Face aux activistes du climat, le malaise des Vert·e·s
Les actions militantes, en lassant la population, risquent-elles d’avoir un effet contreproductif sur le vote écologiste? Au lendemain d’une nouvelle opération à l’aéroport de Genève, la question embarrasse le parti
Blocages d'autoroutes, saccages de golfs, jets de peinture, irruption sur un plateau de télévision ou encore tout récemment opération menottage au Salon de l'aviation privée de Genève: les actions de désobéissance civile se sont multipliées ces derniers mois, dans le but d'alerter la population sur l'urgence climatique. Avec le risque de lasser, d'agacer, voire de radicaliser certains, tentés dès lors de rejeter en bloc le message écologiste? C'est la crainte d'un ancien élu vert qui, au lendemain du blocage éclair de l'aéroport de Cointrin par des militants de Greenpeace entre autres, pronostiquait avec fatalisme: «Trois mille voix de perdues pour Les Vert·e·s aux élections fédérales.»
A coups de bouchons et d'avions retardés, l'activisme climatique finira-t-il par avoir un effet contreproductif sur Les Vert·e·s? Face à cette question, le parti, qui vient de fêter ses 40 ans, est embarrassé. C'est du moins ce qu'on ressent en appelant des ténors qui, agacés, refusent de «faire le jeu de la droite qui s'attarde sur la forme pour évacuer le fond». Qui plus est à quelques semaines du vote très attendu de la loi sur le climat. Certes, ces actions ne sont pas de leur fait, mais Les Vert·e·s y sont inévitablement associés en ce qu'ils partagent le message véhiculé: agir pour l'environnement, la biodiversité ou encore la sécurité alimentaire. A la suite de l'opération à l'aéroport, la conseillère nationale genevoise Isabelle Pasquier postait d'ailleurs une photo sur les réseaux sociaux, affublée d'une pancarte: «Jets privés, une bombe climatique qui doit être au plus vite désamorcée.»
«On a plus d’écho en s’attachant à un avion qu’en rédigeant un règlement sur l’énergie» ANTONIO HODGERS, CONSEILLER D’ÉTAT VERT GENEVOIS
«Les partis bourgeois instrumentalisent ces actions»
«L'UDC et le PLR instrumentalisent ces actions pour détourner l'attention du climat et dévier le débat sur le militantisme», dénonce la conseillère aux Etats écologiste Lisa Mazzone, évoquant un retour de bâton depuis l'avènement de la vague verte. «Que certains veuillent reléguer le climat à une discussion accessoire, c'est ça le vrai enjeu, pas de savoir si ces actions militantes plaisent aux Vert·e·s», poursuit-elle, tout en réaffirmant que son parti continue de s'engager dans la voie institutionnelle. De fait, la sénatrice genevoise ne s'inquiète pas des conséquences de ces actions sur les fédérales d'octobre, mais plutôt de la sape des mesures climatiques. «Les Vert·e·s stabilisent leur représentation à un niveau élevé, on l'a vu encore lors des élections cantonales genevoises», évoque-t-elle, soulignant l'ascension d'un parti qui a rejoint les plus grands du pays ces dernières années.
Sur le plateau du 19h30 de la RTS en avril dernier, la présidente des Vert·e·s genevois, Delphine Klopfenstein Broggini, avait qualifié le saccage du golf de Cologny d'«action symbolique et pacifique» avant de rétropédaler le lendemain en précisant qu'elle ne souscrivait pas aux «actes de vandalisme». Comme sa collègue Lisa Mazzone, elle balaye la polémique. «Ces actions ne sont pas les nôtres, nous avons choisi la voie politique et ce qui compte au final, c'est de parler du fond», plaide-t-elle, soulignant que le climat reste une préoccupation majeure de la population. A-t-elle le sentiment d'être otage des militants? «Non.»
