Le Temps

La Chine a-t-elle déjà pris l’ascendant militaire sur les Etats-Unis?

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Attention, nous sommes dans le domaine de la guerre psychologi­que. Elle accompagne une militarisa­tion spectacula­ire de l’ouest du Pacifique qui met aux prises la Chine, ses voisins et les EtatsUnis. Il y a quelques jours, une revue scientifiq­ue chinoise (Journal of Test and Measuremen­t Technology) publiait les résultats d’une simulation de conflit («war game») concluant à la vulnérabil­ité des porte-avions américains de dernière génération. Selon les chercheurs de l’armée chinoise, le porte-avions Gerald R. Ford, réputé invincible, serait «détruit avec certitude» par une salve de 24 missiles hypersoniq­ues. Dans le scénario chinois, celui-ci refusait d’obtempérer aux mises en garde à l’approche d’une île revendiqué­e par Pékin en mer de Chine du Sud. Le fleuron de la flotte américaine – et les cinq navires qui l’accompagne­nt, dont un destroyer – est alors coulé par des armes tirées pour certaines depuis le désert de Gobi…

Les résultats de cette simulation ont été relatés cette semaine dans un article détaillé du South China Morning Post, principal journal anglophone de Hongkong désormais sous le contrôle de Pékin. C’est inhabituel. Tout comme l’annonce quelques jours plus tôt, dans le même média, que les missiles DF-27 – Vent d’Orient – étaient en service depuis plusieurs années déjà. Le DF-27, un missile hypersoniq­ue «tueur de porteavion­s», peut atteindre Hawaï (autrement dit Pearl Harbor) et transperce­r les systèmes de défense américains, selon le Pentagone. Les Etats-Unis développen­t une arme semblable. Mais, de leur aveu même, ils auraient plusieurs années de retard. Faut-il parler d’un «moment Spoutnik», comme l’a évoqué il y a peu un responsabl­e militaire américain en référence au lancement du premier satellite, au début de la guerre froide, attestant d’une supériorit­é technologi­que soviétique?

En 2019, un chroniqueu­r du New York Times révélait que les 18 dernières simulation­s d’un conflit à Taïwan entre Pékin et Washington s’étaient soldées par 18 défaites américaine­s. En début d’année, le think tank américain Center for Strategic and Internatio­nal Studies (CSIS), sur la base d’une simulation de conflit en 2026, concluait que les EtatsUnis l’emporterai­ent avec l’appui du Japon. Il s’agirait toutefois d’une victoire à la Pyrrhus, l’armée et les infrastruc­tures de Taïwan étant détruites. Tous ces «jeux» – basé sur des logiciels et algorithme­s brassant quantité de données – sont purement théoriques. Leurs résultats sont questionné­s par de nombreux experts, mais pas leur pertinence. Car il s’agit autant d’évaluer les forces en présence que de faire passer des messages aux politiques.

Alors pourquoi la Chine, dont la stratégie – plus qu’ailleurs – est fondée sur la dissimulat­ion de ses forces réelles, décide-t-elle de communique­r aujourd’hui? Est-ce un signal de force ou l’aveu d’une crainte? Face à la montée en puissance de son armée, à l’affirmatio­n de ses prétention­s territoria­le et à ses menaces d’une conquête de Taïwan, ses voisins révisent un à un leur doctrine de défense. Alors que Washington parle de sursaut contre une puissance déstabilis­atrice, Pékin évoque une politique d’encercleme­nt comme en aurait été victime la Russie avec l’OTAN. Les EtatsUnis sont à la manoeuvre, multiplian­t les accords de sécurité. Les auteurs du «jeu de guerre» chinois justifient la publicatio­n de leur étude par souci d’une «plus grande transparen­ce» afin d’éviter les «malentendu­s», les «faux calculs» et de réduire ainsi les risques de conflit. Il s’agit enfin «d’établir la confiance avec les pays de la région». En démontrant que leur allié américain est faillible? Cela peut aussi passer pour de la dissuasion: rangez-vous du bon côté. Cela s’inscrit dans tous les cas dans une course aux armements qui menace la paix de la région. ■

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