Ecriture inclusive: la résistance de la plèbe face aux épiciers du genre
Bonjour à toutes et à tous, je mets en garde celles et ceux qui, par cette chronique, pourraient se sentir offensé·e·s et relégué·e·s au XXe siècle obscurantiste qui, pour le bonheur de chacune et de chacun, a cédé sa place aux lumières progressistes – sans majuscules, lumières.
Cette semaine, le monde intellectuel et médiatique a accueilli avec stupéfaction un sondage de Tamedia révélant l’impensable: trois quarts des Suisses (masculin générique) se moquent du langage inclusif. Ces têtes de linotte ont comme soucis majeurs les coûts de la santé, la prévoyance vieillesse, le changement climatique et l’immigration, dans l’ordre. Comment donc est-il possible, alors que médias et administrations publiques avancent vers ce paradis linguistico-égalitaro-anti-sexiste? Autre déconvenue: l’égalité des sexes n’est une urgence que pour 18% des sondés, et le wokisme pour 13%.
Comme un seul homme (comme une seule femme?), les médias n’ont pas titré sur les coûts de la santé, l’impératif numéro un des Helvètes (épicène involontaire), ce qu’ils auraient dû faire s’ils n’offraient pas la préséance au langage inclusif. Il faut donc en déduire que leurs préoccupations ne sont pas celles du commun. Métaphoriquement: ils habitent un astre qui n’est plus en orbite de la planète Terre.
Pourtant, sur leur petit satellite dérivant désormais dans l’espace infini de leur pensée universelle, ils ne ménagent pas leurs efforts pour évangéliser la plèbe. Un peu partout, dans l’appareil étatique, dans les officines universitaires, toutes occupées au nécessaire progrès de la Cause, se sont créés des comités plus ou moins transparents et plus ou moins fanatiques qui ont pour mission d’imposer le langage inclusif. Le soft power de l’Intellectuel conformiste, en quelque sorte. Je ne sache pas qu’il existe pareil dispositif pour le traitement du pouvoir d’achat, ni groupe de réflexion sur l’immigration ou un quelconque think tank pour l’AVS.
Conséquemment, il va falloir trancher entre deux options. La première consiste à reconnaître que pouvoirs publics et médias – donc ceux qui détiennent la parole – font fausse route, puisque leur mission de base n’est pas de catéchiser. La seconde amène à assumer que leur rôle est de faire oeuvre civilisatrice auprès de pauvres hères aux préoccupations lamentables. En ce cas, il s’agit d’un prosélytisme comme un autre. Cela en prend le chemin, puisque vous aurez peut-être remarqué que l’expression «langage inclusif» est petit à petit remplacée par «langage non sexiste», manière d’affirmer implicitement que la langue est par définition sexiste, fin du débat.
Or, le langage n’est pas ceci ou cela, au gré de morales évolutives. Il est, tout simplement. S’il change, c’est au bon vouloir des locuteurs, et non des théoriciens du genre. Non seulement le langage inclusif est fondamentalement laid, illisible, hiéroglyphique, brouillon, redondant, pléonastique – le «toutes et tous» me fait penser à «au jour d’aujourd’hui» –, mais paradoxalement il intronise la division. A vouloir nommer tous les possibles, on s’expose à des oublis coupables. La variété de l’âme humaine et des individualités est si vaste que la littérature elle-même n’en peut saisir toute l’amplitude. Vouloir nommer l’entier des variations individuelles, juxtaposer des lettres aux lettres (tou·t·e·x·s) au prétexte d’égalité, c’est le songe creux des épiciers du genre. «Je» ne se résume pas à une lettre. Le générique, en revanche, dit toute l’humanité.
Qu’ils me laissent ma langue. Je leur laisse leurs illusions.
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Le langage inclusif est fondamentalement laid, illisible, hiéroglyphique, brouillon, redondant