Tout en posant le vandalisme comme ligne rouge, le conseiller national neuchâtelois Fabien Fivaz se dit, quant à lui, à l'aise avec l'activisme climatique, qui constitue «un outil différent, voire complémentaire» à la politique. «En 2019, le succès des Vert·e·s a été largement porté par les grèves du climat», rappelle-t-il, regrettant que ce mouvement de masse se soit aujourd'hui affaibli. A ses yeux, ce n'est pas Renovate Switzerland ou toute autre organisation qui risque de faire perdre des plumes à son parti, mais plutôt le manque de mobilisation. «Soyons clairs, les bouchons provoqués par une action pour le climat énervent avant tout des gens qui n'auraient de toute façon pas voté pour nous!»
Polarisation grandissante des fronts
Chez les vert'libéraux, en revanche, la rupture avec les militants du climat est consommée. Fraîchement élu président des vert'libéraux genevois, Aurélien Barakat déplore une polarisation grandissante des fronts: «Ces actions contribuent à braquer la population alors qu'on devrait être en train de l'accompagner, de la convaincre de la réalité scientifique qui justifie une action rapide», souligne-t-il, affirmant que cette tendance complique le travail politique. «Certaines personnes qui pourraient être sensibles à la cause se lassent et sont moins réceptives.» Le risque d'amalgame inquiète par ailleurs son collègue de parti Yves Herren, ancien Vert. «Les écolos, on est tous mis dans le même panier et même si nous ne pratiquons pas l'activisme radical, j'ai peur qu'à la fin tout le monde paye l'addition.»
Dans ce débat, le rôle des médias est aussi interrogé. A travers leurs actions, les militants obtiennent une immense visibilité médiatique, on l'a vu encore une fois lors des élections genevoises où un activiste s'est collé la main sur le plateau de la chaîne Léman Bleu. La séquence a fait le tour du monde. «On a plus d'écho en s'attachant à un avion qu'en rédigeant un règlement sur l'énergie», observe le conseiller d'Etat vert Antonio Hodgers avec une pointe d'ironie. Auteur d'un livre prônant l'écologie par l'espoir et non le catastrophisme, il juge que si le militantisme soulève le problème, un parti se doit d'apporter des solutions. A ses yeux, la question n'est pas tellement de savoir si Les Vert·e·s vont reculer cet automne, mais plutôt de comprendre pourquoi ils ne progressent pas plus vite. «C'est là qu'entre en scène l'importance du récit pour convaincre la population.»
«Un certain malaise»
L'activisme climatique va-t-il élargir la base électorale des Vert·e·s ou au contraire avoir un effet repoussoir? Difficile de répondre à cette question, reconnaît Andrea Pilotti, politologue à l'Université de Lausanne. «On voit surtout à quel point ces situations sont utilisées par les opposants pour faire endosser la faute aux Vert·e·s», souligne-t-il, estimant qu'à moyen terme, ces actions pourraient leur créer des problèmes. «Issus en partie d'un mouvement contestataire à l'origine, Les Vert·e·s se sont institutionnalisés, occupent des fonctions exécutives et ces actions provoquent chez eux un certain malaise, ils ne savent pas toujours comment se positionner», analyse-t-il.
En cette année électorale, le climat n'est pas l'élément phare de la campagne. Les Vert·e·s ont-ils du souci à se faire? «Il est probable qu'ils aient atteint pour le moment la partie haute de leur potentiel, contrairement aux vert'libéraux qui ont des perspectives de croissance plus élevées à court terme», estime Andrea Pilotti. De fait, le climat n'est désormais plus l'apanage des Vert·e·s. Tous les partis ont en effet intégré, à des échelles très variables, cette thématique dans leur programme.
S'il ne nie pas l'existence d'un risque de lassitude, Marco Giugni, professeur en science politique à l'Université de Genève et spécialiste des mouvements sociaux, se montre plus optimiste. «Les actions musclées ont parfois la capacité de mettre des thématiques à l'agenda de manière frontale», souligne-t-il, évoquant un possible effet positif de cette radicalité. «Dans les mouvements à deux voies, l'une institutionnelle, l'autre plus militante, les actions coups de poing peuvent profiter à l'aile la plus modérée. Face aux activistes, Les Vert·e·s apparaissent comme des interlocuteurs crédibles.» Verdict le 22 octobre.
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