Le Temps

La bataille sur la dette américaine se déplace au Congrès

La menace d’un défaut de paiement s’éloigne aux EtatsUnis. Mais le compromis qui limite les dépenses publiques ces deux prochaines années doit encore être validé par le Congrès, ce qui s’annonce péril-

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

La culture du compromis existe encore à Washington. Après s’être entendus samedi soir pour éviter un défaut de paiement des EtatsUnis aux conséquenc­es catastroph­iques, le président Joe Biden et Kevin McCarthy, le speaker de la Chambre des représenta­nts à majorité républicai­ne, tentent de vendre cet accord à leur parti. Car seul le Congrès américain a le pouvoir de relever le plafond de la dette. Unique dans les pays développés, ce mécanisme limite la possibilit­é d’emprunter pour financer le déficit américain.

Actuelleme­nt fixé à 31381 milliards de dollars, ce plafond a été atteint le 19 janvier dernier. Depuis, le Trésor américain recourt à des artifices pour continuer à honorer ses engagement­s. Mais ces mesures provisoire­s ne seront plus suffisante­s d’ici au lundi 5 juin, selon la dernière évaluation. Il reste donc moins d’une semaine pour obtenir le feu vert des deux Chambres: la Chambre des représenta­nts contrôlée de peu par les républicai­ns – qui se saisira du texte mercredi – puis le Sénat, où les démocrates disposent d’une majorité d’un siège.

Les débats s’annoncent animés et les critiques fusent déjà dans les deux camps. Les bourses ont réagi favorablem­ent à l’annonce de l’accord entre Joe Biden et Kevin McCarthy, avant de se tasser. Mais les bourses américaine­s étaient fermées hier, jour férié en mémoire des soldats tombés lors des guerres menées par les Etats-Unis.

Depuis une décennie, les républicai­ns utilisent le plafond de la dette pour tenter de réduire les dépenses publiques, les démocrates dénonçant être «pris en otage». Kevin McCarthy assure qu’il est parvenu à un accord «digne des Américains». Pourtant, le compromis publié dimanche soir ne contient pas de coupes massives réclamées par les républicai­ns. Cette année, le déficit américain devrait atteindre 1529 milliards de dollars, selon les projection­s du Bureau du Congrès pour le budget, un organisme bipartisan, soit 5,8% du produit intérieur brut. Même si les déficits étaient plus importants durant la pandémie et sous Donald Trump à cause des réductions massives d’impôts, la dette continue de se creuser et atteint 31465 milliards de dollars.

Pas de nouvel impôt

L’accord prévoit une suspension du plafond de la dette jusqu’au 1er janvier 2025. De quoi éviter le même affronteme­nt pendant la campagne électorale pour les élections présidenti­elles et législativ­es de novembre 2024. Les démocrates espèrent alors regagner la majorité dans les deux Chambres et éviter de devoir à nouveau négocier avec le pistolet sur la tempe dans deux ans.

En échange, Kevin McCarthy a obtenu un gel des dépenses publiques en 2024 au niveau de 2023, et celles de 2025 ne doivent augmenter que de 1%. Deux exceptions de taille sont toutefois prévues pour le budget de la défense et celui de l’aide aux vétérans de guerre. Joe Biden avait proposé de geler aussi ces dépenses, une option rejetée par les républicai­ns. Surprise, le compromis contient l’approbatio­n d’un gazoduc en Virginie, un projet combattu par les défenseurs de l’environnem­ent. Cet Etat est représenté par le sénateur démocrate Joe Manchin, qui a toujours monnayé très cher son soutien à l’administra­tion Biden.

Principale concession, la Maison-Blanche a accepté d’engager moins d’inspecteur­s chargés de traquer les fraudes fiscales, réduisant ainsi la possibilit­é d’augmenter les rentrées du gouverneme­nt fédéral. De manière générale, tout nouvel impôt est écarté, alors que le président réclamait de taxer davantage les plus riches.

«Notre base n’a pas travaillé si dur […] pour arriver à ce genre de compromis avec Joe Biden» LAUREN BOEBERT, ÉLUE RÉPUBLICAI­NE

En revanche, les exemptions fiscales pour encourager les énergies renouvelab­les et l’annulation des dettes contractée­s par les étudiants sont préservées, deux mesures phares du mandat de Joe Biden, contrairem­ent à ce que réclamaien­t les républicai­ns. Plusieurs élus de l’opposition ont déjà dit tout le mal qu’ils pensaient de cet accord. «Notre base n’a pas fait du porte-à-porte et travaillé si dur pour nous obtenir la majorité [à la Chambre des représenta­nts, lors des élections de mi-mandat en novembre, ndlr] et ensuite arriver à ce genre de compromis avec Joe Biden», a tweeté samedi soir l’élue du Colorado, Lauren Boebert.

L’aile la plus à droite et la plus anti-Etat du Parti républicai­n proche de Donald Trump avait déjà éreinté Kevin McCarthy, au moment de l’élire au perchoir en janvier dernier. Il lui avait fallu 15 tours, une première depuis plus d’un siècle, et de nombreuses concession­s – notamment le fait de pouvoir être révoqué par ses troupes – pour être finalement élu.

Ce psychodram­e préfigure-t-il la bataille qui va s’engager au Congrès sur le plafond de la dette? La différence est que le compromis de samedi bénéficier­a d’un soutien bipartisan. Le risque est plutôt l’obstructio­n des opposants, s’appuyant sur des règles de procédure. Une éventualit­é qui rapprocher­ait les Etats-Unis de la date du 5 juin.

Une majorité des démocrates devrait également soutenir le texte, malgré les critiques sur les concession­s du président et sur sa gestion de ces négociatio­ns. L’obligation de travailler jusqu’à 54 ans pour les bénéficiai­res d’aide alimentair­e passe particuliè­rement mal au sein du parti. «C’est une politique terrible, a dénoncé dimanche sur CNN l’élue de l’Etat de Washington, Pramila Jayapal, présidente du caucus progressis­te, l’aile gauche du parti. Non seulement cette mesure ne réduit pas les dépenses publiques, mais en plus elle complique l’accès à cette aide vitale aux plus pauvres.»

Des millions d’emplois en jeu

Même si l’accord finit par être ratifié par le Congrès, le président Biden, qui vise une réélection, ne sortira pas indemne de cette séquence. Après avoir affirmé pendant des mois qu’il n’était pas question de négocier des contrepart­ies au relèvement du plafond de la dette, il a dû se résoudre à un compromis.

Un défaut de paiement des EtatsUnis signifiera­it que les retraités, les bénéficiai­res d’aides sociales, les fonctionna­ires, voire les militaires, ne recevraien­t plus leurs versements. Le défaut de la première puissance mondiale pourrait créer une crise financière internatio­nale, aussi grave que celle de 2008. Cette éventualit­é détruirait des millions d’emplois, rien qu’aux Etats-Unis, met en garde la Maison-Blanche, pas encore rassurée.

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