A Roland-Garros, banalités et vérités immuables à la chaîne
Les joueurs sont tous incapables de dire si le tournoi va bien se passer ou non. Ce n’est pas de la langue de bois, c’est le tennis
TENNIS Le tournoi parisien débute dimanche avec trois favorites chez les dames et la place de Nadal à prendre chez les messieurs. Hier, joueurs et joueuses se sont succédé devant la presse lors du Media Day, partagés entre l’envie de se raconter et la peur d’en dire trop
Le tournoi de Roland-Garros débute dimanche, et pourtant le site de la Porte d’Auteuil vibre d’une activité bourdonnante depuis cinq jours. Il fait déjà beau, il y a déjà plein de monde dans les allées, et la bande-son de la quinzaine à venir (bruits de la balle, cris des joueurs, applaudissements du public) résonne déjà dans les têtes. Toute la semaine, les 128 joueurs et 128 joueuses qui ont participé aux qualifications ont croisé celles et ceux déjà assurés d’entrer dans les tableaux principaux. Les plus illustres étaient attendus hier devant les journalistes pour le traditionnel Media Day.
Toute la journée, joueurs et joueuses se sont succédé dans les salles d’interview, devant les caméras des télévisions qui diffusent le tournoi ou autour de canapés et tables basses pour des entretiens en plus petit comité, soit que la notoriété de l’athlète soit faible, soit que celle du média soit suffisamment forte pour décrocher une interview individuelle. Le ballet des va-et-vient, le minutage des emplois du temps, l’occupation des espaces et la gestion des inévitables bouchons relèvent des compétences de l’ATP pour les messieurs et de la WTA pour les dames.
Le poids sur les épaules de Garcia
D’une manière générale, les joueurs sont heureux de venir à Paris, «le plus chic des quatre tournois du Grand Chelem» (Stefanos Tsitsipas), «l’apothéose de la saison sur terre battue» (Stan Wawrinka), un tournoi «où on a l’impression qu’il fait soleil, même quand il pleut» (Caroline Garcia), où l’on peut «déjà ressentir beaucoup d’énergie autour des courts» (Jil Teichmann), avec «un public français qui aime le beau jeu» (Marc-Andrea Hüsler). «C’est le tournoi que je rêvais de jouer enfant», ont-ils tous dit.
A coups de quinze minutes pour la presse écrite et trois minutes pour les radios et télévisions, c’est le speed dating de l’interview, du junk journalisme à consommer sur place (pour nourrir les réseaux sociaux ou les sites internet) ou à l’emporter (si l’on s’en souvient dans quelques jours). C’est à la chaîne, souvent du prémâché et du récité, et cela reste pourtant intéressant. Par ce qu’il s’y dit autant que par ce qu’il s’y voit.
Répéter les mêmes choses
Les joueurs viennent plutôt de bonne grâce satisfaire à cet impératif dans leur emploi du temps. La plupart prennent le temps de formuler des réponses étayées. Beaucoup se tiennent les mains dans le dos comme des écoliers appliqués. C’est probablement fastidieux pour eux (d’un tournoi à l’autre, les questions se ressemblent beaucoup) mais ils font montre de pédagogie.
En l’absence de Federer (retraite), Nadal (blessé) et Djokovic (il s’exprimera samedi), la plus sollicitée est la Lyonnaise Caroline Garcia, qui porte sur ses épaules les espoirs d’un tennis français qui commémore cette année les 40 ans de la victoire de Yannick Noah, la dernière en Grand Chelem pour le tennis masculin hexagonal. Vainqueure du Masters en fin de saison 2022, elle peine depuis à confirmer alors qu’une sorte de «Big 3» s’est constitué sans elle avec la Polonaise Iga Swiatek, la Kazakhe Elena Rybakina et la Biélorusse Aryna Sabalenka. Ces trois joueuses ont remporté les quatre derniers tournois du Grand Chelem.
