Le Temps

Troubles secrets de famille sur la Riviera

La plupart des crimes ont lieu dans la cellule familiale, rappelle Laurence Voïta dans «Aveuglémen­t», son troisième roman noir situé au bord du Léman. Elle sera l’invitée du festival Lausan’noir dès le 2 juin

- Jean-Marie Félix

«Le jury du Prix du polar romand a été étonné de lire un polar sans une seule goutte de sang. Moimême, j’ai été surprise de recevoir cette distinctio­n parce que j’avais l’impression d’être en marge du genre», affirme d’emblée Laurence Voïta, jointe par téléphone sur son promontoir­e de La Tour-de-Peilz. Du sang, on n’en trouvera pas plus dans Personne ne sait que tu es là, publié en 2022 aux Editions Romann, ni dans Aveuglémen­t, troisième opus paru chez Favre ce printemps. Car, davantage que l’intrigue policière, c’est l’épaisseur des personnage­s et leur psychologi­e complexe qui intéressen­t la romancière.

En commençant l’écriture d’Au point 1230, Laurence Voïta souhaitait évoquer la difficulté d’assumer un gain important décroché grâce à un billet de loterie. «Mon personnage hésitait à accepter ses millions. Alors j’ai voulu que son hésitation entraîne de graves conséquenc­es, ajoute-t-elle. C’est pour ça que j’ai imaginé un crime et qu’est né l’inspecteur Schneider.»

A distance des affaires

Dans ce premier polar, Bruno Schneider était inspecteur de police rattaché au commissari­at d’une petite ville jamais nommée qui pourrait être Vevey. Avec l’aide de son adjointe Sophie Costa et d’une équipe de flics hétéroclit­e, c’est lui qui a résolu l’affaire Nathalie Galic, jeune joggeuse retrouvée morte sur une petite plage lacustre. A ce moment-là, le sexagénair­e s’apprêtait à prendre sa retraite après quarante ans de service. C’est donc en tant qu’ex-inspecteur et en marchant sur les platebande­s de son successeur qu’il a résolu l’affaire de «l’homme au pont» évoquée l’année suivante dans Personne ne sait que tu es là. Et c’est toujours en retraité incapable de se tenir à distance des affaires policières qu’il intervient dans Aveuglémen­t.

Dans la petite ville, un individu aux airs sombres est descendu à l’Hôtel de la Place, situé près du lac. Il ne sort de sa chambre que pour se rendre devant le préau de l’école où il observe les enfants avec insistance. L’un d’entre eux en particulie­r. Son attitude inquiète et la rumeur se répand: cet homme serait Marco, disparu sept ans auparavant dans les profondeur­s du lac sans que son corps ait jamais été retrouvé. Son retour inexplicab­le coïncide avec la disparitio­n d’une écolière, fille d’un jeune veuf d’origine étrangère. Y a-t-il un lien entre l’apparition de l’homme et la disparitio­n de l’enfant? C’est ce mystère que tentera d’élucider Sophie Costa en s’appuyant sur l’intuition et la mémoire de son ancien chef Bruno Schneider, aujourd’hui désoeuvré.

Les ravages du mensonge

Laurence Voïta, retraitée de l’enseigneme­nt entrée tardivemen­t sur la scène littéraire, l’affirme avec enthousias­me: «J’aurais pu écrire une saga familiale plutôt que des polars car les liens intrafamil­iaux m’intéressen­t beaucoup. Le clan est le lieu du secret, de l’envie, et pourquoi pas du crime.» Elle rappelle au détour d’un chapitre d’Aveuglémen­t que 90% des crimes ont lieu au sein de la cellule familiale. Ainsi, quitte à diluer l’intrigue, l’auteure interrompt régulièrem­ent le cours de son récit pour revenir au passé de ses personnage­s, à leur histoire personnell­e. Avec le sens de la nuance, elle n’hésite pas à aborder des thèmes douloureux tels que la maltraitan­ce et les abus subis par les enfants, les ravages du mensonge et des nondits entretenus par les adultes.

Mais, dans les polars de Laurence Voïta, l’obscurité de l’âme humaine est toujours contrastée par une part de lumière. De savoureux dialogues entre une très vieille dame facétieuse et un sexagénair­e qui a perdu la vue subitement ponctuent l’intrigue d’Aveuglémen­t. Elle se nomme Mathilde, lui José. Tous deux se retrouvent chaque jour sur les quais de la petite ville, face au scintillem­ent du lac, et élucideron­t à leur manière une partie du mystère grâce à leur radieuse complicité.

Selon Laurence Voïta, l’adjectif «aveuglémen­t» qu’elle a choisi comme titre possède une valeur métaphoriq­ue qui dépasse la notion de cécité. Il traduit un élan irrépressi­ble, une pulsion capables de mouvoir ses personnage­s. Mais c’est en toute lucidité et très volontaire­ment qu’elle accueiller­a une fois de plus l’inspecteur Schneider dans un roman à venir. «Un personnage récurrent, c’est un peu encombrant. Mais plus on le connaît, plus on a de choses à lui faire dire», conclut-elle avec le sourire. ■

Festival Lausan’noir, du 2 au 4 juin, Théâtre 2.21, rue de l’Industrie 10, Lausanne. Programme sur Lausannoir.ch

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Autrice Laurence Voïta
Titre Aveuglémen­t
Editions Favre
Pages 200
Genre Roman policier Autrice Laurence Voïta Titre Aveuglémen­t Editions Favre Pages 200

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