Le Temps

Migros est-il en train de faire sa révolution?

- ALEXANDRE BEUCHAT @beuchat_a

La réforme de la gouvernanc­e du numéro un suisse du commerce de détail est un vieux serpent de mer. Le géant orange souffre encore d'une structure compliquée avec de nombreux doublons. Face aux blocages, toutes les velléités récentes de modifier l'organisati­on du groupe ont jusqu'à présent échoué.

Mais les choses sont enfin en train de bouger. En décembre dernier, les administra­tions de la Fédération des coopérativ­es Migros (FCM) et des dix coopérativ­es régionales ont lancé un projet afin de simplifier l'activité des supermarch­és. Il y a trois semaines, la FCM a approuvé la nouvelle organisati­on. Une étape supplément­aire a été franchie mercredi dernier. Les administra­tions des coopérativ­es ont elles aussi donné leur feu vert.

Actuelleme­nt, chaque région a son propre service logistique, informatiq­ue, financier et marketing. Une partie des achats passe par la FCM et une autre par les régions. Un véritable casse-tête. Dès l'an prochain, l'activité des supermarch­és sera exploitée au moyen d'une société autonome. Cette nouvelle filiale, qui centralise­ra les achats, sera dotée d'un conseil d'administra­tion et d'une direction spécifique­s. Seuls le développem­ent des marchés régionaux, la distributi­on opérationn­elle et le réseau de points de vente resteront sous la responsabi­lité des coopérativ­es régionales.

Sur les traces de Coop?

Celles-ci ne peuvent plus se permettre de faire cavalier seul. L'activité principale des supermarch­és est en perte de vitesse depuis plusieurs années. Les ventes en Suisse ont reculé l'an dernier de 3,1% à 12,3 milliards de francs. La normalisat­ion de la demande après les années de covid ne suffit pas à elle seule à expliquer ce recul. Toutes les coopérativ­es ont vu leurs ventes diminuer, certaines de manière sensible, à l'image du Tessin, dont le chiffre d'affaires a chuté de 11%.

Des difficulté­s qui se reflètent également sur la rentabilit­é. Le bénéfice d'exploitati­on des dix coopérativ­es a baissé en l'espace de cinq ans de 23%, soulignait fin mars le patron de la FCM, Fabrice Zumbrunnen, qui a entre-temps quitté ses fonctions. Le Neuchâtelo­is avait annoncé l'automne dernier sa démission à la surprise générale, sur fond de tensions entre la centrale et les coopérativ­es. A l'inverse, la Banque Migros ou le domaine de la santé ont, durant la même période, amélioré leur résultat d'exploitati­on. Il y a donc nécessité d'agir.

Le détaillant est-il en train de suivre, avec beaucoup de retard, le chemin emprunté par son éternel rival, Coop? Le groupe bâlois a une structure nettement plus légère. Les coopérativ­es régionales ont été supprimées il y a une vingtaine d'années. Depuis lors, la centrale peut gérer les affaires dans toute la Suisse de manière ciblée et agile. Migros n'a pas d'autre choix que d'alléger ses structures. Mais la solution choisie par Coop, soit la dissolutio­n complète des coopérativ­es, n'a jamais semblé, face aux résistance­s régionales, une option crédible pour Migros.

Des questions ouvertes

Si la transforma­tion en cours n'est pas à proprement parler une révolution, Migros montre toutefois qu'elle n'est pas une entreprise sclérosée et qu'elle est consciente des défis à surmonter. Mais ce changement est-il véritablem­ent utile? Certes, la centralisa­tion des achats semble pertinente, mais la FCM va de fait créer une nouvelle société, qui viendra s'ajouter aux structures existantes. Le fonctionne­ment du géant orange n'en restera pas moins compliqué.

Par ailleurs, si les jalons sont posés, beaucoup de points restent à clarifier. A quoi ressembler­a la nouvelle entité et qui la dirigera? Les arbitrages s'annoncent délicats et les luttes de pouvoir sont loin d'être terminées. Les «princes régionaux» n'ont pas dit leur dernier mot. Reste également à définir quelle sera la place, dans cette structure supplément­aire, de Mario Irminger, le nouveau patron de la FCM, aux commandes depuis seulement un mois. Le risque est que l'ex-directeur de la filiale Denner se trouve en quelque sorte mis à l'écart de ce qui constitue le coeur de l'activité de Migros.

Quant aux clients, peuvent-ils espérer des baisses de prix? Le géant orange semble avoir perdu ces dernières années son ADN de détaillant bon marché. La nouvelle organisati­on doit «permettre à la clientèle de profiter d'un rapport qualité-prix encore meilleur», affirme Migros. Le chemin est cependant encore long et incertain jusqu'à ce que cette transforma­tion profite au porte-monnaie des consommate­urs.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland