Javier Cercas s’envole pour les Baléares
Dans «Le Château de BarbeBleue», qui conclut la trilogie «Terra Alta», le romancier espagnol met en scène un prédateur sexuel qui opère à Majorque en toute impunité
On s’y attendait un peu, mais on se laisse à nouveau séduire, avec un sourire complice. Dans Le Château de Barbe-Bleue, troisième et dernier volet de sa trilogie «Terra Alta», l’Espagnol Javier Cercas ne résiste pas au plaisir – maintes fois expérimenté – de se transformer en personnage de roman. Les autres protagonistes de l’histoire commentent ses derniers livres, les apprécient, les ignorent et parfois dénoncent leur vision un peu faussée de la vérité qu’ils confrontent à la leur. Un jeu de miroirs un brin vertigineux qui permet à l’auteur de résumer d’une simple pirouette le contenu de ses romans précédents. Chez Cercas en effet, le présent se nourrit toujours aux racines du passé.
C’est dans le futur – en 2035, comme on le découvre à la fin du livre – que se déroule cette troisième enquête. Une mise à distance sans doute indispensable pour jouir d’une totale liberté. Le héros de la trilogie, Melchor Marín, vit toujours à Corbera d’Ebre, un petit village de la Terra Alta, région située au sud de la Catalogne. Après la mort de sa femme, cet ancien policier devenu bibliothécaire a peu à peu refait sa vie avec Rosa Adell, qui tente de le détourner de sa passion monomaniaque pour la littérature du XIXe siècle et de l’intéresser aux romans policiers. Avec un succès assez mitigé, il faut bien l’avouer.
Cassure avec le père
Sa fille Cosette a grandi. Elle a 17 ans et c’est elle qui ouvre le roman, en évoquant ce qui nourrira le drame: le mensonge entourant la mort de sa mère. La jeune fille avait toujours cru que cette dernière était décédée dans un accident, elle découvre qu’elle a été assassinée. Cette révélation provoque une cassure, avec son père et avec l’avenir dans lequel elle se projetait. A la fois bouleversée, déçue et révoltée, elle part passer quelques jours à Majorque avec une amie. Son père l’attendra en vain à la gare routière le jour prévu pour son retour.
Cosette a disparu. Melchor n’y tient plus. Il se rend sur place et prend conscience qu’au sein de la police de Majorque, personne ne fait rien pour la retrouver. Un mystérieux personnage lui révèle alors que sa fille est sans doute retenue contre son gré dans la somptueuse villa d’un multimillionnaire suédois organisateur de fêtes bien pourvues en chair fraîche. Ce terrifiant prédateur sexuel finit par relâcher Cosette. Dans un état lamentable. Protégé de toutes parts, intouchable, l’homme est bien résolu à casser, voire assassiner, ceux qui se mettront en travers de sa route. Il existe pourtant une possibilité de le faire tomber. Prenant quelques libertés avec la loi, Melchor et une poignée d’amis policiers vont s’en saisir.
Réalisme minutieux
Une fiction? Certes mais qui, à l’instar des précédents livres de Cercas, se nourrit largement du réel. Comme pour nous le rappeler, Javier Cercas joue la carte d’un réalisme minutieux où chaque déplacement des personnages est précisément documenté. Et cette écriture nerveuse, serrée et rythmée culmine dans la scène finale dont on ressort le coeur battant. Pour nous réconforter, l’écrivain nous offre ensuite un magnifique poème de Rudyard Kipling. Comme son héros, Javier Cercas a le goût des beaux textes et n’hésite jamais à le partager.■ Mireille Descombes