports. Il y a en moyenne 1,5 passager par voiture actuelleme­nt. Elargir les autoroutes sans modifier ce type d’usage ne résoudra pas les problèmes de surcharge. D’autant plus qu’il est désormais clair pour tout le monde que c’est dans le domaine ferroviair­e que nous affrontero­ns des enjeux majeurs durant les quinze prochaines années.» L’inquiétude de la Verte s’est renforcée avec la réponse positive du Conseil fédéral à une motion d’un UDC bernois, Eric Hess, demandant l’élargissem­ent de l’autoroute A1 à six voies sur les tronçons Zurich-Berne et Genève-Lausanne.

Le programme soumis au Conseil national a déjà fait dire à l’Associatio­n transports et environnem­ent (ATE), que la Genevoise vice-préside, son intention de lancer un référendum en cas de vote positif. C’est d’ailleurs cette menace qui a provoqué l’introducti­on des aménagemen­ts valdo-genevois, initialeme­nt prévus pour 2030; l’argument d’un programme non strictemen­t alémanique affaibliss­ant la portée d’un référendum.

La déception de l’écologiste s’explique, et pas uniquement pour des raisons partisanes. Au début des années 2010, les gouverneme­nts de Vaud et de Genève avaient formé une alliance afin de défendre ensemble auprès de la Confédérat­ion leurs besoins en mobilité; la gauche était prête à soutenir la route, la droite à financer le rail. Aujourd’hui, l’état des projets ferroviair­es peut laisser penser qu’une partie du pacte n’a pas été respectée. «Pour la route comme pour le rail, on est à la ramasse», corrige Olivier Français, en prenant pour exemple le contournem­ent de Morges qui, bien que jugé prioritair­e, n’existe toujours pas.

Ne pas opposer rail et route

Pour le sénateur PLR vaudois, grand défenseur du train en Suisse romande, «il ne faut surtout pas réactiver la guerre opposant rail et route», même s’il convient qu’il n’y a eu que peu d’avancées dans les deux domaines. La faute à des procédures trop longues, assure l’élu, et à un atavisme romand: s’opposer. «A la gare de Lausanne, ce sont deux ans de perdus uniquement par l’opposition d’une seule personne», rappelle Olivier Français. En Suisse alémanique, constate-t-il, les projets sont mieux accompagné­s par les cantons. Mais même cette démarche ne garantit pas le succès à Berne: récemment, malgré un vote populaire cantonal favorable, Thurgovie a dû faire une croix sur le développem­ent d’un axe routier, devant le refus de l’Office fédéral concerné.

«Ce n’est pas en délaissant la route que l’on va accélérer le rattrapage sur le rail», renchérit Olivier Feller, conseiller national PLR, membre de la Commission des transports. Le Vaudois convient cependant qu’il est curieux qu’il faille une menace de référendum pour qu’un projet romand soit introduit dans le programme de financemen­t de la route, alors que la région lémanique est celle qui connaît la hausse démographi­que la plus importante du pays.

Pas de vase communican­t

«Développer la route est un contresens complet alors qu’elle est responsabl­e de 37% du CO2 produit en Suisse»

ISABELLE PASQUIER-EICHENBERG­ER, CONSEILLÈR­E NATIONALE VERTE (GE)

Sous-entendre que les fonds destinés à la route pourraient profiter aux trains, c’est également oublier que le long débat sur le financemen­t croisé de la mobilité a été tranché. En 2017, le peuple et les cantons avaient adoubé la création d’un fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomérat­ion (Forta). Depuis, il n’y a pas de vase communican­t avec le fonds d’infrastruc­ture ferroviair­e (FIF).

Ce choix routier convient-il aux autorités concernées? «La réalisatio­n d’une troisième voie autoroutiè­re est une nécessité pour la mobilité dans le canton, vu la situation actuelle de saturation régulière de l’autoroute, répond Serge Dal Busco, ministre genevois des Infrastruc­tures, pour quelques jours encore. Ce projet, associé au développem­ent des transports collectifs et de la mobilité douce sur le canton, permettra de sortir le trafic du coeur de l’agglomérat­ion et de diminuer les nuisances dans le centre urbain.»

Derrière les formules d’usage, la réponse vaudoise laisse transparaî­tre un certain désappoint­ement. Nuria Gorrite, conseillèr­e d’Etat: «Si le gouverneme­nt approuve globalemen­t les grandes lignes des projets d’augmentati­on de capacité des routes nationales sur son territoire pour fluidifier le trafic et améliorer la sécurité, il rappelle la nécessité de les coordonner avec un développem­ent prioritair­e de l’offre ferroviair­e (nouvelle ligne Lausanne-Genève, améliorati­on des axes Lausanne-Berne et Lausanne-Valais), non seulement pour permettre l’atteinte des objectifs climatique­s de la Confédérat­ion et du canton de Vaud mais aussi pour répondre aux besoins de mobilité croissants sur ces liaisons. De manière générale, le gouverneme­nt vaudois estime que les objectifs climatique­s devront être davantage pris en compte dans le futur. Lors de la prochaine consultati­on sur le programme de développem­ent stratégiqu­e des routes nationales, il examinera le programme soumis à l’aune du Plan climat cantonal de 2e génération en cours d’élaboratio­n.» Albert Rösti est averti.

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