La bataille sur la dette américaine se déplace au Congrès
La menace d’un défaut de paiement s’éloigne aux EtatsUnis. Mais le compromis qui limite les dépenses publiques ces deux prochaines années doit encore être validé par le Congrès, ce qui s’annonce péril-
La culture du compromis existe encore à Washington. Après s’être entendus samedi soir pour éviter un défaut de paiement des EtatsUnis aux conséquences catastrophiques, le président Joe Biden et Kevin McCarthy, le speaker de la Chambre des représentants à majorité républicaine, tentent de vendre cet accord à leur parti. Car seul le Congrès américain a le pouvoir de relever le plafond de la dette. Unique dans les pays développés, ce mécanisme limite la possibilité d’emprunter pour financer le déficit américain.
Actuellement fixé à 31381 milliards de dollars, ce plafond a été atteint le 19 janvier dernier. Depuis, le Trésor américain recourt à des artifices pour continuer à honorer ses engagements. Mais ces mesures provisoires ne seront plus suffisantes d’ici au lundi 5 juin, selon la dernière évaluation. Il reste donc moins d’une semaine pour obtenir le feu vert des deux Chambres: la Chambre des représentants contrôlée de peu par les républicains – qui se saisira du texte mercredi – puis le Sénat, où les démocrates disposent d’une majorité d’un siège.
Les débats s’annoncent animés et les critiques fusent déjà dans les deux camps. Les bourses ont réagi favorablement à l’annonce de l’accord entre Joe Biden et Kevin McCarthy, avant de se tasser. Mais les bourses américaines étaient fermées hier, jour férié en mémoire des soldats tombés lors des guerres menées par les Etats-Unis.
Depuis une décennie, les républicains utilisent le plafond de la dette pour tenter de réduire les dépenses publiques, les démocrates dénonçant être «pris en otage». Kevin McCarthy assure qu’il est parvenu à un accord «digne des Américains». Pourtant, le compromis publié dimanche soir ne contient pas de coupes massives réclamées par les républicains. Cette année, le déficit américain devrait atteindre 1529 milliards de dollars, selon les projections du Bureau du Congrès pour le budget, un organisme bipartisan, soit 5,8% du produit intérieur brut. Même si les déficits étaient plus importants durant la pandémie et sous Donald Trump à cause des réductions massives d’impôts, la dette continue de se creuser et atteint 31465 milliards de dollars.
Pas de nouvel impôt
L’accord prévoit une suspension du plafond de la dette jusqu’au 1er janvier 2025. De quoi éviter le même affrontement pendant la campagne électorale pour les élections présidentielles et législatives de novembre 2024. Les démocrates espèrent alors regagner la majorité dans les deux Chambres et éviter de devoir à nouveau négocier avec le pistolet sur la tempe dans deux ans.
En échange, Kevin McCarthy a obtenu un gel des dépenses publiques en 2024 au niveau de 2023, et celles de 2025 ne doivent augmenter que de 1%. Deux exceptions de taille sont toutefois prévues pour le budget de la défense et celui de l’aide aux vétérans de guerre. Joe Biden avait proposé de geler aussi ces dépenses, une option rejetée par les républicains. Surprise, le compromis contient l’approbation d’un gazoduc en Virginie, un projet combattu par les défenseurs de l’environnement. Cet Etat est représenté par le sénateur démocrate Joe Manchin, qui a toujours monnayé très cher son soutien à l’administration Biden.
Principale concession, la Maison-Blanche a accepté d’engager moins d’inspecteurs chargés de traquer les fraudes fiscales, réduisant ainsi la possibilité d’augmenter les rentrées du gouvernement fédéral. De manière générale, tout nouvel impôt est écarté, alors que le président réclamait de taxer davantage les plus riches.
«Notre base n’a pas travaillé si dur […] pour arriver à ce genre de compromis avec Joe Biden» LAUREN BOEBERT, ÉLUE RÉPUBLICAINE
En revanche, les exemptions fiscales pour encourager les énergies renouvelables et l’annulation des dettes contractées par les étudiants sont préservées, deux mesures phares du mandat de Joe Biden, contrairement à ce que réclamaient les républicains. Plusieurs élus de l’opposition ont déjà dit tout le mal qu’ils pensaient de cet accord. «Notre base n’a pas fait du porte-à-porte et travaillé si dur pour nous obtenir la majorité [à la Chambre des représentants, lors des élections de mi-mandat en novembre, ndlr] et ensuite arriver à ce genre de compromis avec Joe Biden», a tweeté samedi soir l’élue du Colorado, Lauren Boebert.
L’aile la plus à droite et la plus anti-Etat du Parti républicain proche de Donald Trump avait déjà éreinté Kevin McCarthy, au moment de l’élire au perchoir en janvier dernier. Il lui avait fallu 15 tours, une première depuis plus d’un siècle, et de nombreuses concessions – notamment le fait de pouvoir être révoqué par ses troupes – pour être finalement élu.
Ce psychodrame préfigure-t-il la bataille qui va s’engager au Congrès sur le plafond de la dette? La différence est que le compromis de samedi bénéficiera d’un soutien bipartisan. Le risque est plutôt l’obstruction des opposants, s’appuyant sur des règles de procédure. Une éventualité qui rapprocherait les Etats-Unis de la date du 5 juin.
Une majorité des démocrates devrait également soutenir le texte, malgré les critiques sur les concessions du président et sur sa gestion de ces négociations. L’obligation de travailler jusqu’à 54 ans pour les bénéficiaires d’aide alimentaire passe particulièrement mal au sein du parti. «C’est une politique terrible, a dénoncé dimanche sur CNN l’élue de l’Etat de Washington, Pramila Jayapal, présidente du caucus progressiste, l’aile gauche du parti. Non seulement cette mesure ne réduit pas les dépenses publiques, mais en plus elle complique l’accès à cette aide vitale aux plus pauvres.»
Des millions d’emplois en jeu
Même si l’accord finit par être ratifié par le Congrès, le président Biden, qui vise une réélection, ne sortira pas indemne de cette séquence. Après avoir affirmé pendant des mois qu’il n’était pas question de négocier des contreparties au relèvement du plafond de la dette, il a dû se résoudre à un compromis.
Un défaut de paiement des EtatsUnis signifierait que les retraités, les bénéficiaires d’aides sociales, les fonctionnaires, voire les militaires, ne recevraient plus leurs versements. Le défaut de la première puissance mondiale pourrait créer une crise financière internationale, aussi grave que celle de 2008. Cette éventualité détruirait des millions d’emplois, rien qu’aux Etats-Unis, met en garde la Maison-Blanche, pas encore rassurée.
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