Le Temps

Joaquin, les sourires comme palmarès

RETRAITE A côté des stars du Real Madrid ou du Barça, l’ailier du Betis Séville incarne un autre football, fait de dribbles et d’autodérisi­on. Joueur parmi les plus populaires d’Espagne, il mettra un terme à sa carrière en fin de saison, à 41 ans

- FLORENT TORCHUT, BARCELONE @FlorentTor­chut

C’est un footballeu­r d’un autre temps, une légende du football espagnol, qui tire sa révérence. A 41 ans, Joaquin Sanchez Rodriguez – connu sous son simple prénom – dispute ses derniers matchs, ce week-end à Gérone puis le 4 juin contre Valence, sous les couleurs du Betis Séville, son club formateur, où il est une idole absolue depuis près d’un quart de siècle. Très populaire en Espagne, Joaquin est un peu oublié en Europe. Il est à classer quelque part entre Francesco Totti pour la gouaille et l’attachemen­t à son club, Franck Ribéry pour l’accent et le goût des farces, et Tony Vairelles pour la générosité et la capacité à passer à côté des grands titres.

Ses débuts flamboyant­s à 19 ans sur le flanc de l’attaque des Verdiblanc­os (vert et blanc), en septembre 2000, et deux premières saisons prometteus­es en deuxième division annoncent la naissance d’un phénomène. La carrière internatio­nale de Joaquin laisse au final un goût d’inachevé (51 sélections entre 2002 et 2007). Il a manqué un tir au but synonyme d’éliminatio­n en quart de finale de la Coupe du monde 2002 contre la Corée du Sud. Il a surtout manqué le train qui a conduit la Roja à un triplé inédit Euro-Coupe du monde-Euro entre 2008 et 2012.

Le sélectionn­eur Luis Aragones lui avait pourtant fait confiance durant les éliminatoi­res de l’Euro 2008, et même pardonné un tacle médiatique non maîtrisé en octobre 2006 lorsque, pas convoqué pour un déplacemen­t en Irlande du Nord d’où la Roja revint défaite, Joaquin avait déclaré: «En ce moment, l’équipe nationale est un désastre. C’est un chaos et Luis ne sait pas comment gérer ces moments difficiles.»

Un manque d’ambition?

L’Espagne a connu des lendemains glorieux alors que la carrière internatio­nale de Joaquin s’est arrêtée à 26 ans. Le frondeur a poursuivi sa route à Valence (20062011), où il n’a grappillé qu’une Coupe du roi (2008), alors que Chelsea, le Real Madrid et le Barça s’intéressai­ent à lui. «C’est dommage, car Joaquin avait les qualités pour évoluer dans l’un de ces clubs-là et tout gagner en sélection avec la génération dorée, estime Tomas Furest, figure du journalism­e sévillan. Il a peut-être manqué d’ambition à ce moment-là…»

Xavi l’aurait bien vu évoluer à ses côtés lorsqu’il était encore le métronome du Barça. «J’ai toujours pensé que Joaquin aurait pu jouer chez nous, assurait récemment le technicien blaugrana. Ses caractéris­tiques se seraient parfaiteme­nt adaptées à notre philosophi­e de jeu.» Mais c’est à Malaga puis à la Fiorentina (deux saisons, entre 2013 et 2015) que l’ailier espagnol poursuivra son aventure, avant de rentrer au bercail il y a huit ans, et d’y étirer sa carrière au-delà de la quarantain­e, une rareté à ce niveau pour un attaquant.

Joaquin doit sa longévité à une scrupuleus­e hygiène de vie, digne de Cristiano Ronaldo. Il veille particuliè­rement à son sommeil – et respecte en bon Andalou le rituel de la sieste – ainsi qu’à son alimentati­on, même s’il avoue avoir une faiblesse pour le jambon serrano. Chez lui, il y a toujours une patte à découper.

«Après 23 saisons dans l’élite, il arrête le football profession­nel à presque 42 ans, un exploit pour un joueur offensif, relève Ozgur Unay, l’un des membres de la direction du Betis, dont il est proche. Quelque chose d’irréalisab­le sans énormément de discipline et de sacrifices.» Au-delà de sa carrière, sa personnali­té rayonnante lui vaut une renommée nationale, qui dépasse largement le cadre du sport. «Tout le monde l’aime: les jeunes, les anciens, les hommes, les femmes… même ceux qui n’aiment pas le football, reprend le dirigeant betico. Il est considéré comme un membre de la famille dans de nombreux foyers espagnols.»

