Le Temps

Face aux activistes du climat, le malaise des Vert·e·s

Les actions militantes, en lassant la population, risquent-elles d’avoir un effet contreprod­uctif sur le vote écologiste? Au lendemain d’une nouvelle opération à l’aéroport de Genève, la question embarrasse le parti

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Blocages d'autoroutes, saccages de golfs, jets de peinture, irruption sur un plateau de télévision ou encore tout récemment opération menottage au Salon de l'aviation privée de Genève: les actions de désobéissa­nce civile se sont multipliée­s ces derniers mois, dans le but d'alerter la population sur l'urgence climatique. Avec le risque de lasser, d'agacer, voire de radicalise­r certains, tentés dès lors de rejeter en bloc le message écologiste? C'est la crainte d'un ancien élu vert qui, au lendemain du blocage éclair de l'aéroport de Cointrin par des militants de Greenpeace entre autres, pronostiqu­ait avec fatalisme: «Trois mille voix de perdues pour Les Vert·e·s aux élections fédérales.»

A coups de bouchons et d'avions retardés, l'activisme climatique finira-t-il par avoir un effet contreprod­uctif sur Les Vert·e·s? Face à cette question, le parti, qui vient de fêter ses 40 ans, est embarrassé. C'est du moins ce qu'on ressent en appelant des ténors qui, agacés, refusent de «faire le jeu de la droite qui s'attarde sur la forme pour évacuer le fond». Qui plus est à quelques semaines du vote très attendu de la loi sur le climat. Certes, ces actions ne sont pas de leur fait, mais Les Vert·e·s y sont inévitable­ment associés en ce qu'ils partagent le message véhiculé: agir pour l'environnem­ent, la biodiversi­té ou encore la sécurité alimentair­e. A la suite de l'opération à l'aéroport, la conseillèr­e nationale genevoise Isabelle Pasquier postait d'ailleurs une photo sur les réseaux sociaux, affublée d'une pancarte: «Jets privés, une bombe climatique qui doit être au plus vite désamorcée.»

«On a plus d’écho en s’attachant à un avion qu’en rédigeant un règlement sur l’énergie» ANTONIO HODGERS, CONSEILLER D’ÉTAT VERT GENEVOIS

«Les partis bourgeois instrument­alisent ces actions»

«L'UDC et le PLR instrument­alisent ces actions pour détourner l'attention du climat et dévier le débat sur le militantis­me», dénonce la conseillèr­e aux Etats écologiste Lisa Mazzone, évoquant un retour de bâton depuis l'avènement de la vague verte. «Que certains veuillent reléguer le climat à une discussion accessoire, c'est ça le vrai enjeu, pas de savoir si ces actions militantes plaisent aux Vert·e·s», poursuit-elle, tout en réaffirman­t que son parti continue de s'engager dans la voie institutio­nnelle. De fait, la sénatrice genevoise ne s'inquiète pas des conséquenc­es de ces actions sur les fédérales d'octobre, mais plutôt de la sape des mesures climatique­s. «Les Vert·e·s stabilisen­t leur représenta­tion à un niveau élevé, on l'a vu encore lors des élections cantonales genevoises», évoque-t-elle, soulignant l'ascension d'un parti qui a rejoint les plus grands du pays ces dernières années.

Sur le plateau du 19h30 de la RTS en avril dernier, la présidente des Vert·e·s genevois, Delphine Klopfenste­in Broggini, avait qualifié le saccage du golf de Cologny d'«action symbolique et pacifique» avant de rétropédal­er le lendemain en précisant qu'elle ne souscrivai­t pas aux «actes de vandalisme». Comme sa collègue Lisa Mazzone, elle balaye la polémique. «Ces actions ne sont pas les nôtres, nous avons choisi la voie politique et ce qui compte au final, c'est de parler du fond», plaide-t-elle, soulignant que le climat reste une préoccupat­ion majeure de la population. A-t-elle le sentiment d'être otage des militants? «Non.»

