Un géant qui élargit le monde
Un cadeau que ces Emigrants monté et rêvé par le Polonais Krystian Lupa, un génie de la scène. Ce mois de juin, Denis Maillefer et Natacha Koutchoumov passeront le flambeau de la Comédie de Genève à la Française Séverine Chavrier. Pendant six ans, le tandem a élargi les murs de la maison, assuré son installation dans son nouveau fief à la gare des EauxVives, insufflé un élan qui dure. Il a ainsi exaucé le voeu du groupe de professionnels qui, au début des années 2000, définissait le cadre d’un théâtre qui répondrait aux besoins des artistes de la région et au plaisir du public genevois et romand.
Les Emigrants, d’après le livre envoûtant de l’écrivain allemand W. G. Sebald, est le symbole de cette ambition réalisée. Krystian Lupa est toujours, à 79 ans, un artiste captivant, par ses visions, son sens de l’histoire, sa liberté de pensée, ses colères punk. La Comédie, elle, s’affirme plus que jamais comme l’une des grandes enseignes européennes, l’une des seules capables, souligne Julie Bordez – directrice de production de l’institution – d’assumer un tel projet, pesant 900 000 francs – la Comédie assumant 80% de son financement.
Depuis le 6 mars, date du début des répétitions, toute une maison est branchée sur le canal Lupa, pour reprendre la jolie formule de la comédienne Mélodie Richard. Les ateliers de construction ont conçu un décor impressionnant. Une équipe a tourné pendant dix jours, en France voisine et dans la région genevoise, le film qui s’insère dans le spectacle. Le plateau réunira chaque soir neuf comédiens – dont six Suisses, comme le voulaient Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer – et une vingtaine de techniciens.
L’impact d’un tel geste pourrait être considérable. Les Emigrants sera l’un des fleurons du prochain Festival d’Avignon, dirigé par le Portugais Tiago Rodrigues.
Il s’y jouera huit fois. Il sera en janvier prochain à l’affiche, pendant un mois, du Théâtre de l’Odéon à Paris, avant le Théâtre du Maillon à Strasbourg et Milan sans doute. Dans une époque où l’on s’inquiète à juste titre de la durée de vie des spectacles, cette longévité programmée est réjouissante.
La griffe Lupa est aussi précieuse que pénétrante. Elle incarne à travers ces Emigrants une idée de l’Europe et de sa mémoire. Rien n’assure encore que cette traversée de 4 heures sera réussie. Il n’empêche qu’il y a dans cette entreprise un désir d’embrasser notre histoire et nos blessures. Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer tirent leur révérence en beauté.