Quelqu’un demande à Caroline Garcia quel effet cela lui fait d’être la seule tête de série française, hommes et femmes confondus. «Je ne le savais pas», répond-elle. Un autre fait remarquer à Iga Swiatek qu’elle dispute pour la première fois un tournoi avec la possibilité de perdre sa place de numéro 1 mondiale. «Je ne le savais pas», dit-elle. Les journalistes ont parfois de drôles de questions.
Les joueurs, eux, évitent de trop s’en poser. Ils sont pourtant tous incapables de dire si le tournoi va bien se passer ou non. Ce n’est pas de la langue de bois, c’est le tennis. «Chaque fois que j’ai pensé au classement, aux points ou aux conséquences si je gagnais un titre, j’ai moins bien joué», assure Aryna Sabalenka. «J’ai peut-être plus d’attentes que d’habitude à Roland-Garros parce que je viens de gagner à Rome mais je sais que cela peut être un piège, embraie le Russe Daniil Medvedev. Il faut pouvoir utiliser cette confiance mais sans être trop fier de soi parce qu’on se dit «ça va être facile» et dès le premier tour vous avez un problème, vous vous mettez en colère et vous ratez un match.»
En voyant la grande salle de presse bondée pour la conférence de Caroline Garcia, on comprend combien la pression peut être lourde pour elle et ses compatriotes. «Ce n’est pas facile d’être Français et de jouer Roland-Garros», confirme le numéro un chez les garçons, Ugo Humbert. Le statut d’Aryna Sabalenka est-il plus enviable? Lorsque la préposée de la WTA qui conduit la conférence met fin aux questions en anglais pour passer au «national language», elle se rend compte qu’il n’y a personne. Sabalenka s’y attendait, elle sourit, se lève.
Lorsqu’elle sort, Stefanos Tsitsipas qui l’avait précédé est encore là et enchaîne les interviews télé. Adossé à un mur représentant les sponsors, le Grec avance de deux mètres toutes les trois questions et cinq minutes. Une année, Roger Federer a répété quatorze fois l’exercice et donné à chacun le sentiment qu’il avait été vraiment ravi de partager ce moment unique.
Le fameux «match après match»
Il y a quelques années, Stan Wawrinka aurait eu droit à la grande salle d’interview et aux télés en batterie. Vainqueur du tournoi en 2015, le Vaudois ne se formalise pas de ne répondre qu’à la presse suisse. Cela permet de creuser un peu les sujets, et notamment de revenir sur un point souvent observé durant la journée. Aussi confiants soient-ils, les joueurs disent n’avoir aucune garantie pour le tournoi. «Est-ce que ce sera un match, deux ou plus? On ne peut pas savoir», dit lui aussi Wawrinka.
Le fameux «match après match», n’est-ce pas? «Je sais que l’on répète tous ça, mais c’est notre réalité. Tu as beau être mieux classé, il y a deux joueurs, un jour et une balle. Tout le monde peut perdre au premier tour. Même ceux qui peuvent gagner le tournoi. Je n’ai commencé aucun des trois tournois du Grand Chelem que j’ai gagnés [Open d’Australie 2014, Roland-Garros 2015, US Open 2016] en ayant cet objectif en tête. Celui qui fait cette erreur risque de perdre bien avant.»
Les questions pièges n’amènent souvent rien de bon. Les questions bêtes sont souvent bêtes («Daniil, Andrey Rublev est venu en t-shirt au baptême de votre fille. Lui avez-vous demandé pourquoi il n’avait pas fait l’effort de s’habiller?»). Elles peuvent parfois révéler des bonnes surprises. A propos de sa raquette offerte à la footballeuse suisse et instagrammeuse Alisha Lehmann, Stefanos Tsitsipas s’est lancé dans un monologue sur le besoin d’échanger avec des sportifs d’autres disciplines, sur l’amitié dans le tennis, sur son besoin d’être apprécié et son envie de l’être moins. «On devient impopulaire quand on a du succès», a lâché Tsitsipas avant que le chef de presse ne passe aux questions en grec. Il y en avait. ■