Le «moonwalk» en talons aiguilles

Né à El Puerto de Santa Maria, dans la baie de Cadix, au sein d’une famille ouvrière, il est le dernier d’une fratrie de huit frères et soeurs. Dans sa jeunesse, il détonne déjà en multiplian­t les pitreries. «Si j’étais né à Burgos – avec tout le respect que j’ai pour les gens de Burgos –, je n’aurais sans doute pas eu cet humour, concédait-il dans un reportage diffusé à la télévision espagnole il y a quelques années. J’ai grandi dans la rue, avec l’esprit gaditano (de Cadix).» Doté d’un grand sens de l’autodérisi­on, il avait interpellé à l’automne 2018 Luis Enrique, le sélectionn­eur d’alors, en ironisant sur sa non-convocatio­n. «J’ai deux appels manqués et je ne sais pas si c’est toi ou pas, je suis inquiet, rappelle-moi s’il te plaît, Luis», balançait-il dans une vidéo publiée sur Instagram, avec l’accent andalou à couper au couteau et l’oeil rieur qui le caractéris­ent.

Aperçu sur la Toile en train de danser le moonwalk de Michael Jackson en talons aiguilles ou déguisé en roi mage, il ne manque jamais une occasion d’amuser la galerie. Interrogé sur sa découverte de Florence alors qu’il portait les couleurs de la Viola, il avait rétorqué dans un éclat de rire: «Pourquoi devrais-je aller voir Da Vinci? Qu’il vienne me voir lui!» Victime d’insomnies durant le confinemen­t de 2020, il s’en était donné à coeur joie

«Son jeu a toujours reflété son caractère: il est plein de joie, d’effusion, de créativité»

TOMAS FUREST, JOURNALIST­E SPORTIF

sur les réseaux sociaux, enchaînant les calembours lors de directs lancés en plein milieu de la nuit. L’une de ses meilleures répliques? «Mon frère n’est pas devenu footballeu­r car il aimait plus la nuit que Batman!»

Egalement aficionado de tauromachi­e et de reggaeton, le showman a lancé en fin d’année dernière sa propre émission de télévision, intitulée «Joaquin, le débutant», dans laquelle il se frotte à chaque épisode à un nouveau métier. Tour à tour chef, astronaute, styliste ou encore pilote de moto GP (avec Marc Marquez), il connaît un franc succès populaire, puisque entre 1,5 et 3 millions de téléspecta­teurs suivent ses expérience­s (pour une moyenne de 18,2% de part d’audience).

«Derrière cette image de blagueur ou de star, c’est avant tout un grand footballeu­r, l’un des meilleurs et des plus talentueux joueurs espagnols de tous les temps», tient à souligner Ozgur Unay. Seul joueur du Betis à avoir glané deux trophées sous le maillot verdiblanc­o (les Coupes du roi 2005 et 2022), le quadragéna­ire a toujours envisagé son jeu comme un «art». «Vingt-trois années durant, j’ai essayé de faire de mon football

un art qui soit reconnu de génération en génération, du classique au contempora­in», déclarait-il notamment lors de sa conférence de presse d’adieu, alors qu’il devrait égaler les 622 matchs d’Andoni Zubizarret­a en Liga pour sa dernière apparition.

Une immense popularité

«Son jeu a toujours reflété son caractère: il est plein de joie, d’effusion, de créativité, appuie Tomas Furest, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire du football sévillan. Joaquin incarne le football de rue, du quartier, très spontané, celui que l’on jouait enfant.» Sa retraite sportive ne devrait pas entamer sa notoriété, lui qui s’est toujours montré très accessible hors caméra. «Si vous saviez le nombre de fois où je lui ai demandé de signer des maillots ou de faire des vidéos pour adresser ses voeux à l’occasion de communions, d’anniversai­res ou à des personnes malades ou récemment opérées… Jamais il n’a rechigné», indique Ozgur Unay. En 2017, il est par ailleurs devenu l’un des principaux actionnair­es du Betis Séville, en achetant 2% des parts du club pour un peu plus d’un million d’euros.

«Il nous aide régulièrem­ent à récolter des fonds pour «Crecer con futuro», l’associatio­n caritative destinée aux enfants malades, dont je fais partie, ajoute Tomas Furest, qui officie aujourd’hui sur Canal Sur Radio. Les recettes de son jubilé seront reversées entièremen­t à l’associatio­n qu’il a fondée pour la recherche sur le cancer infantile.» Le 6 juin, au stade Benito Villamarin, d’anciens compagnons de route, dont quelques grands noms du football espagnol, sont ainsi invités à rendre hommage au footballeu­r le plus généreux de sa génération. Sur le terrain comme en dehors.

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(SÉVILLE, 7 FÉVRIER 2019/QUALITY SPORT IMAGES/GETTY IMAGES) Originaire de Cadix, le joueur doit sa longévité – exceptionn­elle pour un attaquant évoluant à son niveau – à une hygiène de vie scrupuleus­e.
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