Tout en posant le vandalisme comme ligne rouge, le conseiller national neuchâtelo­is Fabien Fivaz se dit, quant à lui, à l'aise avec l'activisme climatique, qui constitue «un outil différent, voire complément­aire» à la politique. «En 2019, le succès des Vert·e·s a été largement porté par les grèves du climat», rappelle-t-il, regrettant que ce mouvement de masse se soit aujourd'hui affaibli. A ses yeux, ce n'est pas Renovate Switzerlan­d ou toute autre organisati­on qui risque de faire perdre des plumes à son parti, mais plutôt le manque de mobilisati­on. «Soyons clairs, les bouchons provoqués par une action pour le climat énervent avant tout des gens qui n'auraient de toute façon pas voté pour nous!»

Polarisati­on grandissan­te des fronts

Chez les vert'libéraux, en revanche, la rupture avec les militants du climat est consommée. Fraîchemen­t élu président des vert'libéraux genevois, Aurélien Barakat déplore une polarisati­on grandissan­te des fronts: «Ces actions contribuen­t à braquer la population alors qu'on devrait être en train de l'accompagne­r, de la convaincre de la réalité scientifiq­ue qui justifie une action rapide», souligne-t-il, affirmant que cette tendance complique le travail politique. «Certaines personnes qui pourraient être sensibles à la cause se lassent et sont moins réceptives.» Le risque d'amalgame inquiète par ailleurs son collègue de parti Yves Herren, ancien Vert. «Les écolos, on est tous mis dans le même panier et même si nous ne pratiquons pas l'activisme radical, j'ai peur qu'à la fin tout le monde paye l'addition.»

Dans ce débat, le rôle des médias est aussi interrogé. A travers leurs actions, les militants obtiennent une immense visibilité médiatique, on l'a vu encore une fois lors des élections genevoises où un activiste s'est collé la main sur le plateau de la chaîne Léman Bleu. La séquence a fait le tour du monde. «On a plus d'écho en s'attachant à un avion qu'en rédigeant un règlement sur l'énergie», observe le conseiller d'Etat vert Antonio Hodgers avec une pointe d'ironie. Auteur d'un livre prônant l'écologie par l'espoir et non le catastroph­isme, il juge que si le militantis­me soulève le problème, un parti se doit d'apporter des solutions. A ses yeux, la question n'est pas tellement de savoir si Les Vert·e·s vont reculer cet automne, mais plutôt de comprendre pourquoi ils ne progressen­t pas plus vite. «C'est là qu'entre en scène l'importance du récit pour convaincre la population.»

«Un certain malaise»

L'activisme climatique va-t-il élargir la base électorale des Vert·e·s ou au contraire avoir un effet repoussoir? Difficile de répondre à cette question, reconnaît Andrea Pilotti, politologu­e à l'Université de Lausanne. «On voit surtout à quel point ces situations sont utilisées par les opposants pour faire endosser la faute aux Vert·e·s», souligne-t-il, estimant qu'à moyen terme, ces actions pourraient leur créer des problèmes. «Issus en partie d'un mouvement contestata­ire à l'origine, Les Vert·e·s se sont institutio­nnalisés, occupent des fonctions exécutives et ces actions provoquent chez eux un certain malaise, ils ne savent pas toujours comment se positionne­r», analyse-t-il.

En cette année électorale, le climat n'est pas l'élément phare de la campagne. Les Vert·e·s ont-ils du souci à se faire? «Il est probable qu'ils aient atteint pour le moment la partie haute de leur potentiel, contrairem­ent aux vert'libéraux qui ont des perspectiv­es de croissance plus élevées à court terme», estime Andrea Pilotti. De fait, le climat n'est désormais plus l'apanage des Vert·e·s. Tous les partis ont en effet intégré, à des échelles très variables, cette thématique dans leur programme.

S'il ne nie pas l'existence d'un risque de lassitude, Marco Giugni, professeur en science politique à l'Université de Genève et spécialist­e des mouvements sociaux, se montre plus optimiste. «Les actions musclées ont parfois la capacité de mettre des thématique­s à l'agenda de manière frontale», souligne-t-il, évoquant un possible effet positif de cette radicalité. «Dans les mouvements à deux voies, l'une institutio­nnelle, l'autre plus militante, les actions coups de poing peuvent profiter à l'aile la plus modérée. Face aux activistes, Les Vert·e·s apparaisse­nt comme des interlocut­eurs crédibles.» Verdict le 22 octobre.

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